Notre septembre à Nous
Les causes réelles ou supposées de la rébellion ivoirienne, semblent pour beaucoup aller de soi. Péremptoires, elles sont pour nombreux évidentissimes. La logique de camp et de clan aidant, nous assistons à un argumentaire sacralisant sa raison et niant celle de l’adversaire circonstanciel. Les uns diront que cette rébellion salvifique -pour eux- vint vider par le feu, le déni d’ivoirité auquel ils furent confrontés. Les autres le nieront, ou affirmeront qu’un tel déni ne justifie aucunement une telle sanglante rébellion. Les uns la déclineront en une simple lutte de/ pour le pouvoir, ou encore, à une volonté de puissance et d’enrichissement personnel. Les autres la pareront de noblesse et vertu.
Sans discriminer les arguments des uns et des autres, il conviendrait de faire remarquer que tous ces arguments quoique contradictoires et traversés par une logique oppositionnelle, ne s’invalident pas nécessairement. D’ailleurs, selon nous une réflexion sur la rébellion devrait s’affranchir de cet angle analytique simpliste et inefficient, voulant que l’argumentaire des uns, tire sa validité ultime dans la fausseté de celui des autres. Dès lors, ma raison est d’autant plus vraie, que celle de l’autre est irréductiblement fausse. Cette logique fille d’une approche adversiale poussée à l’hubris, est le signe d’une grille analytique à rationalité close. Il convient de s’en départir.
Quant à nous, nous inscrivons la rébellion ivoirienne dans une triple temporalité causale, dont la dernière nous semble être celle à même de la mieux cerner.
La temporalité première que nous qualifions de présentiste ou spontanéiste consiste à considérer la rébellion du 19 septembre comme crise en soi, née du coup d’état manqué, transformé en rébellion par la suite. La rébellion aurait pour cause, le putsch repoussé et échoué, auquel il faut ajouter les arguments diffus entendus à son propos. Bien qu’assez, voire très minoritaire, cette compréhension de notre septembre noir existe bel et bien.
La seconde temporalité causale, permettant d’appréhender la rébellion ivoirienne, est celle que nous qualifions de continuiste. Par elle, nous entendons l’approche déclinant la rébellion comme une suite logique des guéguerres entre les bénéficiaires putatifs du premier putsch de l’histoire de la Côte d’Ivoire, celui du 24 décembre contre le président Bédié. Elle inclut au nombre de ses épisodes, les nombreux coups d’état réels ou inventés, les complots, les drames, assassinats, tortures, et le charnier habitant les trois années séparant le putsch de 1999 du début de la rébellion.
La troisième temporalité, quoiqu’inexploitée, complexe et englobante, place la rébellion dans une perspective à long terme. Elle nous semble être la mieux à même d’encadrer avec sagacité et justesse la rébellion. Il consiste à travers ce prisme, de mettre ce drame dans la crise générale de l’État-nation Africain. Cet « État-importé » (Bertrand Badié), qui contrairement à ‘’la norme’’ est adossé en Afrique, à une culture politique paroissiale (Almond et Powell).
Partir de cette temporalité permettrait d’exposer les ressorts profonds, lointains et insoupçonnés de cette rébellion. Elle permettra en outre l’intégration de plusieurs variables analytiques non prises en compte jusque-là, à savoir : la démocratie, les institutions, notre rapport au droit, la place des communautés dans le corps national, le peuplement de notre pays, la question des étrangers et de l’immigration, la place de la religion dans la politique, l’identité et la nationalité, les cultures de rente comme effet levier des crises ivoiriennes…
Cette dernière grille analytique, tout en ayant le mérité d’intégrer toutes les deux premières, offre une connaissance des causes premières et déterminantes de nos crises, en nous permettant par la même occasion de les traiter radicalement, afin d’éviter d’y re-tomber.
Un écueil persiste tout de même quand à cette méthode, elle pourrait donner l’impression aux victimes ou à certains lecteurs, qu’il s’agit de noyer la responsabilité des acteurs et auteurs de la dite rébellion, dans un magma d’arguments débouchant sur l’hypothèse que ces derniers seraient plutôt agis par un croisement de circonstances, les ayant conduit inéluctablement à ce tragique évènement.
Loin s’en faut, la temporalité causale à long terme et complexe, n’a pas pour but d’innocenter encore moins culpabiliser auteurs, victimes et autres. Elle consiste en réalité par dépassement des modes de pensées clos, tout en reconnaissant les rôles et responsabilités des acteurs de cette rébellion, à isoler les conditions historiques et sociopolitiques lointaines, rendant possible l’avènement de tels drames. L’adopter, pourrait par exemple nous mener à un regard autre sur le problème du septentrion ivoirien.
