C’est avec une fascination un peu effrayée que j’observe les réactions des internautes ivoiriens au conflit qui oppose les points de vente (PDV) de mobile money et les opérateurs de monnaie électronique (notamment Orange Money et Wave).
L’affaire est passionnante car on est face à un des dilemmes de l‘économie mondialisée vue d’en bas. Elle oppose structurellement le consommateur et le travailleur, or dans la réalité ils ne font qu’un. Votre cerveau de consommateur vous pousse à chercher le prix toujours le plus bas. Et votre cerveau de travailleur vous pousse à protéger votre métier, vos marges, vos revenus.
Un certain romantisme mal informé a dans un premier temps considéré la guerre entre Orange Money et Wave comme une guerre du mal contre le bien, de la vieille firme françafricaine trop gourmande contre la start-up américaine qui casse les codes et est amie du pouvoir d’achat. En réalité, il s’agit juste du combat entre deux mondes qui aspirent chacun au plus gros profit possible. Le premier, c’est celui des telcos. Historiquement son modèle c’est de parvenir à avoir des licences et de gagner assez vite de l’argent en finançant le déploiement des nouvelles infrastructures par les profits déjà engrangés. Et sa méthode consiste à baisser les tarifs quand il est contraint et forcé par la concurrence et la réglementation. Face à ce monde du monopole ou de l’oligopole imposé par la réglementation et l’impossibilité de démultiplier à l’infini des infrastructures physiques chères et longues à installer, se dresse celui des start-ups de la Silicon Valley. Son atout, sa force, c’est de lever beaucoup d’argent en promettant de « disrupter » un marché, c’est-à-dire d’en changer les règles en prenant par surprise les acteurs historiques et en s’imposant en leader. Son arme, c’est le cash. Beaucoup de cash, levé sur des marchés financiers arrosés ces dernières années par les banques centrales, notamment la Banque centrale des Etats-Unis.
Et ce que les patrons de Wave ont fait, c’est utiliser cet argent pour subventionner au départ des points de vente dont ils avaient besoin pour « pirater » le système et prendre des parts de marché aux acteurs historiques. Ils ont fait ce que les start-ups gavées d’argent frais font : perdre de l’argent au départ pour faire grossir leur part de marché puis rationaliser pour se rembourser et gagner assez pour revendre avec une énorme plus-value.
Là où Orange Money et MTN Money faisaient de l’argent sur le cash-in et le cash-out et partageaient la valeur servicielle objective ainsi créée avec les PDV, Wave renonce à ponctionner de la valeur sur le cash-out alors que l’opération n’est pas gratuite pour la start-up (histoire de déstabiliser la concurrence et de l’obliger à détruire de la valeur et in fine son business model) mais se rattrape sur les transferts c’est-à-dire toutes les opérations au sein de son écosystème interne qui ne lui coutent pas grand chose. Son intérêt est de faire adopter la monnaie électronique à un maximum de marchands et de rendre progressivement inutiles ceux qui l’ont fait roi : les points de vente. A l’image de Uber dont le rêve secret était de créer la voiture autonome et de se débarrasser des chauffeurs de VTC.
Quand on regarde les choses de cette manière, on voit une confrontation entre de grosses firmes et de petits travailleurs. Et si on est malin on se rend compte que le rapport de forces qui est imposé aujourd’hui aux points de vente peut nous être imposé demain dans notre secteur économique à nous.
Il y a quelques décennies, quand les multinationales occidentales sont allées fabriquer leurs produits textiles en Chine ou au Bangladesh, ça a arrangé led travailleurs qui travaillaient dans d’autres secteurs puis eux-mêmes ont vu leurs activités délocalisées et leur utilité économique s’évaporer.
Le consommateur et le travailleur ne sont qu’un, si on regarde la « big picture ». Soyons vigilants !
Théophile Kouamouo
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