Clarifions-le dès le départ, de Blé Goudé et de son mouvement, nous ne sommes ni militant, ni sympathisant. Nous en sommes même assez loin. Tout lecteur scrupuleux se le dirait à juste titre, un tel exorde est sans intérêt. Hélas non ! Chez nous, tout discours ayant pour objet la politique, est de toutes parts rapidement encarté dans la partitocratie ivoirienne. Les intelligences s’arasent de ce fait, l’analyse se disqualifie, et des étiquettes sont accolées.
Le nôtre de discours est résolument métapolitique. À ce propos, Alain de Benoist promoteur de cette métapolitique, le rappelait plaisamment : « les étiquettes, c’est pour les pots de confitures ». Nous n’en sommes pas, alors nous n’en voulons pas. Voilà qui est clair !
Blé Goudé sera donc de retour en Côte d’ivoire le 26 novembre. La date est désormais connue. Certains analystes à l’instar de professeur Simplice Dion, ne la trouve pas anodine, elle serait le fruit de la tacticité politique du président de la république ivoirienne. Nous sommes en politique, et nous aurions tort d’écarter des pistes analytiques quelles qu’elles soient. Surtout en Côte d’Ivoire.
Bien au-delà de cette hypothèse du philosophe, des conclusions et analyses qui pourraient en découler, jeter un regard sur l’homme Blé Goudé, nous parait être d’une grande importance.
L’ancien général de la rue, sera là. Loin de notre partitocentrisme, la plus grande partie des ivoiriens sera indifférente. Les nombreux partisans de l’homme exulteront, ses détracteurs tout aussi nombreux, se lamenteront, et fulmineront de colère pour d’autres. Les plus rétifs au personnage, re-créons peut-être des associations de victimes, afin de demander que soit de nouveau judiciariser son dossier. Ainsi va la Cote d’Ivoire ! Telle est sa comedia dell’arte.
Outre ces constats prévisibles, l’importance du retour de l’ex chef de la galaxie patriotique se trouve ailleurs. En effet, la venue de Blé, nous paraît faire de cet autre viel arrivant, une de pièces maîtresses du futur politique ivoirien.
Blé Goudé : une métamorphose remarquable
Blé Goudé semble avoir changé. Simple tactique politicienne comme le postulent certains ? Le temps nous dissipera ! En attendant, Blé la machette pour ses détracteurs se présente désormais en Blé la sagesse.
L’homme parait en effet, être fait d’une autre argile. Fini les propos musclés, verveux et fougueux. Place est faite à un verbe policé, maîtrisé et manier avec prudence. Fidèle à ses proverbes et paraboles, Blé se pose et se projette en réconciliateur. Sans se flageller ou se renier, il reconnait avoir une part de responsabilité dans la crise que nous avons connue. Les blessures par lui causées, il les concède et entend même les réparer éventuellement. Beaucoup plus léger certes, l’aspect vestimentaire n’est pas en reste. La casquette de ‘’général’’ a été dévissée et abandonnée. Plus d’étoiles, mais gonflé de gallons, l’ex ‘’général’’ de la rue ne porte plus de ‘’treillis’’. Il est à présent paré de costume assorti de belles cravates. Général a ‘’baissé les armes’’.
Preuve qu’il s’agit d’une action concertée, fruit d’une nouvelle communication politique, cette mue s’étend à ses lieutenants. Richard Dacoury et le professeur Nogbou l’ont démontré dans leurs passages dans des émissions politiques. Le dernier cité en réponse à un téléspectateur, injuriant vis-à-vis de son leader et de la génération Fesci dont il est membre, apposa un calme magistrale, fut avenant et dit comprendre la réaction de l’appelant.
La stratégie que nous évoquons plus haut, sera indubitablement le moment venu porteuse de dividendes politiques. Elle nous semble de surcroît être la conséquence de la posture de Charles Blé Goudé, dans son rapport à son mentor.
Blé Goudé : ‘’tuer le père’’ sans l’enterrer.
Un autre point qui nous parait donner une sérieuse avance au nouveau Blé, est son rapport à son mentor.
Erreur, tactique ou hasard aujourd’hui bénéfique, Blé Goudé n’a jamais été encarté au Fpi de Laurent Gbagbo. Devenu le filleul, puis fidèle lieutenant de l’ancien président lors de la récente crise militaro-civile ivoirienne, son ascendance sur une partie non négligeable de la jeunesse de notre pays est indéniable. Celle du Fpi du moins, et de toute la coalition de partis qui lui gravitait autour, la fameuse Lmp.
Cette relative indépendance de l’ancien leader de la galaxie patriotique, lui donne une avance non négligeable sur ses autres concurrents à la succession du mentor Laurent Gbagbo.
