Nous le savions tous, mais Damana Pickass l’a enfin confirmé. L’annonce est celle-là : « Laurent Gbagbo est le candidat naturel du PPACI ». Nous ne ferons pas mine à surprise ! Cette nouvelle, est une antienne. Elle est la conséquence logique de la structuration partitocrate ivoirienne, de même que celle des leaders et logiques qui les incarnent et agissent.
Candidat naturel qu’a dit le fidèle lieutenant de l’ancien président de la république de Côte d’Ivoire. L’expression loin d’être anodine, vaut un bref détour exégétique. Cette naturalisation des faits et décisions politiques, a des implications tant physiques qu’intellectuelles qui sont imparables.
Naturaliser une action politique quelle qu’elle soit, vise à figer et transformer les militants et sympathisants du parti politique qui le fait, en sujets passifs dudit mouvement. L’action naturelle va de soi, elle ne peut ni ne doit être entravée, mais encouragée et accompagnée afin qu’elle se réalise dans un optimum dont la charge est dévolue aux militants qui deviennent dès lors, les sujets réalisateurs de « la destinée manifeste » du parti et son leader.
Ce fatum politique, imposé par le verbe et la verve du lieutenant de notre ancien président, impossibilise malencontreusement, l’espoir d’une alternative et d’un dynamisme différents de l’option clamée dans son propos. Alternative et dynamisme sont, pourtant, indispensables à la vie normale d’une formation politique.
La sentence Pickassienne est insusceptible d’appel : candidat naturel, candidat divin ! There is no alternative, dirait la dame de fer.
À la décharge du PPACI, notons que ce constat préliminaire, n’est pas son idiosyncrasie exclusive. Elle est gémellaire aux trois grands partis politiques ivoiriens, et est fille de l’intellectualité sociohistorique qui les actionne.
L’annonce de Pickass, s’est faite en marge du premier anniversaire de la formation politique dont il est le porte-parole. Cette organisation a, dès ses premières heures clairement affirmé son encrage idéologique : elle est de gauche et panafricaniste. Un an après, ce positionnement mérite une seconde remarque périphérique à l’annonce qui fut faite.
Tenons-nous en à la première, l’ancrage à gauche. Sur ce point, il ne s’agit assurément pas de postuler que la gauche serait le camp de la vertu et la droite celle du vice, et inversement. Cette seconde digression tend juste, à croiser d’une part l’affirmation d’une appartenance idéologique, et la pratique concrète devant en issir.
Le PPACI a-t-il, un an après sa création, été une réelle force propositionnelle de gauche ? A-t-il été audible et dense sur des sujets traditionnels et d’actualité, qui ailleurs mobilisent la gauche ? À ces questions, nous répondons par la négative.
Nous ne nous gloserons pas sur les silences et absences de la nouvelle formation de gauche, à propos des questions sensées êtres les siennes. Nous ne ferons encore moins pas état, du divorce parfois flagrant entre la posture de certains de ses cadres, et l’idéal de gauche. Il s’agira plutôt d’une brève évocation, au regard d’un interrogatoire quinaire, de la désertion par cette formation politique, des problématiques de gauche.
Quelle proposition ce parti a-t-il fait, au titre d’une nouvelle et réelle participation des classes populaires au processus des décisions politiques ? Que propose-t-il à propos des inégalités de revenus et de patrimoines, de même qu’à propos des injustices sociales ? Quelles sont ses propositions et positions sur les questions de l’identité et la nationalité ? Quelle est son regard clair sur la dialectique capital-travail et in extenso temps de travail ? Enfin, quel est son discours politique et idéologique sur l’urgence écolo-climatique ?
Sur ces cinq problématiques entre tant d’autres, le silence et l’inaudibilité du PPACI sont retentissants et consternants. Peut-être que les propositions du nouveau parti sur ces questions existent, et nous auraient échappé. Dans ce cas, nous ferons amende honorable. Peut-être que par ailleurs, cette formation politique est dépositaire d’une nouvelle forme de gauche qu’il convient de clarifier. En attendant, en sus de nos deux digressions préliminaires, revenons au propos du secrétaire général du PPACI.
