Des bagagistes ou petits commerçants de sachets plastiques, de légumes ou d’eau minérale envahissent quotidiennement les marchés d’Abidjan. Ils sont en général des enfants, filles comme garçons, dont l’âge varie entre six et 16 ans. Il se sont soustraits ainsi de la mesure de l’école obligatoire prise en 2015 par le gouvernement ivoirien, et justifient pour la majorité, leur situation par l’insuffisance de moyens financiers et le manque d’intérêt pour l’école.
Djénébou Keita n’a jamais mis les pieds dans une école, faute de moyens financiers. « Mon père dit qu’il n’a pas d’argent », dit-elle, avouant pourtant qu’elle aurait aimé y aller, tout comme ses camarades avec lesquelles elle vend des emballages au marché d’Adjamé. En plus des sachets plastiques, elle se propose de porter également les emplettes des femmes qu’elle accoste au marché, à longueur de journée, parfois, dès 6H30 minutes.
Un morceau de pagne noué à la taille, sur un tee-shirt, la tête couverte d’un foulard et son sac mis en bandoulière, elle entonne inlassablement ses rengaines: « tantie je peux t’aider à faire le marché », « tantie je peux prendre bagages » ou encore « tantie tu donnes ce que tu as ». Djénébou sillonne le grand marché d’Adjamé, passant du “Forum” au “Marché Gouro”. En fin de journée, l’adolescente gagne entre 2000 et 3000 FCFA. Elle dit partager sa recette avec sa mère qui se charge aussi d’épargner son argent. Ses ambitions, Djénébou n’en sait rien car pour le moment, elle se contente de vendre ses sachets plastiques au marché. Veut-elle apprendre un métier ? Elle n’en sait rien non plus.
Quid de la politique de scolarisation obligatoire pour les “6 – 16” ans en Côte d’Ivoire?
L’école est pourtant obligatoire en Côte d’Ivoire pour tous les enfants de six à 16 ans, depuis 2015. La politique de scolarisation obligatoire (PSO) vise à donner à toutes les filles et à tous les fils du pays, le droit à l’éducation, à une formation de qualité. Cette mesure oblige ainsi, dans le principe, tous les parents à scolariser leurs enfants. Mais certains n’arrivent pas à s’inscrire dans cette politique, faute de moyens financiers, comme l’a évoqué Djénebou, 13 ans.
Pareille pour Aïcha Sylla, 12 ans, vendeuse de tomates au grand marché d’Adjamé. « Tout à 500 », crie-t-elle à tue-tête, une assiette de tomates sur sa tête. Elle aussi, en ce jour d’école, n’est pas en classe. Les raisons, elle hausse l’épaule et dit que cela dépend de son père. On la chahute et la menace de l’amener de force à l’école, elle répond qu’elle n’est pas seule. « On n’est beaucoup ici, j’ai des amies qui vont à l’école mais moi non, mon papa dit qu’il n’a pas d’argent. »
Awa Cissoko, pré-adolescente de huit ans, répond que l’école ne l’intéresse pas, la mine dédaigneuse. Elle ne veut pas y aller, son père aussi n’en voit pas l’utilité. Selon elle, il prévoit de l’inscrire à l’école coranique, mais en attendant, elle vend tantôt de l’eau, tantôt des sachets plastiques au marché.
Des petits vendeurs de sacs et d’emballages
Des enfants d’expatriés sont également très actifs dans le petit commerce. Le petit Hamed-Hamed (il insiste qu’il s’appelle ainsi), neuf ans, dans un Français approximatif, raconte qu’il attend son père qui doit rentrer du Burkina Faso pour le scolariser ou bien il va rentrer « au pays » pour aller à l’école. Il vend depuis un an au marché. Avec sa recette qui se situe entre de 500 et 1000 FCFA par jour, il achète de quoi se nourrir à midi et regagne le domicile familial avec les « sous » qui lui restent. Parfois, il bénéficie de la gentillesse de certaines commerçantes qui lui offrent de la nourriture.