Contrairement aux autres, Blé le dit et ne s’en cache pas, il a des ambitions pour la Côte d’Ivoire et entend la diriger. Les autres eux, continuent de vouloir évoluer dans l’ombre du père tout en espérant être secrètement désignés par lui afin de bénéficier sans effort de son aura indiscutable. D’ailleurs, cette aura quoique que forte, est-elle demeurée inchangée après les départs de Simone, Affi, et Blé Goudé ? La réponse appartient encore une fois au temps.
Il n’en pas moins, que Blé a quant à lui fait ses preuves, mené des combats, été le leader incontesté de l’opposition aux adversaires de Laurent Gbagbo lors de notre récente crise. Il en a payé les conséquences, tout autant sinon plus que tous les autres. Conscient comme tous de la non éternité de nos leaders, il en a tiré la bonne conclusion et fait choix : transformer son mouvement en parti politique.
La transformation du Cojep en parti politique, est la matérialisation de l’indépendance de Blé face au Fpi. Son alliance était avec le père et non avec sa famille. Elle était ponctuelle, et relative à un combat. Son combat étant fini, libre à lui de continuer son aventure politique, tout en affirmant de façon clair qu’il entendait bien profiter de l’héritage politique dudit père. Cette approche lui donne une grande marge de manœuvre.
Tout comme l’actuel président et Bédié, Gbagbo qu’on le veuille ou non, est en fin de carrière. Il serait bien naïf de croire comme semblent le faire les Pickass et Katinan, qu’il suffit d’être son pygmalion, évoluer dans son ombre pour postérieurement jouir de cette fidèle proximité. Selon nous, l’après-Gbagbo, donnera lieu à un émiettement de ses militants. Et si la rupture avec Affi et Simone a été houleuse, celle avec Blé ne l’est pas. Cet émiettement lui profitera donc.
De fait, tout en marquant son indépendance relativement à Gbagbo, l’ancien leader des jeunes patriotes, se garde de tout propos pouvant heurter leur héros qu’il a été. Ce refus d’une conflictualité frontale avec le père et son évitement pointilleux, sont dus tant à la révérence dont ce dernier doit faire objet, mais aussi au besoin de ne pas perdre ses militants et même certains caciques qui l’entourent. L’instant venu, ces derniers sauront s’en souvenir.
Blé Goudé sera donc vraisemblablement le véritable héritier de Gbagbo. Katinan et Pickass entre autres l’ont compris. Ceux-ci donnent déjà de la voix afin de le pourfendre. Trop tard ! L’ancien ‘’général’’ mène au score et de beaucoup. Il a ‘’tué le père’’, mais ne l’a pas enterré, il a compris que ‘’son corps’’ pourra lui servir dans les luttes à venir.
L’avance de Blé nous parait aller bien au-delà de ‘’la grande famille’’ Gbagbo et ses concurrents qui s’y trouvent. Elle les transcende.
Blé Goudé et la nouvelle génération
Le futur politique ivoirien sera indiscutablement celui de la bataille au sein de la nouvelle génération. Dans cette bataille, il ne faudrait pas exclure des surprises. Les inconnus de l’équation sont nombreux, le député-maire de Tiassalé pourrait à n’en point douter y jouer un grand rôle.
Sur les contours flous de cette nouvelle génération, ses ambiguïtés et ses faiblesses, nous avons déjà écrit. Nous avions alors distingué les jeunophobes, des jeunophiles et des jeunosceptiques. (Voir Gbagbo apocalypse ou renaissance ?).
Les trois grandes formations politiques ivoiriennes, seront les terrains d’action de cette bataille générationnelle à venir. Les soldats de qualité pour la mener sont nombreux. De façon non exhaustive Touré Mamadou pour le Rhdp, Pickass pour le PPAci, Amankou pour le Pdci sont bien présents.
La guerre de succession et de génération sera sans merci et pleine de rebondissements et retournements. La volonté affichée de nos leaders, figures tutélaires des trois grandes formations politiques de pacifier leur succession n’y fera rien.
Blé Goudé de par sa démarche, s’échappe du champ de ces combats, du moins dans une de ses dimensions, celle de la lutte intra-parti. Il semble aiguiser ses armes pour la lutte interpartis, la conquête du pouvoir, récolter les plus beaux restes du Ppaci post-Gbagbo et préparer des alliances. Rien n’est à exclure à ce niveau.