Le septentrion Ivoirien : l’irrédentisme mental
Le problème du septentrion ivoirien, est un des nœuds gordien de la rébellion ivoirienne. L’analyser par le biais de la temporalité causale complexe, nécessiterait à lui seul un autre essai. Toutefois, nous en dirons quelques mots.
Commençons par un truisme : la rébellion a indiscutablement été une catastrophe pour le nord. Pour l’école, les infrastructures, la culture, les mœurs, l’économie…
Deuxième et troisième truisme : une grande partie des soldats de la rébellion ivoirienne était originaire du nord ivoirien. Enfin, en toute évidence les populations du nord, tout en ayant été victimes, captives et otages de cette rébellion, semblaient voir en elle et ses acteurs, des héros plutôt que des bourreaux.
L’erreur persistante au regard de ce constat, est d’en recevoir les élans d’un procès à charge, voire d’une inquisition contre l’ambiguë catégorie sociologique que constitue ces dits « nordistes ». Manipulées ou non-débat inutile-, les populations du nord de la Côte d’Ivoire ont indubitablement été pendant près d’une décennie, les sujets d’une prose politique folle, démente, exclusionniste, suprématiste, voire même épuratrice. Les témoignages sont nombreux, les victimes existent, et les traumatismes sont encore vivaces. Constat conséquentiel à cet état des choses, une partie non négligeable s’est sentie exclue, mal aimée et non aimée par la mère patrie qu’ils chérissent tant.
Gardons-le en mémoire, la politique n’est pas que matériel, elle est aussi question d’affect. Et plus de dix années de discours politiques maladroits et humiliants, de même que certaines exactions qui en découlèrent, ont re-dirigé l’affect d’une grande partie des populations du nord vers cette rébellion. Continuer à balayer cette réalité d’un revers de main de fer, ou répéter que cela ne justifie en rien une rébellion, c’est se méprendre sur la complexité et la dialectique des affects qui forment et transforment des groupes, se sentant marginalisés ou exclus. Tel était le cas d’une grande partie des dits « nordistes ».
Aussi, si certains analystes aux heures chaudes de la rébellion ont exprimé un risque-fictif- de sécession de la partie nord ivoirienne, nous avons eu tort de ne pas très tôt nous pencher sur celle déjà existante : l’irrédentisme mentale des populations du nord. Ce sont ces irrédentistes mentaux, qui ont accueilli les rebelles en sauveurs, et qui quand bien même constateraient-ils tous les torts au nord causés par cette rébellion, ne la désavouent/désavoueront pas. Pour ces personnes, la rébellion et les rebelles portent et porteront pour longtemps encore, le masque du héros-consolateur venu entendre et consoler les cris stridents mais inaudibles, les larmes chaudes mais raillées dont leur cher/chair pays était le dédicataire intime.
Ces cris stridents mais inaudibles, un écrivain ivoirien-Tiburce Koffi- s’en fit écho de façon magistrale dans son ouvrage Côte d’Ivoire, l’agonie du jardin, sous-titré du grand rêve au désastre. Il retranscrivit dans la première section de la cinquième partie dudit ouvrage, la lettre d’un de ces ivoiriens « non purs », ou à l’instar des nordistes, considérés comme tels par certains. Cette lettre est poignante et se passe de commentaire. Tout ivoirien devrait la lire !
Toujours sur la question du septentrion ivoirien, de son rapport dialectique et schizophrène à la rébellion, une remarque s’impose. De fait, il convient de radicalement se départir du réflexe affligeant de banalisation et de négation par moment, qui est opposé à ceux qui en font sujet, quand ces derniers ne sont tout simplement pas voués aux gémonies. Nous devons accepter de regarder et entendre ces complaintes d’une partie des nôtres, et s’avouer que notre mollesse et complicité passive ou active dans ce qu’ils vécurent ou ressentirent ont nourri et entretenu leur soutien à la rébellion. Elle a même fait de certains d’entre eux des rebelles. D’ailleurs, l’avis de l’académicien Amin Maalouf, nous est d’une grande importance à ce sujet : « Ce que nous appelons commodément folie meurtrière, c’est cette propension de nos semblables, à se muer en massacreurs, lorsqu’ils sentent leur tribu menacée. Le sentiment de peur ou d’insécurité, n’obéit pas toujours à des considérations rationnelles. Il arrive qu’il soit exagéré ou même paranoïaque ; mais à partir du moment où une population a peur, c’est la réalité de la peur qui doit être prise en compte, et non la vérité de la menace » (Les identités meurtrières).
En Côte d’Ivoire, ni la vérité, ni la réalité de cette peur n’ont semblent-ils pas été pris en compte. Bien au contraire, à quelques rares exceptions, nous en restâmes sourds et muets. En lieu et place, nous nous sommes parfois cantonnés à une concurrence victimaire.
Ali Savané Sy
Juriste écrivain
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