L’annonce de Katinan : trois hommes, deux logiques.
L’annonce de Pickass, nous l’avions déjà signifié, n’est pas surprenante. Elle est la résultante logique, de l’intellectualité sociohistorique qui agite la sphère politique ivoirienne. Nous nous y attendions donc inéluctablement.
À partir d’une analyse, prenant comme point de départ nos trois leaders, et les partis politiques dont ils sont les maîtres incontestés, « la candidature naturelle », de l’ancien président de la république laisse s’affronter deux logiques somme toute assez banales : celle de la conservation contre celle de la reconquête.
Gardons-le à l’esprit, nos trois leaders sont tous héritiers du premier président ivoirien. Leurs querelles sont conséquemment celles d’héritiers putatifs, réclamant leur droit à être. La matérialisation ultime de ce droit, est l’accession à la magistrature suprême de notre pays.
Chez notre actuel président, exclu de la famille Houphouetienne, après le départ de ce dernier, la logique de conservation règne en maitre. Restructuration du parti, rééquilibrage ethnosociologique…Tels sont, entre autres, les marqueurs de cette logique.
Au Rhdp, l’option d’une auto-retraite- il est important de le préciser- du président de la république, est beaucoup plus envisageable que dans les deux autres formations rivales. D’ailleurs, son éventuelle candidature est beaucoup plus liée au maintien de celle des deux autres leaders, à laquelle, il faudrait ajouter l’absence d’une personnalité pouvant à son entendement, assumer sans risque son remplacement.
Malgré ce constat, la logique de conservation dont nous faisons état, n’est pas à écarter au Rhdp. Elle est surtout la manifestation d’une volonté intangible, de rester fidèle à un système et à un idéal libéral-technocratique, adossé à des rapports pacifiques avec l’occident, de même que les institutions qui le structurent.
Au Rhdp, il convient tout simplement de mettre tout en œuvre, afin que quand bien même l’actuel président s’en irait, il demeure présent à travers la ligne politique et de gouvernance qu’il a façonnée. L’héritage cueilli, devrait rester dans la famille du père même en son absence, et devrait être géré selon son esprit et sa lettre. Partir tout en restant, voilà tout.
Dans nos deux autres grandes formations politiques, la logique est avant tout celle de la reconquête. Le lecteur, pourrait légitimement se demander, pourquoi nonobstant le grand âge, l’état parfois valétudinaire, et en dernier ressort, l’exercice par le passé de la charge suprême de président de la république, nos deux autres elders, n’abandonnent tout simplement pas la course pour le pouvoir d’État ?
Entre mille autres raisons, la volonté intrépide de reconquérir le pouvoir d’État de la part de nos deux anciens présidents, devrait selon nous, être corrélée à la façon dont, ils l’ont perdu.
L’ex-président Henri Konan Bédié fut élu président de la république de la Côte d’ivoire. Sa légitimité continuellement contestée par ses opposants d’alors, il finit par perdre le pouvoir par un putsch en 1999. Bédié a donc été illégalement et illégitimement évincé du pouvoir. Le reconquérir pour lui, s’avère donc être une nécessité impérieuse à son égo politique, et la juste correction d’une histoire et trajectoire politique cassées et souillées par cette perte de pouvoir inique.
Chez le PPACI et notre avant-dernier président de la république, la logique est similaire. Lui aussi élu, et contesté par ses opposants, victime d’une rébellion, sa perte de pouvoir pour lui et ses partisans demeure une injustice politique, dont la correction ne viendrait que d’une reconquête du pouvoir. Celle-ci aura pour but de symboliquement corriger l’histoire, la restituer et donner la fin honorable méritée au leader déchu de son droit.
Les logiques qui soutiennent les postures de nos ‘’elders’’ vis-à-vis du pouvoir d’État ayant été brièvement explicitées, quid des questions de la jeunesse et de la nécessité d’une nouvelle génération politique qui sont constamment soulevées ?
