Les parallèles entre les deux pays sont saisissants ! Mais la République centrafricaine a quelques années d’avance sur le Mali : entre la pratique du pouvoir, les ingérences étrangères et la prédation des ressources naturelles, les menaces sont nombreuses pour les Maliens. Attention !
Personne n’a de boule de cristal évidemment, mais l’exemple de la République centrafricaine a de quoi faire réfléchir nos frères maliens. Car la trajectoire des deux pays concentre de nombreuses similitudes : le Mali rêve-t-il du même futur que la Centrafrique ? Espérons que non, car le pouvoir à Bangui a fait des choix plus que discutables pour l’avenir de son peuple et de sa souveraineté. Regardons de plus près ce qui guette Bamako.
Pratique du pouvoir
Quand on tient le pouvoir, difficile de le lâcher. Depuis les indépendances, combien sont-ils les chefs d’État africain à s’être accrochés à leur trône ? Des dizaines ! Qu’ils soient arrivés à la tête du pays par un putsch militaire ou par des élections entachées d’irrégularités, la mainmise totale est la règle. À Bangui, Faustin-Archange Touadéra a été investi président une première fois en 2016, une seconde fois en 2021. Mais la Constitution ne prévoit que deux mandats… Si bien que le président – autrefois surnommé « le candidat du peuple » – est en train de préparer un tour de passe-passe en changeant la Constitution ! Son projet : un référendum, dans les mois qui viennent, qui lui permettrait de briguer un troisième mandat en 2025. Car ses tentatives de dialogue avec l’opposition, au printemps dernier, se sont soldées par un échec patent. « Je vous ai écoutés, a déclaré Touadéra en août dernier, au moment de la fête de l’Indépendance. Je prends acte de vos sollicitations pressantes qui me sont parvenues de partout réclamant une nouvelle Constitution. Je voudrais réaffirmer ma volonté de respecter la Constitution et la volonté du peuple souverain. Comme j’ai eu à le réaffirmer en certaines circonstances, je ne ferai rien sans la volonté du peuple détenteur de la souveraineté nationale. » Qui peut bien le croire ?
L’histoire du continent regorge d’exemples comme celui-ci : Denis Sassou Nguesso en République du Congo (7 mandats), Idriss Déby au Tchad (6 mandats) ou Yoweri Museveni en Ouganda (6 mandats). Pourtant, comme l’écrit avec justesse le Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « la limitation des mandats présidentiels est la clé du progrès démocratique et de la sécurité en Afrique. Les mandats présidentiels les plus longs sont liés à une corruption accrue, à une réduction des droits civiques et à une plus grande fréquence des conflits ». Le Mali, lui, n’en est pas encore là : mais le président de la Transition, le colonel Assimi Goïta, a tout du futur roi omnipotent. Malgré ses promesses, le processus électoral est mal engagé, et il y a fort à parier que Goïta troquera son uniforme pour le costume cravate en 2023 ou 2024.
Les Russes à la rescousse
Les présidents Touadéra et Goïta ont aussi appliqué une stratégie commune : bouter les Français hors de leur pays et les remplacer par les Russes de Wagner. En Centrafrique, les soldats de l’ancien pays colonisateur de l’opération Sangaris sont partis en 2016, de manière progressive. Quelques unités restent encore sur le territoire, au sein d’une mission logistique et de la MINUSCA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique). Mais leurs jours sont comptés. Au Mali, le départ a été certes plus rapide, mais a suivi la même stratégie : faire venir les miliciens russes de Wagner pour assurer la sécurité du pays.
Seulement voilà, le constat n’est pas aussi glorieux que les pouvoirs en place veulent bien le laisser croire. Wagner a mis le pied en Centrafrique en 2018. Résultat, quatre ans plus tard : le pays fait partie, selon l’OCDE, des 5 pays les plus fragiles avec la Somalie, le Sud-Soudan, l’Afghanistan et le Yémen. Est-ce que le Mali a envie d’allonger cette liste ? Car la situation sécuritaire en Centrafrique ne s’est pas améliorée, les campagnes de désinformation et même le film russe Touriste – mettant en scène les soldats de Wagner à la sauce hollywoodienne et produit par Yevgeny Prigozhin, proche de Poutine et homme fort de Wagner – ne font que cacher la misère. La Centrafrique va mal. L’ONU ne cesse d’alerter la communauté internationale sur « les violations du cessez-le-feu et les incitations à la violence », selon les mots de la représentante spéciale du Secrétaire général, la Rwandaise Valentine Rugwabiza.
Les « violations des droits humains » et les « atteintes visant les minorités ethniques et religieuses » dénoncées par l’ONU sont une chose ; les viols par centaines et les tueries orchestrés par Wagner en sont une autre. Wagner, arrivé sur le territoire pour former les soldats des Forces armées centrafricaines (FACa), fait régner la terreur. Cela vous rappelle-t-il quelque chose ? Les drapeaux russes brandis dans les rues de Bangui sont un leurre : frères maliens, ne tombez pas vous aussi dans le panneau de la fuite en avant de vos dirigeants !
Main basse sur les ressources naturelles
Trois mille sept cent kilomètres et cinq frontières séparent Bamako de Bangui. Et pourtant, les deux capitales ont plusieurs points communs. La géographie du Mali et de la Centrafrique a forgé une psychologie similaire : celle d’États enclavés, sans accès direct sur l’océan et donc dépendants de leurs voisins pour leur commerce. Cette spécificité n’échappe à personne et conditionne très souvent un repli sur soi-même et une dépendance vis-à-vis des recettes douanières. Mais voilà : le gouvernement centrafricain a bradé ses ressources – naturelles et financières – aux entreprises russes de la galaxie de Yevgeny Prigozhin, le boss de Wagner. L’oligarque russe, surnommé « le cuisinier de Poutine », a déjà fait main basse sur les mines centrafricaines via deux entreprises, M Finans et Lobaye Invest. Le président Touadéra a certainement été bien aidé dans cette décision par le conseiller en matière de sécurité à la présidence de la République, un certain Valery Zakharov du FSB (ex-KGB). Parmi ces conseils avisés, l’abandon des taxes et des barrières douanières au profit des entreprises affiliées à Wagner. Étrange, non ?
Dernier exemple en date de cette prédation tous azimuts : le bois. Depuis février 2021, la société Bois Rouge déboise le pays à tour de bras dans la province de Lobaye au sud-ouest du pays. Bois Rouge n’est pas soumis à l’impôt sur les sociétés, Bois Rouge surexploite la forêt (15 à 20 arbres par jour au lieu de 7), Bois Rouge ne paye quasiment pas de taxe douanière. Difficile d’envier ce modèle ! Qu’a à y gagner le peuple centrafricain, 227e sur 228 au monde selon l’indice de développement humain (IDH) ? Rien du tout. Le Mali, 222e du classement, sait maintenant ce qui l’attend s’il continue sur cette pente dangereuse : les dirigeants s’enrichissent, le peuple trinque. Comme toujours.
Hervé Traoré
Relations internationales entre l’Afrique et l’Europe
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