La vie mais surtout la mort de DJ Arafat nous apprend que l’Afrique francophone est installée dans la société du spectacle. La musique est devenue un pur divertissement. Bientôt, ce sera le tour de la littérature, de la politique, et pourquoi pas de la guerre ?
La société du spectacle
La colonie qui deviendra plus tard un état est un produit du capitalisme. L’irruption de la marchandise européenne au 16e siècle a profondément modifié les nations africaines. À l’heure où les centres commerciaux, les super et hypermarchés, véritables cathédrales de la consommation, ouvrent un peu partout en Afrique francophone, que les foyers sont connectés au monde à travers leurs écrans de télévision, d’ordinateur ou de téléphone portable, que les consciences, perméables au marketing y voient globalement les signes du progrès et la promesse du bien-être généralisé, les conditions d’émergence de la société du spectacle sont réunies.
L’une des caractéristiques de notre consommateur est qu’il est pauvre. Pourtant, il consomme. Il est prêt à faire des sacrifices pour boire du vin de France, rouler dans une voiture d’occasion allemande, s’habiller en wax hollandais, acheter des produits technologiques chinois, etc. Oui, il est submergé par la marchandise source de plaisir et réclame du divertissement pour s’oublier. Il n’en sortira peut-être pas. De cette pauvreté. Peu nombreux sont ceux qui pensent ces états en mesure de contrôler un jour leur destin. Mais qu’importe. L’essentiel est que la joie et la bonne humeur l’accompagnent dans son existence qui durera en moyenne 60 ans. Espérance de vie. C’est qu’il est périlleux de vieillir dans ces pays. Tous ceux qui le peuvent vont acheter la santé à l’étranger. Dans cette société du spectacle, il n’est plus question de prendre conscience de sa condition et de la transformer par l’action. Non. Il suffit de l’oublier, de la maquiller ou de l’enfouir dans des tonnes et des tonnes de marchandises pour que, comme par miracle, tout devienne lumineux, joyeux, paradisiaque. Du moins, en apparence.
Les valeurs, en Afrique francophone sont également en train de muter : nous passons de celles donnant la primauté aux aînés, à d’autres, plus favorables aux jeunes. Rappelons que ces pays sont majoritairement composés d’individus âgés de moins de 19 ans. Cette tendance, d’après les démographes, s’accentuera dans les décennies à venir.
Mort du héros moderne
Trente ans après la mort de Thomas Sankara, on peut conjecturer que l’Afrique francophone ne fabriquera plus de héros modernes. Il s’agit d’hommes ou de femmes portés par un idéal pour la société, idéal pour lequel ils vont parfois payer le prix fort, celui de leur vie. En musique, ce type se reconnaît aisément dans Alpha Blondy, dans Tiken Jah Fakoli ou encore Asalfo de Magic System, pour ne citer que ces trois exemples en Côte d’Ivoire. Malgré leurs discours positifs, surtout leur accumulation de marchandises qui témoignent de leur réussite, ils sont restés des exceptions en ce sens que leur enrichissement n’est pas la conséquence de l’enrichissement de la collectivité. Leurs trajectoires ne révèlent pas un dynamisme particulier de l’économie de leur pays, dans certains cas ils se comprennent mieux par la mondialisation qui offre à un artiste la possibilité de se faire connaître partout sur terre. La majorité de la population continue de croupir dans la pauvreté, après les plans quinquennaux, d’émergence, d’ajustements structurels, bref, toutes les thérapies imaginables ayant été expérimentées en Afrique francophone. C’est ainsi que des idées nihilistes ont peu à peu conquis les jeunes esprits, propulsant le divertissement au rang de nouvel idéal.
Entrée en scène du héros postmoderne
L’émergence du héros postmoderne est un changement majeur dont nous n’avons pas encore mesuré toutes les conséquences. Alors que dans certains pays on espère l’homme providentiel, qui serait la figure opposée du tyran, la musique nous offre le premier cas de héros postmoderne en la personne de DJ Arafat. Il place son égo au-dessus de tout. L’espace public est le lieu de projection de celui-ci. La finalité n’étant pas le bien commun, mais la satisfaction individuelle par l’accumulation de la marchandise. Il est donc un individualiste. Pour lui, seule compte la réussite personnelle, même si elle se réalise dans le cadre général de la tyrannie. En somme, s’enrichir alors que la plupart s’appauvrissent ne semble pas être un signal d’alerte indiquant que le système productif et redistributif est défaillant.
Dans son discours, l’appartenance à un pays, à une nation est abolie. On n’est plus ivoirien, mais « chinois, » cette nouvelle tribu qui n’existe que pour célébrer son génie. C’est que l’être ivoirien est entaché par les miasmes de l’ivoirité.
Enfin, le héros postmoderne se caractérise par son hédonisme. Il jouit de la vie. Il prend des risques pour se sentir encore plus vivant. Il est fun. Dans la vibe. La vie pour lui est un gigantesque Disney Land où son égo se projette comme sur la surface réfléchissante d’un miroir. Narcissisme.
Le héros postmoderne, un personnage facilement récupérable
L’individualisme hédoniste dont il est l’apôtre explique sa séduction sur la jeunesse désenchantée. Le projet qu’il leur propose est de s’enjailler, de s’amuser. Être cool, relax est une fin en soi. Ya fohi, est-ce qu’y a même problème ? Il les divertit de la tyrannie qui les incarcère. De ce fait, la figure du héros postmoderne est facilement récupérable par le pouvoir politique. Les obsèques officielles de DJ Arafat, hélas, en sont la démonstration criarde. Toutefois, cet individualisme hédoniste n’est pas exécrable. S’il est pensé, oui, s’il est pensé comme une parenthèse, une oasis, un lieu de re-création de l’esprit, de réappropriation des corps ainsi que des rêves, alors il pourrait devenir la matrice d’où sortira enfin le citoyen.
Timba Bema
Ecrivain, Poète
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