« Quand le rythme des tam-tam change, il faut changer la manière de danser », affirme l’opposant ivoirien Charles Blé Goudé. Près de deux ans après son acquittement par la justice internationale, l’ancien ministre de Laurent Gbagbo doit rentrer après-demain, samedi, à Abidjan. Il affirme que le temps de la confrontation est terminée. Risque-t-il la prison à son retour ? Rentre-t-il comme un allié ou comme un adversaire de Laurent Gbagbo ? En ligne de la Haye, aux Pays-Bas, Charles Blé Goudé se confie au micro de Christophe Boisbouvier.
RFI : Votre entourage annonce que votre retour sera sobre, or vous n’avez pas toujours fait dans la sobriété, on se souvient de vos discours enflammés, est-ce que vous avez changé ?
Charles Blé Goudé : On va dire que sortir de prison, avec toutes ces douleurs, toutes ces expériences, j’en ai tiré des leçons, et on va dire que j’ai mûri. Et quand le rythme des tam-tams change, il faut changer la manière de danser. J’ai décidé de rentrer dans la sobriété en respect de la mémoire de toutes les victimes, sans distinction, de la crise au nom de laquelle j’ai été transféré à la CPI [Cour pénale internationale, NDLR]. C’est ma manière à moi de compatir, et je pense qu’elles ont besoin de compassion.
Alors c’est vrai que, pendant la crise meurtrière de 2010-2011, vous avez été l’un des grands orateurs du camp Gbagbo, qu’est-ce que vous dites aujourd’hui aux familles des 3 000 Ivoiriens qui sont morts à cette époque ?
Il y en a certainement eu plus que ça. J’ai un message, non seulement pour les victimes, mais j’ai un message pour la classe politique et les Ivoiriens aussi, que je veux leur livrer à partir de l’aéroport, dès que je foulerai le sol ivoirien.
Est-ce que vous avez des regrets par rapport à tout ce que vous avez fait, tout ce que vous avez dit à l’époque ?
Écoutez, je suis venu ici, j’ai fait l’objet d’un procès. Aujourd’hui, le plus important, c’est comment nous tournons cette page-là. La Côte d’Ivoire a connu une crise, le plus important, ce sont les leçons qu’on en tire, les enseignements qu’on en tire. Si nous voulons bâtir une communauté de destins, nous allons donc avancer dans le respect de nos différences. Est-ce que j’ai des regrets ? Oui, ce que j’ai fait quand j’avais 28 ans, quand j’avais 30 ans, ce n’est pas ce que je ferais à 50 ans, je suis maintenant un monsieur, je ne suis plus un jeune homme. Je pense que, dans ma posture, que dans ma démarche, dans mes propos, je dirais les choses autrement que je ne les ai dites hier, parce que les besoins ont changé, les mentalités, la situation elle-même, nous aussi nous devons changer.
Vous avez peut-être été trop impétueux à l’époque ?
Oui, j’étais jeune, et la situation qui était là était une situation de guerre, il y avait une rébellion. Aujourd’hui, il s’agit de faire en sorte que les institutions puissent marcher et que les Ivoiriens puissent se parler à nouveau en regardant dans la même direction, c’est-à-dire consolider la Côte d’Ivoire.
Le moment fort de ce samedi, ce sera, vous l’avez dit, votre rencontre avec vos partisans à Yopougon, vous direz quelques mots, que direz-vous justement ?
Je pense que ce n’est pas un meeting que je ferai, non. C’est un moment dont mes partisans, et beaucoup d’Ivoiriens aussi qui ont partagé ma cause, ont beaucoup rêvé. Ce moment est arrivé. Et c’est important pour moi que je les voie, qu’ils me voient, qu’on se touche, mais j’allais dire le moment le plus important pour moi, ce sera mon message depuis l’aéroport, mon message aux Ivoiriens, le message à la classe politique, le message aux victimes. Mais la sobriété par laquelle je rentre est déjà un message.
Alors en votre absence, Charles Blé Goudé, vous avez été condamné par la justice ivoirienne à vingt ans de prison, est-ce que vous avez eu l’assurance écrite des autorités ivoiriennes que vous n’irez pas en prison ?
Écoutez, on peut même vous écrire l’assurance, on peut vous donner tous les documents que vous voulez, et puis à l’arrivée, on peut vous arrêter, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit aujourd’hui. Les autorités ivoiriennes sont dans une logique de tourner cette page-là, et d’apaiser la situation socio-politique. C’est dans ce cadre-là que le chef de l’État a autorisé que je rentre en Côte d’Ivoire en homme libre. Je respecte les institutions de mon pays et je suis à la disposition des autorités, mais je crois qu’en rentrant en Côte d’Ivoire, c’est un pas qui est encore posé, et cette étape-là, c’est de tourner la page de la crise ivoirienne, c’est dans ce contexte-là que je rentre en Côte d’Ivoire.
Donc vous avez un accord tacite des autorités ivoiriennes pour que vous n’alliez pas en prison à votre retour…
En tout cas, telles que les choses se passent et de ce que je sais, il n’est pas question d’emprisonnement. Le président de la République, en me demandant de rentrer en Côte d’Ivoire, n’est pas du tout dans cette logique. D’autres personnalités avant moi sont rentrées et étaient pourtant condamnées à vingt ans, et ces personnalités jouissent jusqu’à aujourd’hui de leur liberté en Côte d’Ivoire, et ce sera très certainement la même chose pour moi.
