Regards croisés – L’affaire dite des « 49 soldats ivoiriens détenus au Mali » a pris une nouvelle tournure avec la libération des trois éléments des Forces spéciales par les autorités maliennes. Simple coup d’épée dans l’eau ou la diplomatie est véritablement en train de triompher des velléités guerrières ? Le décryptage de Michel Koffi et de Macaire Dagry.
Le fiasco des discours insensés d’irresponsable
A propos de ce qu’on appelle « affaire des 49 militaires ivoiriens incarcérés au Mali », mon plus qu’ami, professeur Méité Méké, invitait à relire la Charte de Kurukan Fuga datant du XIIIe siècle, édictée après l’historique bataille de Kirina qui vit la victoire de Soundjata Keita sur Soumaoro Kanté.
Cette Charte des peuples ayant appartenu au grand Manding, avec en son sein 44 articles, renferme, en effet, l’organisation de la société, la division du travail, la gestion des conflits, la coexistence pacifique et la tolérance. Sans même aller plus loin, j’ajouterais que Félix Houphouët-Boigny, XXe siècle, donc tout près de nous, premier président de la République de notre pays, conseillait, en guise de testament, une arme des forts : le dialogue.
Non celui de l’orgueil, de la suffisance et du mépris de l’autre, mais le dialogue qui sait se faire dans le silence, dans la nuit qui porte conseil, dans le silence de la nuit où des décideurs qui tiennent les rênes du pouvoir discutent, échangent, loin des tintamarres de ceux qu’on nomme abusivement « influenceurs » ; ces bavards impénitents qui se mêlent de tout et de rien, même de ce qui n’est pas à leur niveau et de leur niveau. La libération des trois femmes parmi les incarcérés du Mali, par la grâce des autorités maliennes, dit l’utilité de cette arme, la plus redoutable et sonne comme une gifle portée à tous ces « bruisseurs » qui ne se nourrissent et prospèrent qu’en période de conflits, leur principal aliment. C’est aussi et surtout grâce à l’arme des forts utilisés par l’État de Côte d’Ivoire : le dialogue, avant toute chose, afin de bien s’entendre sur l’essentiel : la paix, « préalable au développement ».
En attendant la libération de tous les autres, cela ne saurait tarder, j’en suis sûr, parce que la voie prise par les autorités ivoiriennes, celle d’échanger avec l’autre partie par des canaux divers, par des approches qui mixent la tradition et la modernité, sans grand bruit, est la bonne. Et c’est ce qui donne ce ticket gagnant. Qui bouderait une telle joie sinon que des va-t-en guerre tapis dans l’ombre ? Je m’en réjouis donc, parce que cette bonne nouvelle boucle le fonds de commerce de quelques activistes des réseaux sociaux, à la solde le plus souvent d’hommes masqués, si prompts à exacerber les conflits, se nourrissant d’eux.
On en a vu sur ces réseaux qui ne distillaient que de mauvaises informations dans des commentaires désobligeants sur les autorités de part et d’autre ; des commentaires qui auraient pu pousser à l’affrontement souhaité par ceux qui n’ont jamais entendu le sifflement des balles sur le théâtre des conflits. Même que des confrères s’y étaient mis dans des positions qui nous éloignaient de ce que l’immense majorité des gens lucides attendaient : l’information, la vraie qui blanchirait une bonne fois pour toutes les frères et sœurs d’armes en mission.
Hélas, il y eut, une fois de plus, un type de journalisme en période de guerre et un autre en période de paix. Honte donc à ceux qui chantaient, calomniaient, insultaient, vilipendaient pendant les heures chaudes de ce conflit ! Avec quels mots se parleront-ils demain- ce conflit tire à sa fin- ceux et celles qui ont poussé à la surenchère verbale, à la haine, à la chasse à… ? Quelle forme prendront demain les comportements des uns envers les autres quand, hier, à cause de ce conflit, tous les mots vilains furent dits ? Que plus jamais d’artistes maliens ne viennent jouer, ici, dans ce pays ! Que le Mali ne nous pousse à bout ! A bout de quoi ? Pour en venir à quoi ? Qu’il y a tant de Maliens en Côte d’Ivoire… Tutti Quanti.
