Par Lawrence Atilade
Consultant-formateur
L’exil correspond à la situation de quelqu’un qui est contraint de vivre hors de sa patrie,
de ses terres, de son territoire, son village, avec la défense d’y rentrer. Distinguons d’emblée
ici l’exil forcé, de l’exil volontaire de celui qui aspire à se faire oublier, à changer de
personnalité, à fuir pour changer de vie ou se faire oublier. Au regard de cette définition
apparemment anodine, penser l’exil présuppose (d’entrée de jeu) de dépasser des aprioris :
L’exilé n’est pas toujours un Africain, qui, au moyen d’un navire d’infortune et au péril de sa
vie, traverse la méditerranée pour fuir la misère, la guerre. Il peut aussi être un Afghan, un
syrien qui quitte son pays à cause des actions terroristes ou des catastrophes naturelles ; un
investisseur Français, Européen ou Américain, pour des raisons d’insécurité fiscale, etc. On
parle dans ce cas d’exil fiscal.
Que ce soient pour des motifs politiques, économiques, médicaux, écologiques, académiques
ou religieux, les exilés, en dépit de leurs besoins individuels et difficultés, ont ceci en commun
qu’ils ont tous quitté leurs lieux originels.
Cet état de fait induit inévitablement une forte restriction des libertés, un lot de désarrois, de
fractures internes et de nostalgie amère qui obligent l’exilé à faire des choix incontrôlés et
contraignants puisqu’il n’a pas demandé à partir et n’a malheureusement aucune idée de sa date
de retour. Pire, il semble condamné à une punition, une pénitence soumise à une durée souvent
indéterminée, un errement sans fin. Plus la situation d’exil perdure, plus l’exilé, suspendu par
le temps et dans le temps, éloigné de sa terre natale, de ses proches, peut vivre ce moment avec
désespérance et déracinement.
Si donc, partir de chez soi, quitter son pays, sa terre natale, n’est jamais agréable, il n’est pas
faux d’affirmer que l’exil est potentiellement lié à la vulnérabilité. Laquelle vulnérabilité
multidimensionnelle est accentuée par l’existence d’autres facteurs connexes dont la référence
au risque attire l’attention sur la nécessité d’une protection particulière.
Ainsi, selon le degré de persécutions subies, l’exilé sera considéré comme réfugié statutaire ou
bénéficiaire de la protection temporaire / subsidiaire par le pays d’accueil car dans la plupart
des démocraties, le droit d’asile est largement consacré par la convention de Genève du 28
juillet 1951 et du protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés, conformément aux
traités de l’Union Européenne.
Devrait-on pour autant voir en l’exil que négativité, mélancolies et perte de sens ? Ou au
contraire pourrait-il révéler ou encadrer une vertu chère à l’action politique et sociale ?
Mais au fond, un exil, même volontaire, peut-il être positif ?
Puisque la question de l’exil ne saurait se réduire à un problème d’avoir mais d’être, nous
étudierons le cas de l’exilé le plus célèbre de Côte d’ivoire : Guillaume Kigbafori Soro.
Depuis quand est-il en exil ? Pour quelles raisons et comment parvient-il à transformer cette
épreuve déshumanisante en une rencontre d’énergies positives ? Dans un premier moment, nous
passerons en revue (I) quelques ex-chefs d’états exilés ivoiriens avant de dégager dans un
second temps ce qui fait (II) la spécificité de l’exil Soroiste.
Eclairage lexical
En Latin, le mot exil signifie « exilium » c’est à dire fugue, fuite. Cependant, dans cette
acception, il n’est pas seulement une sanction mais correspond aussi à l’exercice d’un droit
accordé à tout citoyen d’éviter une peine prévue à son encontre par la fuite.
Hors ce champ judiciaire, Cicéron pouvait affirmer que c’est propre au sage de « fuir » les biens
matériels de ce monde. La condition humaine est un passage et l’exil, un refuge, un abri. Bien
avant les Romains, chez nos ancêtres de l’Egypte antique, il y eut des cas d’école. En effet, pour
avoir défendu un Hébreu opprimé, Moise prince d’Egypte, fuit en terre étrangère. C’est de cet
exil périlleux, en tant que berger, qu’il reçut sa mission divine de libérateur des Hébreux, de
leurs conditions d’esclaves.