Par ailleurs si la ‘’science politique’’ offre des armes et non des moindres pour préparer et assumer la succession du mentor, tout en restant dans son ombre comme le font les jeunes loups des formations politiques ivoiriennes ; force est de reconnaître qu’ils ne les utilisent pas. Ces derniers ont indubitablement leur procédure que nous ne maîtrisons pas. Cependant, rester indéfiniment dans l’ombre du père et s’en vanter, nous paraît être à la longue contreproductif. Car il faut s’en convaincre, la synergie qui existe entre nos trois leaders et la base ethno-populaire de leurs mouvements politiques ne seront pas librement transférables à celui qui se serait montré le plus fidèle au mentor. Les leaders de la nouvelle génération présents dans les formations politiques ivoiriennes, devraient donc prendre garde.
Si le nouvel arrivant semble au regard de sa nouvelle posture, de son rapport au mentor et celui à la nouvelle génération, en avance ; le grand inconnu demeure celui de sa relation au peuple ivoirien, le seul et vrai souverain détenteur de pouvoir.
Blé Goudé et le peuple de Côte d’Ivoire
Les lignes qui ont précédées sont analytiques et prospectives, à ce titre elles peuvent donc être sujet à erreurs et failles. Elles auraient pu inclure l’avance de Blé Goudé, au regard du symbolisme politique ivoirien et tant d’autres points. Rappelons par ailleurs, que sa condamnation par la justice de notre pays, peut à elle seule entraver et empêcher son action politique. Néanmoins, en politique, l’avenir offre toujours des possibilités infinies. Les politiciens les plus retors le comprennent, ils travaillent donc à le faire, refaire, parfaire et tordre parfois à leur fin. Tout cet exercice d’action sur l’avenir, a pour dédicataire, le peuple.
Le peuple de Côte d’Ivoire lui, est depuis plus de 30 ans partagé entre trois leaders qui sont en fin de parcours, un cycle politique ivoirien se fermera donc immanquablement. Un nouveau naîtra avec pour acteurs, nombreux politiciens de notre pays et non des moindres. Blé en fait partie.
La personnalité de l’ancien chef de la galaxie patriotique clive et a toujours été ainsi. Il ne serait pas exagéré de dire, qu’il est tout autant adulé que haï. En politique, l’adulation se dissipe et la haine se ramollie. D’apogée, on décline et atteint facilement le périgée et réciproquement.
Pour nous, tout porte à croire que Blé, s’il s’y prend intelligemment, sera le vrai gagnant de la chute de la maison Gbagbo ou de sa reconstitution. Cela suffira-t-il pour conquérir le pouvoir ? Assurément non ! Nos leaders l’ont compris, dans leur structuration actuelle, aucune formation politique ne peut à elle seule vaincre dans une élection présidentielle. Pour y arriver la logique d’alliance et de grand bloc est de mise. L’actuel président et le Rhdp l’ont compris, ils y travaillent remarquablement.
Dans cette tectonique des plaques politiques ivoiriennes, quelle place et quel rôle occupera Blé Gougé ? S’affranchira-t-il de cette logique en décidant de faire cavalier seul ? Nouvelles emplettes pour le temps.
Le vrai combat de Blé Goudé, consistera à consolider sa part de l’héritage de Gbagbo. Renouer avec les milliers d’ivoiriens qui lui vouent une haine, et qui de ce fait ne consentiront jamais à faire le pas nécessaire à faire de lui un sérieux présidentiable. Il devra par ailleurs, ainsi que tous les autres réinventer de nouveaux codes et discours politiques nécessaires à mobiliser les indifférents et surtout attirer les nouveaux majeurs, qui semblent être dangereusement inintéressés par la chose politique ivoirienne. Il leur faudra à tous, jeter à la poubelle de l’histoire, l’ethno-politique, pour résolument s’installer dans un post-ethnicisme. Toutes ces tâches politiques pourront se faire au travers de nouvelles alliances à court terme, ou à long terme seul, mais en s’adossant à un programme politique sérieux pouvant assurer le bien être au plus grand nombre d’Ivoiriens. Le pourra-t-il ? Encore un devoir soumis au temps !
À n’en point douter, l’avenir politique de la Côte d’Ivoire, s’écrira avec Blé Goudé. À ce propos, une autre vérité semble éclatante : le nouveau Blé Goudé est un phénix. Sera-t-il le phénix-roi ou le phénix faiseur de roi ? Ultime emplette pour chronos ! D’ailleurs, il faut s’en faire une loi, le temps est le véritable maître. Baudelaire l’avait compris, lui qui le disait bien dans L’horloge : « souviens-toi que le temps est un joueur avide/ Qui gagne sans tricher, à tout coup ! C’est la loi/ Le jour décroît ; la nuit augmente, souviens-toi ! »
Ali Savané-Sy
Juriste-écrivain
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