Candidature des elders : jeunophiles, jeunohobes et jeunosceptiques.
La domination sans partage de la vie politique ivoirienne par nos trois elders, ne semble pas faire l’unanimité. Nombreuses voix, affirment et proclament la nécessité de se départir d’eux, afin d’inaugurer une nouvelle ère politique rompant avec la leur, surtout dans ses aspects les plus mortifères.
Pour ces voix à qui nous faisons allusion, tourner dos aux elders, nous ferait définitivement tourner dos aux différentes crises latentes que nous vivons. Crises qui faut-il le rappeler deviennent explosives, sanglantes procédant parfois à un véritable ensauvagement des nôtres à échéance quinquennale. Les tenants de cette thèse pour nous utopique, nous les nommons les jeunophiles.
Contrairement aux jeunophiles, d’autres semblent plus ou moins s’accommoder à notre gérontocratie/Eldercratie. Pour eux, il n’est pas nécessaire que la politique de notre pays, soit dirigée par des jeunes, ou une nouvelle génération, afin que nous nous portions mieux. Pour ces derniers, nos gérontes, leurs épigones et pygmalions sont les mieux à même de bien diriger le navire ivoire et le mener à bon port. La jeunesse n’étant pas essentiellement gage de réussite, il concède que celle-ci puisse diriger notre pays, à l’unique condition d’être oint par les « anciens », qui en dernier ressort donneraient l’onction finale aux jeunes qui devraient/souhaiteraient prendre les rênes du pays. Ces derniers, nous les appelons les jeunophobes.
Sur cette question, nous ne nous sentons appartenir à aucun des deux camps. Donc, ni jeunophiles, ni jeunophobes !
La jeunesse, est indiscutablement porteuse d’une vigueur dont a besoin l’univers politique. La vieillesse à contrario, est exposée à nombreux aléas qui peuvent desservir l’exercice du pouvoir d’État. Ce constat étant fait, des remarques demeures. Qu’appelle-t-on jeune et vieux ? Quelles sont les limites et contours de ces qualificatifs ? Quand commence-t-on à être jeune et quand cesse-t-on de l’être ? La vigueur physique de la jeunesse est-elle une condition nécessaire, suffisante et essentielle à garantir une bonne gestion du pouvoir ?
Pour nous, la réduction du discours de l’alternative aux elders au prisme oppositionnel jeune-vieux est mal à propos. Croire ou laisser entendre qu’il faudrait à notre pays des jeunes dirigeants ou gouvernants, est aussi sérieux que postuler qu’il suffirait d’avoir des bras pour être basketteur, qui plus est excellent. La jeunesse ne peut et ne saurait être une catégorie politique efficiente, quant aux trouvailles nécessaires à assurer un avenir meilleur à notre pays.
La politique est avant tout une ‘’science’’ des idées et des combats intellectuels mis au service d’une cause. Elle a pour ultime téléologie, de s’assurer d’un mieux-être du plus grand nombre, surtout les souffreteux. Les questions qui y sont relatives, ne peuvent donc indiscutablement être réduites à des oppositions binaires et désuètes entre jeunes et vieux.
L’interrogation ne devrait pas être jeune ou vieux, mais quel jeune et quel vieux. Oui à tout politicien quel que soit son âge, sauf dispositions constitutionnelles contraires, qui de par ses idées neuves, innovantes, progressistes, parfois révolutionnaires et iconoclastes, réussit à concrètement et positivement impacter la vie des millions d’Ivoiriens.
Où sont donc, les théories politiques, juridiques, scientifiques, trouvailles techniques, propositions… commises par les jeunes Ivoiriens, et pouvant aller dans le sens d’une amélioration du plus grand nombre d’Ivoiriens ? Existent-t-elles ? Au regard de ces questions, nous ne pouvons être que jeunoscpetiques.