Alors que Jacob descendait en Egypte avec ses douze fils, Dieu les appelle à sortir du pays de
Pharaon pour rejoindre la Terre Promise de la liberté, sous la houlette de Moïse.
Avant cela, Dieu avait appelé Abram (qui deviendra Abraham) à quitter son pays et sa famille
et à se diriger « vers le pays qu’il lui fera voir », en vue de faire de lui « une grande nation » et
de le bénir (Gn. 12, 1). Toujours à la lumière des écritures saintes, nous apprenons que le Christ
a connu toutes sortes de souffrances y compris l’exil. Dès sa naissance, lorsque Hérode cherche
à le faire périr, Joseph, son père l’emmena avec sa mère en refuge en Egypte, d’où ils
reviendront une fois le péril passé (Mt. 2, 13-21). Cet exil de Jésus en Egypte, puis son retour
en terre d’Israël et plusieurs autres récits nous convainquent de deux évidences :
a) L’histoire de l’exil est celle d’un appel, un besoin ou une injonction de « partir », de
« quitter », de « sortir », d’« amener » ;
b) Toute vie humaine sera soumise à l’exil qui consiste à partir d’un point de départ A et
marcher en avant vers un point d’arrivée B (dont on ne peut percevoir à l’instant les
contours et les délimitations) dans le but de découvrir ce qui était au plus près de nous
depuis le commencement de notre destinée.
Bref rappel historique des ex- exilés- présidents ivoiriens
L’exil a toujours été l’une des modalités de la structuration de la compétition politique
ivoirienne. Le HCR (Haut-commissariat des Réfugiés) dénombrait plus de 3000 ivoiriens en
exil depuis la crise post-électorale de 2011. En cela, il est sujet à de multiples manipulations
aussi bien chez les opposants (pour forger leur combativité d’hommes politiques) que chez les
tenants du pouvoir (pour se légitimer en montrant des signes de tolérance et d’ouverture).
Ainsi, la littérature politique ivoirienne est remplie d’informations qui ne sauraient échapper à
l’analyse historique rigoureuse.
Chronologiquement, après avoir fondé le FPI dans la clandestinité en 1982, Laurent
Gbagbo, alors opposant au PDCI, unique parti au pouvoir, part en exil en France en 1985 pour
poursuivre sa lutte contre le monopartisme ivoirien. Le 13 septembre 1988, il est de retour,
participe à la première élection multiparti ste le 28 octobre 1990. À la suite de son échec, il
réitère sa candidature 10 ans plus tard et est élu à la tête du pays le 22 octobre 2000 face à
Robert Guei qui lui-même s’était déjà retiré en 1995 à Kabakouma, dans son village natal après
avoir été limogé du gouvernement et condamné pour insubordination. On lui reprochait d’avoir
refusé d’organiser la riposte de l’armée contre les opposants à l’élection présidentielle de cette
année-là.
Quand le 24 décembre 1999, son régime chute, Henri Konan Bédié, (successeur
constitutionnel de Felix Houphouët Boigny en décembre 1993 et élu en octobre 1995 pour un
mandat de cinq ans) tombe dans les travers de l’exil, après quarante années d’exercice de
pouvoir du PDCI (Parti Démocratique Ivoirien). Vingt-deux mois après, à savoir le 15 octobre
2001, il rentre en Côte d’ivoire et reprend les rênes du PDCI, qu’il préside de main de maître,
jusqu’à l’heure où nous jetons ces lignes. Qui ne se souvient pas de la croix portée par Alassane
Ouattara sur le chemin de la présidence ? Alors même qu’il semblait remplir toutes les
conditions requises en matière de nationalité, de filiation et de résidence, le pouvoir en place
d’alors de Henri Konan Bédié lança contre lui un mandat d’arrêt pour « faux sur l’identité et
usage de faux documents administratifs ». Cette accusation fût-elle un obstacle à sa
participation au Forum pour la réconciliation nationale, le 30 novembre 2001 ? NON ! Après
plusieurs années d’exil en France, Alassane Ouattara retourna définitivement en Côte d’Ivoire
le 26 janvier 2006. N’a-t-il pas exercé le pouvoir d’état de janvier 2011 au 31 octobre 2020 ?