Fathia, une jeune Nigériane, a eu la possibilité d’aller à l’école mais elle a refusé. « Je veux gagner de l’argent », avoue-t-elle, servant un paquet de pinces à linge à une cliente.
Dame Maryam Konaté qui la connait bien depuis son arrivé en Côte d’Ivoire confirme ses dires. « Elle ne veut pas aller à l’école. Ils sont beaucoup comme ça sur le marché. Ils n’aiment pas l’école, surtout les Nigérianes, elles n’aiment pas l’école, mais l’argent », ironise-t-elle.
Certains ont abandonné les classes par appât du gain. Aïcha Sylla, 12 ans, a été à l’école jusqu’au CP2 et a abandonné les bancs. Elle relève dans un premier temps que le manque de moyens financiers de son père l’a empêché de continuer, mais souligne avec un brin de gêne qu’elle est « un peu » à la base de sa déscolarisation. En fait, elle avoue avoir pris goût aux petits commerces qu’elle exerçait durant les vacances scolaires et elle n’a plus voulu reprendre le chemin des classes. Quand on lui demande si elle veut retourner à l’école, hésitante, elle répond « je ne sais pas ! ».
Cet univers de petits commerçants n’est pas réservé qu’aux fillettes. Des adolescents âgés entre 12 et 16 ans servent de bagagistes avec des brouettes. A l’aide de leur engin qu’ils stationnent en majorité sur le terre-plein du boulevard Nangui Abrogoua, ils attendent leurs clients. En général, il s’agit des commerçantes du marché ou de clients semi-grossistes qui viennent s’approvisionner auprès des grossistes. Les prix qu’ils pratiquent varient selon la charge et la distance parcourus.
Ibrahima loue sa brouette avec un « concessionnaire » à la fin de la journée il lui reverse une certaine somme, qu’il refuse de relever, et repart à la maison avec une recette de 2000 à 3000 FCFA. Il n’a pas été scolarisé mais voudrait bien apprendre en métier, même s’il ambitionne d’épargner assez d’argent pour avoir son permis de conduire et se lancer dans le transport.
Des mesures gouvernementales pourne laisser personne de côté
Le gouvernement prévoit des classes passerelles qui offrent aux enfants non scolarisés âgés de neuf à 13 ans, y compris ceux qui travaillent, une seconde chance d’intégrer, ou de réintégrer le système scolaire formel.
Les bénéficiaires participent à un programme d’apprentissage accéléré de neuf mois, au cours duquel ils apprennent la lecture, les mathématiques et d’autres matières adéquates pour les amener au niveau académique souhaité. À la fin du programme, les enfants peuvent, en fonction de leurs résultats aux tests, entrer en troisième, quatrième ou cinquième année, dans le système scolaire primaire public.
Le gouvernement a également initié l’Ecole de la deuxième chance (E2C), un programme développé pour résorber ce groupe de personnes sans emploi ou mal insérés. Il s’agit d’un programme de formation de masse qui donne prioritairement aux bénéficiaires, l’opportunité d’acquérir des compétences professionnelles et, si nécessaire, d’être accompagnés dans un projet d’insertion.
Ce programme vise à l’horizon 2030, à traiter un stock d’un million de personnes sans emploi ou mal insérés, avec un objectif intermédiaire de 400 000 jeunes à insérer, dans le cadre de la mise en œuvre du Programme social du gouvernement (PSGouv 2), sur la période 2021-2024.
Fort heureusement, certains enfants se transforment en petit commerçants ou bagagistes juste le temps des vacances ou durant leurs heures creuses.
Junior Esmel aide sa mère à vendre les colliers qu’elle confectionne. En classe de CM2, il devient durant le week-end et les vacances scolaires, un petit vendeur, depuis la classe de CE2. Rokia Konaté, élève en classe de Terminale, s’adonne à la vente de sachets plastiques et autres sacs d’emplettes, juste pour aider ses parents à assurer sa scolarité et payer elle-même certains frais d’écolage.
Tous les deux sont unanimes qu’il n’est pas facile d’allier école et petits commerces, et s’accordent à dire: « pour notre avenir, l’école est mieux ».
(AIP)
tad/cmas
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