En Côte d’Ivoire (au Liberia), le peuple Wê reste encore véritablement attaché à ses us et coutumes. Et le culte du ‘’masque’’ fait partie de cette tradition. Il n’est pas seulement un produit artistique ou culturel, il est surtout un esprit qui est le médiateur entre les hommes et Guéla (Dieu).
Dans les régions du Cavally et du Guémon (Ouest), les populations ne lui donnent point la dénomination de masque comme cela est conçu dans les carnavals et bals du monde occidental. On parle plutôt du Gla (diminutif du terme Guéla), des Koui, Dji ou du Golouè, selon sa morphologie ou son rôle dans la société traditionnelle.
Le Gla
Un patriarche, originaire du village de Gohouo-Zagna (département de Bangolo), Tchiéklé Valentin, révèle que le Gla (Glaé, au pluriel) aurait été découvert, selon un récit des ancêtres, dans une forêt montagneuse. C’est ce qui justifie que chaque fois qu’une fête de sortie des Glaé prend fin, ‘’les sages annoncent que les esprits vont regagner leur logis forestier’’, ajoute-t-il.
Une assertion confirmée dans le livre du professeur des universités, Gnonsoa Angèle, intitulé “Le masque au cœur de la société wè”, paru en 2007 à Frat Mat Éditions. Pour elle, les Wê sont monothéistes mais ils estiment qu’un humain ordinaire ne peut s’adresser au Grand Dieu invisible, sans avoir recours à un intermédiaire mystique.
« Comme chez les Chrétiens où l’on affirme que nul ne peut aller au Père sans passer par Jesus, nous aussi les Wê, estimons que pour parler à Dieu, il faut passer par des initiés, des esprits que sont les Glaé », fait savoir un ressortissant de la sous-préfecture de Zou, Oula jacques.
M. Oula ajoute que pour certains traditionalistes avérés, les Glaé proviendraient des entrailles du sol ou de palmiers marécageux. Ce qui justifie leur accoutrement en feuilles de cette plante.
Selon les initiés rencontrés par l’AIP, les Glaé sont rangés par catégories, en fonction de certains critères propres à leurs diverses fonctions dans la tradition.
Il y a le ‘’Gla’’ sage. Effectivement, dans leur ouvrage publié aux Editions Universitaires de Côte d’Ivoire, Oula Maurice et Tiabas Houlaï Bernard, faisant une typologie, expliquent le rôle du ‘’Gla’’ de la sagesse. MM. Oula et Tiabas font savoir que le ‘’Gla’’ de la sagesse appelé autrement ‘’Boyagla’’ est un esprit qui apparait publiquement par quinquennat. C’est lui qui rappelle à la population qu’il faut un respect méticuleux de l’ordre hiérarchique dans la société Wê.
On note également l’existence du‘’Blégla’’. Zakoui Blaise, homme ancré dans la tradition Wê au village de Louin (Bangolo), explique que le ‘’Blégla’’ est le Gla griot qui chante. Il a pour rôle d’annoncer et de révéler au public ce dont est capable le Gla guerrier. Il se fait accompagner d’un orchestre traditionnel constitué de chansonniers et d’un tambourinaire.
Quant aux ‘’Glaé soldats’’, les gardiens de la tradition soutiennent que ce sont de vaillants guerriers qui jouent le rôle de brigadiers chez les Guéré et Wobé. Ils ont aussi la capacité de détruire les mauvais sorts et de concilier de grands belligérants. En langue locale, il leur est attribué la dénomination de ‘’Té-Glaé’’.
L’on relève aussi des ‘’Glaé’’ intimement liés à la musique. Selon M. Zaokoui, on en distingue deux types, à savoir un groupe spécialisé dans maîtrise de chansons proverbiales et un autre qui se distingue par l’harmonie des pas de danses. Ces deux catégories de ‘’Glaé’’ offrent la gaieté aux populations lors des rassemblements populaires.
Le traditionaliste Tchéklé Valentin explique que des enclos, sortent aussi des ‘’Glaé’’ quémandeurs. Ce sont des comédiens qui profitent de leur fonction sociale de distracteur pour soutirer, sans violence, quelques piécettes à leurs admirateurs. A travers leurs vêtements, leurs paroles, leurs pas de danses, ces ‘’Glaé’’ combinent le comique de situation, le comique de caractère, le comique de mots et le comique de gestes afin d’attirer l’attention du public.
La particularité du ‘’Koui’’, du ‘’Dji’’ et du ‘’Golouai’’
Dans leur ouvrage, Oulaté Maurice et Tiabas Houlaï Bernard révèlent que le ‘’Koui’’ est le ‘’masque’’ le plus grand dans l’ordre de commandement du cercle mystique des Wê parce qu’il est hyper puissant. « Quand ils sortent pendant les cérémonies exceptionnelles, par exemple les funérailles de chefs coutumiers, la population se cache dans les maisons car aucun néophyte n’a le droit de les voir au risque d’être victime d’une malédiction », renchérit le commissaire général du ‘’Wê festival’’ de Bangolo, Ambroise Bionao.
Le ‘’Dji’’ signifie ‘’masque-panthère’’. Il exécute une danse particulière en imitant la démarche de la panthère, ce fauve qui fait preuve d’une grande patience pour s’approcher de sa proie avant l’assaut final et qui attrape sa victime avec les pattes et griffes dressées. Pour être un ‘’Dji’’, il faut avoir participé à une séance d’initiation de longue durée dans une forêt sacrée.
Dans la tradition Wê, on note la présence d’un ‘’Gla’’ féminin appelé ‘’Golouai’’. Son accoutrement ne comporte aucune palme ni de statuette mais sa parure est faite de kaolin qui permet de ne pas l’identifier. « Un rite mystique se cache derrière leur sortie, mystère que l’on ne peut dévoiler ici », fait savoir dame Josiane Guéhoué.
La culture du masque est, en somme, indéfectible de la société des peuples Wê car c’est une société d’initiation à l’instar du ‘’Poro’’ chez les Sénoufo (issus du Nord ivoirien). C’est une culture qui est non seulement un mystère pour l’œil ordinaire mais qui a aussi un caractère culturel. Les ‘’Glaé’’ attirent plusieurs visiteurs et touristes dans les villages du Guémon et du Cavally lors des festivals.
Malgré la modernisation des sociétés africaines sous l’impulsion d’une occidentalisation avec son corolaire de christianisation, le ‘’Gla’’ reste vivant dans l’esprit du monde Wê. Les ‘’Glaé’’ ont même inspiré le professeur Sompohi Bayard, père de la théorie de la Gothimascologie, une science qui veut révéler la place du masque africain dans la chrétienté de source exotique. Cette théorie s’exporte à l’international.
(AIP)
jn/cmas
Commentaires Facebook