Qu’avaient-ils à y voir, ces hommes et femmes de ce pays, dans ce conflit au sommet, à part celui d’en être des citoyens? De l’autre côté aussi, que d’injures, des tombereaux, déversés sur les autorités ivoiriennes, voire les Ivoiriens ! Aux yeux du monde, ils ont qualifié le pays comme étant celui des hommes malfaisants, des déstabilisateurs, que sais-je encore ? Un autre, écrivain, intello, dit-on, a fait de nous des « Hitler ya denw » (les enfants d’Hitler). C’est si laid, un conflit, même de petits calibres…
Il est donc heureux que petit à petit, à la guerre des mots vilains, prennent place le langage qui sait se faire fraternel, les mots qui rassemblent et non divisent, les petits gestes qui, additionnés, feront les grandes réconciliations. Et mourront de « leurs propres poisons, les basses choses », comme celles qu’il nous a été donné de voir sur les réseaux sociaux et de lire même dans des journaux, d’ici et d’ailleurs.
La libération même de trois otages résonne du fiasco des discours insensés d’irresponsables. Elle est, en cela, le mérite de ceux qui savent comment se gère un pays, comment se règle un conflit : dans la discrétion qui sait ne pas se faire bruit.
Michel Koffi
Nous devons nous en féliciter
Après plusieurs semaines d’agitations intenses sur les réseaux sociaux et de tractations diplomatiques officielles et officieuses, les premiers résultats viennent de tomber. Trois soldates ivoiriennes sont libérées et viennent de rejoindre la Côte d’Ivoire. Cela donne donc de l’espoir pour la suite des négociations à venir en vue de la libération des 46 autres militaires ivoiriens détenus dans les prisons maliennes. Ces trois libérations peuvent donc être considérées comme le signe d’une détente dans les relations bilatérales entre le Mali et la Côte d’Ivoire, bien sûr facilitées par les diverses médiations, à différents niveaux depuis le début de cette crise diplomatique. En attendant la libération de tous nos soldats par la junte malienne, nous ne pouvons que nous féliciter de cette bonne nouvelle. C’est un début de soulagement pour les familles, l’ensemble des Ivoiriens et même des ressortissants maliens vivant en Côte d’Ivoire, dont un collectif s’active fortement depuis le début de cette crise pour qu’une solution diplomatique soit trouvée dans l’intérêt de tous. S’exprimant au nom de l’État de Côte d’Ivoire, le ministre Fidèle Sarassoro a précisé que « la République de Côte d’Ivoire, soucieuse de maintenir des relations de bon voisinage avec le Mali, s’engage à respecter les procédures des Nations unies, ainsi que les nouvelles règles et dispositions maliennes édictées relatives au déploiement des forces militaires au Mali ». Ce message de paix et de bienveillance qui a toujours été la ligne de conduite de l’État de Côte d’Ivoire, dans cette crise diplomatique, montre qu’elle est la voie la plus viable pour se parler, trouver des solutions et faire en sorte de préserver les nombreux acquis existants entre la Côte d’Ivoire et le Mali. Cependant, les autorités ivoiriennes demandent toujours, avec la plus grande énergie, la libération de tous ses soldats, en assurant qu’ils étaient en mission pour l’ONU, dans le cadre d’opérations de soutien logistique à la Minusma. Cette fermeté de l’État de Côte d’Ivoire n’empêche pas d’utiliser la voie de la diplomatie et de la négociation. En dépit d’extrêmes agitations sur les réseaux sociaux, à la suite de l’arrestation et l’incarcération de ces 49 militaires, le gouvernement ivoirien a toujours privilégié la voie de la diplomatie, de la négociation et du silence afin de faire baisser la tension, dans cette affaire très sensible. On peut comprendre l’élan patriotique des Ivoiriens face à cette affaire douloureuse pour les nombreuses familles. Il est « normal » que sous l’effet de l’émotion et de la colère, des paroles puissent être dites ici et là, dans les médias traditionnels, dans les médias numériques et sur les différents types de moyens de communication numérique sur les réseaux sociaux. Il faut aussi saluer ici l’attitude et l’engagement de la très forte communauté malienne vivant en Côte d’Ivoire, depuis plusieurs décennies, dont un collectif œuvre secrètement pour la libération de tous les soldats ivoiriens emprisonnés au Mali. C’est une forte avancée pour l’apaisement des relations diplomatiques entre la Côte d’Ivoire et le Mali, mais également pour les relations fraternelles entre les deux peuples qui sont très anciennes. C’est donc une grande joie pour les populations ivoiriennes de voir revenir en Côte d’Ivoire trois de leurs soldats, en dépit de la très forte détermination des autorités militaires maliennes à les garder prisonniers dans leur pays. Nous devons donc nous en féliciter et encourager la poursuite des négociations officielles et secrètes afin de libérer tous nos soldats et faire en sorte que la sérénité et la fraternité demeurent à nouveau entre les peuples maliens et ivoiriens, qui partagent beaucoup de choses en commun.
Macaire Dagry
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