Vous pensez bien sûr à Laurent Gbagbo. Sur le plan juridique, Charles Blé Goudé, est-ce que vous souhaitez une grâce présidentielle ou une amnistie ?
Je ne suis pas pressé d’aborder cette question. Le plus important pour le moment, ce n’est pas ma personne, des Ivoiriens sont morts, nous allons parler de tout cela, et enfin, nous parlerons de moi.
Entre Laurent Gbagbo et vous, Charles Blé Goudé, les relations sont fortes, vous l’appelez même votre père. Mais aujourd’hui, les liens semblent distendus, est-ce qu’il est vrai que vous ne vous êtes pas parlés au téléphone depuis plus d’un an ?
Les gens parlent beaucoup des relations entre Laurent Gbagbo et moi, d’autres annoncent même un divorce d’un mariage auquel ils n’ont pas participé. Je n’ai pas de problème du tout avec le président Laurent Gbagbo et on aura l’occasion de se parler, vous avez dit que je l’appelle père, on ne parle pas des relations avec un père sur des antennes. Monsieur, regardez et écoutez le procès qui a lieu en Guinée, quand vous avez fini d’écouter Monsieur Toumba, de ce qu’il fait de son ancien patron [Dadis Camara, NDLR], et que vous mettez cela en parallèle avec la posture de Blé Goudé à la CPI, je pense que les partisans de Laurent Gbagbo devraient simplement me dire merci.
Alors justement, ce n’est pas le cas en ce moment, Charles Blé Goudé, ils ont plutôt tendance à vous considérer, vous parliez de Toumba Diakité, comme un traitre, depuis que vous avez créé formellement votre parti politique, le COJEP, et que vous avez refusé de rentrer dans celui de Laurent Gbagbo, le PPA-CI. L’État-major de ce dernier parti affirme que vous êtes un adversaire politique de Laurent Gbagbo…
Mais pour moi, tous les partisans du président Laurent Gbagbo, ses collaborateurs et moi, nous avons partagé des douleurs, les douleurs de la crise, les douleurs de l’exil, les douleurs de la prison. Je ne crois pas qu’un parti politique soit au-dessus de ces moments que nous avons partagés. Je crois que nous aurons le temps de parler, moi je les considère comme mes frères, je les considère comme mes camarades, la Côte d’Ivoire n’a plus besoin de confrontations. Je serai présent là où on parlera d’amour.
Donc vous n’êtes pas l’adversaire politique de Laurent Gbagbo ?
Je ne serai jamais l’adversaire politique du président Laurent Gbagbo, quelqu’un avec qui j’ai tout appris, quelqu’un avec qui j’ai partagé la douleur de la prison.
Mais tout de même, Charles Blé Goudé, il y a la logique de la politique, vous ne cachez pas votre ambition de devenir un jour président, Laurent Gbagbo semble de plus en plus tenté de revenir lui aussi comme président de la Côte d’Ivoire. Si vous êtes candidats tous les deux à la présidentielle de 2025, est-ce que vous ne serez pas naturellement des adversaires politiques ?
Nous sommes en 2022. En politique, ce qui est vrai aujourd’hui ne sera pas forcément vrai demain, et je pense qu’il ne faut pas être pressé, le temps nous dira le reste. Mais moi, je ne suis pas un adversaire de Laurent Gbagbo, voilà.
Et c’est pour ça que vous voulez le rencontrer à votre retour, pour trouver un modus vivendi entre vous deux ?
Non, je rencontrerai tout le monde, y compris le président Laurent Gbagbo. Mais lui, vu la particularité de ce que nous avons vécu ensemble, et de ce que nous avons partagé ensemble, je pense qu’il est important que je le rencontre pour qu’on discute. Mais le plus important pour moi, c’est d’abord de pleurer mes parents que j’ai perdus quand j’étais ici, mon père est mort derrière moi, tous mes frères ont disparu derrière moi, quand j’aurai fini tout ce deuil-là, j’aurai l’occasion de parler politique.
L’un de vos émissaires a déjà demandé audience pour vous auprès de l’ancien président Laurent Gbagbo, est-ce qu’un rendez-vous est déjà convenu ?
Pas encore, tout comme j’ai aussi demandé un rendez-vous au président Alassane Ouattara. Il ne faut pas forcer le calendrier des uns et des autres, les agendas des uns et des autres.
Que répondez-vous à ceux qui disent que le président Ouattara favorise votre retour pour affaiblir le camp de Laurent Gbagbo et celui de la gauche ivoirienne ?
Et quand il a favorisé le retour du président Laurent Gbagbo, le retour d’Akossi Bendjo, le retour de Koné Katinan et de Damana Pickass, et de tous les autres, c’était pour affaiblir qui ? Personne n’a pris son bagage lui-même pour aller en Côte d’Ivoire, et c’est plutôt en négociant, en discutant avec les autorités en place, que tout ce monde-là est rentré en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, c’est mon tour, pourquoi on veut interpréter ça autrement ?
Et aujourd’hui, est-ce votre tour d’être candidat à la prochaine présidentielle ?
(Rires). Ne soyez pas pressé. Je rentre en Côte d’Ivoire et j’ai un parti politique qui va se réunir, et les décisions qui en découleront seront appliquées.
Par Christophe Boisbouvier RFI
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