Il serait d’ailleurs important de relever, que dans nos différents partis politiques, les concernés-les jeunes- semblent avoir tranché la question. Dans ces mouvements politiques, la relève a définitivement abandonné l’idée d’une rupture avec les elders. Elle a plutôt fait le choix d’un accompagnement, d’une marche dans l’ombre de ses derniers, afin que ceux-ci le moment venu, les oignent pour la conquête du pouvoir. Aux rares qui s’éloignent de cette ligne, l’option dissidence et shiisme en dehors de la structure mère, est l’ultime recours.
Au regard de ce qui précède, sauf exclusion sur base juridique de nos deux anciens présidents, l’adoubement des jeunes de leurs partis y aidant, quinze ans plus tard, 2025 sera un remake de 2010.
L’annonce de Pickass : futur déjà passé
2025 nous mènera peut-être en 2010. Notre futur s’est donc déjà passé. Les trois leaders se sont affrontés, deux d’entre eux se sont qualifiés pour le second tour, le troisième s’est uni à l’un des deux vainqueurs, le second tour s’est soldé par la non reconnaissance de la victoire ou la défaite d’un candidat, une guerre civile a émergé, les militaires s’en sont mêlés, et le carnage s’est produit.
Voici, à quoi pourrait ressembler 2025 si nous ne prenons garde. On pourrait être à même de se dire, que ce scenario pourrait être évité, par une exclusion constitutionnelle des deux autres elders. L’on s’y méprendrait gravement !
Exclure les deux elders, aura que le même effet qu’eut l’exclusion de notre actuel président par la junte putschiste de 1999. Les militants en nombres non négligeables de ces partis politiques, frapperont le président élu de déficit de légitimité. Or en Côte d’ivoire, invariant historique, le déficit de légitimité supposée ou réel d’un président élu est toujours le prodrome de la guerre ou fracture sociale irrémédiable.
D’une part une configuration typique à l’élection de 2010, avec un risque important d’un remake tragique, d’autre part une élimination des deux autres qui parait être une vraie fausse solution. Résoudre la situation politique ivoirienne, semble relever de l’aporie. Deux autres options demeurent néanmoins envisageables.
La trois elders sont déclarés éligibles à la magistrature suprême ivoirienne. Les deux opposants saisissant leur ultime chance pour réaliser ce qui leur parait être une correction de l’histoire et la possibilité d’être rétablis. Notre actuel président de la république quant à lui démontrerait aux yeux de tous, les fruits de son activisme politique et stratégie de percée dans le bastion de ses opposants d’alors. Le perdant reconnaitrait sa défaite, le vainqueur jouirait sans aucune contestation de sa victoire et de son quinquennat. Notre pays tournera le dos alors définitivement à plus de trois décennies de conflits politiques. Doux rêve renchériront certains, ils n’auront pas tort. Que faire alors ?
Commencer dès maintenant, intellectuels, sociétés civiles, ONG et autres organisations et organismes, à parcourir le pays, produire un narratif anticipatif, à même de prévenir le grand étripage à venir. Ne pas attendre qu’advienne ce futur apocalyptique, que nous réserve un nouvel affrontement entre nos trois leaders. Il nous faut aller à son encontre et le repousser loin, le détourner, le détruire même.
La guerre, les massacres, les crimes de masse et autres sont aussi le fait de nous-mêmes sur nous-mêmes et contre nous-mêmes. Alors, votons en 2025, puis passons à autre chose. Celui d’entre nos leaders qui désire contester la victoire de son adversaire, qu’il le fasse conformément aux dispositions légales de notre pays. S’il les estime pas fiables, que d’ores et déjà, il s’attèle à mener son combat afin de le rendre juste.
Bref au-delà de ces banalités, une seule chose : plus avec nous ! Plus jamais nos corps pour votre cour. Plus jamais notre sang pour votre aise. Soyons donc résolument Boétiens, sonnons le glas de notre servitude volontaire.
Apocalypse ou renaissance en Côte d’Ivoire, la balle est dans notre camp. Alors apocalypse ou renaissance ?
Ali Savané Sy
Juriste, écrivain
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