Directrice adjointe de l’Institut Rousseau
Par attachement à son modèle économique, l’Allemagne a infléchi les choix stratégiques de l’Europe vers une plus grande dépendance tous azimuts, estime, dans une tribune au « Monde », la haute fonctionnaire Chloé Ridel, directrice adjointe de l’Institut Rousseau.
A Bruxelles, la salle de réunion occupe une place à part. Il y en a de nombreuses au sein du bâtiment Europa, celui du Conseil européen, souvent sans fenêtres. La salle, room en anglais, est le lieu de discussions interminables jusqu’au bout de la nuit, où sont forgés les compromis, où se nouent et se dénouent les crises…
Adults in the Room (littéralement : « Des adultes dans la pièce ») est le titre original qu’avait choisi Yanis Varoufakis, ex-ministre des finances grec, pour son livre témoignage sur le traitement réservé à la Grèce par ses partenaires européens pendant les années de crise qui ont menacé de faire imploser la zone euro. La Grèce, à cette époque, était ce qu’on appelait en langage bruxellois « l’éléphant dans la pièce » (elephant in the room). L’expression désigne pudiquement un problème que personne ne peut ignorer, puisqu’il prend toute la place dans la salle, mais que l’on craint d’évoquer. La Grèce a été cet éléphant, puis ce fut le tour de l’Italie quand sa dette (privée et publique) a dépassé l’équivalent des 300 % de son PIB, en 2019. Mais l’éléphant était-il vraiment celui que l’on croyait ?
Depuis vingt ans, un éléphant a pris beaucoup de place dans cette même pièce, quitte à écraser les autres pour son confort. Il a généré du ressentiment, au moins autant que la Grèce ou l’Italie. Il a freiné le changement. Cet éléphant, c’est l’Allemagne. Par une forme d’aveuglement devant les nouvelles réalités géopolitiques du XXIe siècle et face au régime autoritaire de Vladimir Poutine, par sa volonté d’imposer son orthodoxie budgétaire, par son refus d’amender un modèle économique tourné vers l’exportation qui lui réussissait mais qui affaiblissait l’autonomie européenne… l’Allemagne s’est comportée comme un hégémon [celui qui exerce l’hégémonie] qui n’assume pas de leadership.
L’hégémonie est égoïste et solitaire, le leadership implique la responsabilité et il a un effet stabilisant pour tous. L’Allemagne n’a pas été plus égoïste que d’autres : les Pays-Bas, le Royaume-Uni ou encore la France ont pu l’être sur certains sujets. Mais son égoïsme a, compte tenu de sa puissance, eu des conséquences déterminantes pour l’Europe.
Pendant tout ce temps, les élites européennes, dont une grande partie de la classe politique française, n’ont cessé de louer la réussite de l’ancien « homme malade » de l’Europe… Pourtant, si l’Europe s’est rendue dépendante tous azimuts – des Etats-Unis pour sa sécurité, de la Russie pour son gaz et de la Chine pour ses débouchés industriels – c’est aussi et surtout du fait des choix stratégiques allemands. Ces choix ne sont pas guidés par le cynisme, même si Berlin peut avoir une fâcheuse tendance à l’entêtement. Ils sont animés par l’obsession de préserver un modèle économique tourné vers l’export, rétif à l’inflation et assis sur une monnaie forte – un modèle qui est au cœur de la reconstruction allemande depuis l’après-guerre.
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Macron juge qu’il n’est « pas bon » pour l’Europe que l’Allemagne « s’isole »
Trends Tendances
Le président français Emmanuel Macron a estimé jeudi qu’il n’était « pas bon » pour l’Europe que l’Allemagne « s’isole », affichant sa volonté de travailler étroitement avec le chancelier allemand Olaf Scholz.
Macron juge qu’il n’est « pas bon » pour l’Europe que l’Allemagne « s’isole »
« Je pense que ce n’est pas bon ni pour l’Allemagne ni pour l’Europe qu’elle s’isole », a-t-il déclaré à son arrivée à Bruxelles pour un sommet européen consacré à la crise provoquée par la flambée des prix de l’énergie.
Emmanuel Macron et Olaf Scholz devaient s’entretenir avant le début du sommet pour tenter d’aplanir les « divergences » entre les deux pays sur les moyens de faire baisser les prix du gaz et de l’électricité.
Plafonner le prix du gaz ne peut fonctionner que si l’UE rallie d’autres pays (Scholz).
La relation franco-allemande, moteur de la coopération européenne, semble en panne. Une réunion des ministres des deux pays, prévue le 26 octobre à Fontainebleau (France), a été reportée au mois de janvier.
« Je ne dirais pas qu’il y a une panne en ce qui me concerne. Je suis depuis plus de cinq ans maintenant toujours là pour essayer de proposer d’avancer, de bâtir l’unité », a assuré Emmanuel Macron.
« Je pense qu’il n’est pas bon qu’un pays s’isole », a-t-il répété. « Notre rôle est de tout faire pour qu’il y ait une unité européenne et que l’Allemagne en fasse partie », a-t-il insisté. « Je souhaite vraiment qu’on puisse trouver ces voies de convergences ».
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