Une affaire de crânes humains
Par Jean-Luc Mélenchon
Carlos Martens Bilongo, député injurié par un raciste du RN, a déposé avec le groupe insoumis une proposition de loi très marquante. Il s’agit de rendre des crânes aux familles et aux pays d’origine. Ils ont été collectés dans l’empire colonial en décapitant des combattants qui affrontaient les troupes françaises. L’étude de ces crânes et de leurs formes devait servir à hiérarchiser la diversité des humains. Rien de moins. Le racisme voulait être une science et tirer des savoirs sur le « contenu en partant du contenant ». On multipliait donc les « collectes » de têtes sur les fronts de guerres coloniales.
Au premier débat auquel j’ai participé à propos de la Nouvelle-Calédonie, quelqu’un me donna une information bien cachée. La tête du grand chef Ataï, héros de la grande révolte kanak de 1878, se trouverait dans un bocal au Musée de l’homme. Je demandai donc de restituer ce reste aux descendants du grand chef. On m’opposa d’abord que le bocal était perdu. Il fut pourtant opportunément retrouvé huit ans plus tard. Et l’inhumation dans les règles coutumières eut enfin lieu sur le site de Wereha à La Foa en Calédonie. C’étaient plus de cent quarante-trois ans après la mort du grand chef kanak. Encore avait-il fallu qu’un décret le permette ! Oui, un décret ! Car ce crâne était classé comme une pièce de collection annexée administrativement au patrimoine national.
Même formalité en 2002 quand s’est faite la restitution à l’Afrique du Sud en 2002 de la dépouille de la malheureuse Sarah Baartman, « Vénus hottentote ». Son cadavre, ou son moulage avait été exposé des années durant au centre d’une salle du musée. Nue. Il s’agissait de montrer l’angle droit de ses fesses par rapport à la ligne du dos. Elle était présentée comme un modèle de fessier « stéatopyge » (belles fesses).
Pas une absurdité écœurante n’est impossible quand on entre dans la névrose raciste. À la fin du dix-neuvième siècle, des « scientifiques » prétendirent aussi avoir découvert un grand marqueur de l’identité humaine : « l’angle facial ». Celui formé par la ligne nez-front avec l’horizontale. Grâce à cette mesure, Pierre Camper établissait un lien entre le niveau d’intelligence et le degré de cet angle. La différence des angles faciaux établirait la « différence des races ». Un délire. Et le délire est contagieux. Car comme de bien entendu on est vite passé à une classification généralisée de tous les humains entre eux. Devinez la suite ! Du racisme on est passé au sexisme le plus grossier. Ainsi à la fin du dix-neuvième siècle, l’anthropologue Gustave Le Bon ayant mesuré la capacité crânienne moyenne des singes en tira des conclusions sidérantes. « Dans les races les plus intelligentes, comme les Parisiens, écrit Le Bon, il y a une notable proportion de la population féminine dont les crânes se rapprochent plus par leur volume de ceux des gorilles que des crânes de sexe masculin les plus développés. […] Cette infériorité [intellectuelle des femmes] est trop évidente pour être contestée un instant ». Éric Zemmour n’a rien inventé.
Les démêlés de notre pays avec les conséquences de ces absurdités n’ont pas cessé. En janvier 2012, la France a rendu plusieurs têtes tatouées au musée maori Te papa en Nouvelle-Zélande. N’oublions pas ici les restes du roi malgache du Menabe Toera et de son bras droit Vongovongo dont les crânes étaient également stockés à Paris. Mais le dossier des crânes n’est pas purgé pour autant.
Se posait encore jusqu’en 2020 le problème de 24 crânes d’Algériens décapités en 1849 lors de la bataille de Zaatcha contre la colonisation française. Parmi eux celui du chef de la révolte, Bou Ziane et de son fils Hassan dorénavant mis en terre au carré des martyrs de la Révolution à Alger. Par exception, le gouvernement français a rendu cinq de ces crânes sans procéder pour autant à leur déclassement par décret. Les autres sont restés dans les réserves. D’où la proposition de loi de Carlos Martens Bilongo et des députés insoumis.
On connait le destin du racisme politique au Vingtième siècle. Le voici de retour quand un député du RN violant la nature même de l’institution parlementaire fait une agression raciste en plein cœur du parlement. C’est un seuil franchi. Il n’y a pas de limite « naturelle » aux absurdités du racisme. Sinon dans la répression la plus sévère de son expression et de ses crimes.
Je ne finis pas ce post sans dire un mot pour l’honneur des équipes du musée de l’homme où furent faites ces « collections ». Le « réseau du Musée de l’Homme » a été la première organisation de résistance à l’occupation nazie, dès juin 1940 ! Créé par Yvonne Oddon (bibliothécaire), Boris Vildé et Anatole Lewitsky (ethnologues), le réseau a vite compté cent membres ! Paul Rivet, fondateur du Musée de l’Homme en 1937 et son équipe se montrèrent ainsi fidèles à l’idéal d’un musée dédié à la personne humaine. Le 23 février 1942, sept d’entre eux sont fusillés par les Allemands au Mont Valérien.
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