Martelons-le avec insistance : après Houphouët Boigny, tous les quatre (4) derniers chefsd’états qui ont présidé aux destinées de la Côte d’ivoire jusqu’en 2022, ont connu l’exil d’une
manière ou d’une autre. La stratégie de communication dans ce cadre consiste toujours à faire
passer les exilés pour les renégats, les déstabilisateurs. La thèse du complot et de l’atteinte à la
sureté de l’état sont les arguments les plus prisés. Cependant, dans son ensemble, le cas de
Guillaume Kigbafori Soro a une saveur assez spéciale.
Spécificité de l’exil Soroiste
Guillaume Kigbafori SORO fut le premier chef de gouvernement d’Alassane Ouattara
dès son accession au pouvoir en 2011. A la tête de l’Assemblée nationale de 2012 au 08 février
2019, il rend sa démission, après avoir manifesté son rejet systématique des nouvelles
orientations déviationnistes, anarchiques, dictatoriales du RHDP (Rassemblement des
Houphouétistes pour la démocratie et la paix). A la fin d’une tournée Européenne retentissante,
son vol de retour est interdit d’atterrissage le 23 décembre 2019. Depuis ce jour, son excellence
Guillaume Kigbafori Soro est en exil et de surcroît condamné à perpétuité. Pour la première
fois, une peine à perpétuité est prononcée à l’encontre d’un homme d’état pour des raisons
politiques, en violation flagrante de l’article 22 de la Constitution de 2016 qui stipule
qu’« aucun ivoirien ne peut être contraint à l’exil ».
C’est effectivement ce « caractère irréel » de la perpétuité de l’exil de Guillaume Soro qui lui
confère toute son exclusivité. Partant de cette forfaiture déclarée, nous postulons que l’exil
soroiste s’apparente à un cheminement vers soi-même et vers le peuple.
Cheminement, en ce sens que nous sommes tous appelés un jour ou l’autre à accepter l’exil
volontaire ou involontaire comme des passerelles vers la liberté, la vraie liberté, possible
seulement à travers notre relation au divin. Cela implique de quitter nos fausses apparences
matérielles et sécuritaires, nos croyances morbides. En refusant les richesses à lui, promises par
le RHDP en contrepartie de la validation de leurs plans diaboliques de confiscation éternelle du
pouvoir, Guillaume Kigbafori Soro, s’exile de ses propres turpitudes intérieures pour affronter
et assumer sa vie. Il reste fidèlement attaché à sa juste nature et effectue un retour fondamental
sur ses ancrages spirituels, traditionnels et politiques.
Cela implique également de se quitter soi-même, s’abandonner pour aller à la rencontre de
l’autre, des autres, de son peuple, le peuple de Côte d’ivoire en justice et en vérité.
Qu’on ne s’y trompe pas, l’exemple de Guillaume Soro a ceci de particulier qu’il inaugure un
tournant générationnel : celui de la co-construction avec les ivoiriens d’une nouvelle identité
politique et sociale, « une patrie des possibles » dans laquelle plus personne ne connaitra l’exil
pour une raison quelconque.
Ivoirien, Africain, panafricain et citoyen du monde, Guillaume Soro, aguerri à l’art de
la transcendance, est partout chez lui et rien de ce qui est humain ne lui est étrange r. Sa
personnalité intacte ne se laisse pas troubler. Elle sait vivre et se laisser vivre partout et pour
tous. Mais, puisqu’il faut, pour l’ordonnancement des choses, exercer la réalité du pouvoir dans
un espace/temps, il va bien falloir STOPPER ET BRISER LES REINS à ce syndrome de
l’exil. GKS, futur Président de la République de Côte d’ivoire reviendra assurément et
incessamment du sien. Et avec lui, tous les exilés et embrigadés. Tel est notre vœu le plus
emblématique !
Notes :
1- https://www.lemonde.fr/archives/article/2001/10/16/apres-deux-ans-d-exil-l-expresident-bedie-rentre-en-cote-d-ivoire_234216_1819218.html
2- https://www.lemonde.fr/international/article/2006/01/26/l-opposant-alassane-ouattarade-retour-en-cote-d-ivoire_734691_3210.html
3- https://business.abidjan.net/qui/5-politique/61-gbagbo-laurent-koudou
4- https://www.afrique-sur7.ci/483705-exil-guillaume-soro-gps-decembre
Encore une vaine piètre et pitoyable tentative de modifier l’histoire…
Son avion n’a été en rien interdit d’atterrissage..Il a préféré de lui même ne pas venir à l’aéroport FELIX houphouet Boigny..