Par Ali Savané Sy, juriste et chercheur
Septembre, ce septième mois devenu neuvième du fait de l’histoire, est à plusieurs
égards, porteur d’une éphéméride de feu. D’orient en occident, de l’Europe à l’Asie,
nombreux sont les évènements tragiques ou non, de portée symbolique ou non qui ont eus
pour siège, un temps d’âge automnal ou printanier-selon notre hémisphère d’appartenance.
Pour exemple, c’est le 11 septembre 1973, qu’a lieu ce que Noam Chomsky nomma
l’autre 11 septembre. Le sanglant coup d’état contre Salvador Allende, fomenté et entretenu
par CIA en complicité avec les opposants Chiliens. Allende en mourut.
Bien avant cette date, dans une région autre que l’Amérique dite latine, c’est en orient
que se déroulèrent les évènements du fameux septembre noir (1970) en Jordanie. Ces dits
évènements donnèrent naissance à l’organisation armée septembre noir, qui prit en otage
deux ans plus tard, encore au mois de septembre (1972), des athlètes israéliens lors des jeux
olympiques de Munich.
Enfin, c’est le 11 Septembre 2001 que les USA furent frappés par la barbarie terroriste
d’Al-Qaïda.
Loin de la vaillante Amérique dite latine, de l’orient et de la grande USA, un pays
Africain à lui aussi eu son septembre de feu : c’est la Côte d’Ivoire. De fait, dans ce pays, le
19 septembre 2002, un coup d’état manqué, mué rapidement en rébellion armée occupa tout
le nord, une partie du centre, de l’ouest, de même qu’une ville de l’est (Bouna). 20 ans plus
tard, le devoir de mémoire reste à faire. Qu’est-ce qui nous est arrivé ? Comment cela nous
est-il arrivé ? Pourquoi cela nous arriva-t-il ? Avons-nous suffisamment tiré des leçons de cet
évènement tragique ?
Avant que de façon collective, et dans des formes beaucoup plus appropriées, nous ne
répondions à ces questions, Nous réalisons ce bref essai, en guise de réflexion
commémorative sur notre septembre noir.
Préalable de principe et d’éthique : solidarité avec les victimes.
Le coup d’état manqué du 19 septembre, et la rébellion qu’il est devenu par la suite, ont
dans leur ampleur et durée été générateurs de violence et parfois d’un véritable
ensauvagement inédit en Côte d’Ivoire. Ils ont laissé d’innombrables victimes tant directes
que collatérales. Elles se comptent par centaines, milliers, voire centaines de milliers.
Cette réalité nous impose un devoir de solidarité sans vibices avec les innocentes
victimes de cette rébellion. Il s’agit bien au-delà de la condamnation formelle, de marquer sa
solidarité et condamner de façon on ne peut plus claire, ces nombreux crimes et pertes en
vies humaines. L’angle à ce propos est épais, il part de façon individuelle, de Boga Doudou
à Marcelin Yacé, tout en ayant une pensée pour le général Guéi Robert, Rose son épouse,
Fabien Coulibaly et tant d’autres personnes. Il faudrait par ailleurs, se rappeler des
danseuses traditionnelles massacrées au centre du pays, du cas des gendarmes de Bouaké
assassinés, et de toutes les victimes civiles, elles beaucoup plus nombreuses dans cette crise.
(Femmes violées, enfants traumatisés, biens spoliés et détruits…)
Un des pièges à éviter, lorsqu’il est question de ces victimes, est de les cantonner au rang
de victimes claniques ou classistes. Ces personnes qui sont mortes, ne sont pas des cadavres
pro fpi, encore moins Gbagboistes. Il s’agit tout simplement de victimes de la rébellion
ivoirienne. Le reflexe intellectuel impérieux, consistera donc à les arracher à la martyrologie
politicienne et partitocrate qui règne dans notre pays, lorsqu’il est question de notre
septembre noir. Il s’agit tout simplement de faire transiter ces victimes, vers un ‘’statut’’
national plutôt que clanique et ethno-tribal, en d’en tirer multiples conséquences tant au plan
symbolique, qu’à divers autres plans.
Force est de reconnaitre que cet idéal-là, nous en sommes bien loin. Ce texte n’étant
qu’une épure de réflexion, nous ne nous étendrons pas sur le pourquoi de ce constat, encore
moins sur les raisons, d’un bien-fondé d’une posture contraire. Néanmoins, faisons
remarquer qu’un devoir de mémoire souhaitable/té aurait pu/dû ouvrir nombreuses
perspectives à propos de cet évènement, au nombre desquelles celle que nous évoquions plus
haut.
Devoir de mémoire : misère de la pensée socio-politique ivoirienne.
Le devoir de mémoire, est indiscutablement polymorphe dans ses déclinaisons. Il peut
être artistique, juridique, économique… Une de ses manifestations demeure, le pendant
intellectuel. Il donne alors lieu, à un vaste mouvement de réflexion collective tous azimuts
sur la rébellion -dans notre cas. Il s’agit alors par un travail intellectuel indépendant,
universitaire ou étatique, d’organiser des colloques, mener des enquêtes, produire des
rapports, écrire des livres et livres noirs, réaliser des documentaires et films dans l’objectif
d’informer et instruire, l’ensemble de la communauté nationale, mais aussi internationale sur
ce qui nous arriva.
Le devoir de mémoire éclaire sur les responsabilités, ouvre voie à réparations et
dédommagements. Cet exercice d’apprentissage par l’histoire, permet par ailleurs, de
comprendre non seulement les ressorts profonds de l’évènement, le mettre en perspective et
travailler à ce qu’à l’avenir, nous puissions juguler ses effets. Faute de quoi, nous risquerons
de re-vivre les mêmes horreurs.
Par cet exercice, l’histoire est mise à table, afin de la faire vomir tout ce qu’elle a
engrammé dans ses profondeurs et qui favoriseraient la compréhension rigoureuse du drame
survenu. Les acteurs de cet interrogatoire tyrannique et intransigeant de l’histoire, sont entre
autres les philosophes, sociologues, anthropologues, historiens, juristes, économistes,
géopolitologues, politologues… Ce travail a-t-il été fait sous nos latitudes ? Pas du tout, pas
assez, ou timidement. Les réponses varient, mais indiscutablement cet aspect du drame que
nous avons vécu a été négligé.
Toujours sur cette question, à titre de comparaison, pensons aux milliers de publications
à propos de 11 septembre 2001. De Chomsky, à william Blum, de Bernard Lewis à
Mohamed Arkoun, du pamphlet de Nabe, à la reflexion d’Ould Mohamedou, d’Éric
Laurent au complotiste Meyssan, nombreux ouvrages furent publiés sur la question. Des
documentaires, livres noirs, colloques, travaux universitaires, émissions télévisées, films sur
l’attentat sont incalculables.
Ce foisonnement intellectuel à propos du 11 septembre, peut être étendu à la guerre
d’Algérie et nombreux autres conflits. Or dans une Côte d’Ivoire sous hégémonie sans
partage d’un hédonisme de mauvais aloi, sacrant et consacrant les sempiternelles amusailles
mal à propos, cette tâche a été désertée, la réflexion sérieuse et rigoureuse s’anorexise ou est
tout simplement invisibilisée : c’est la misère de la pensée sociopolitique ivoirienne. Qui en
est responsable ? L’interrogation vaut son pesant, et reste pendante. Absence de ce travail
oblige cependant, la compréhension close des causes réelles de notre septembre noir,
continue à prédominer.
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