On en parle encore dans les chaumières. Tant ivoiriennes que burkinabè. Le meurtre tragique du Dr Balla Kéita, survenu au Burkina Faso, est un mystère sans fin…
Nuit du 1er au 2 août 2002. Ouagadougou est brutalement réveillé par un tonnerre au bruit infernal. La nouvelle qui tombe est terrible. Cruelle. Le Dr Balla Kéita, le « lion » du marigot politique ivoirien a passé l’arme à gauche, victime d’un assassinat dont la cruauté le dispute au tragique.
C’est la stupéfaction à Ouagadougou. À Abidjan, on s’interroge. Dans le reste du monde, on suppute et on spécule sur les mobiles éventuels de ce lâche homicide. Pourquoi ?
20 ans après … Que de souvenirs tristes ! Une affaire trouble, troublée et… troublante. 20 ans après cet assassinat macabre et, pour le moins horrible, continue de tarauder les esprits. De polariser, encore et encore, l’entendement des humains que nous sommes : Pourquoi ? Que s’est-il passé ? Qui a tué Balla ? Encore une de ces énigmes de notre histoire contemporaine, remise au goût du jour ces derniers temps, dans les journaux et sur les plateformes numériques et digitales. Mais, pourra-t-on jamais, un jour l’élucider, en trouver les mobiles réels ? Qui en voulait tant à Balla, au point qu’il n’existât plus ? Qui ?… Interrogation cocasse s’il en est…
Les incantations des politiques ainsi que des officines et chapelles à immoler sur l’autel des sacrifiés, ont entonné un hymne discordant, cynique et abjecte.
Bref, je me serais abstenu de revenir sur cette triste affaire. Faut-il garder le silence ? N’y a-t-il pas des interrogations qui justifieraient que l’on revînt sur ce drame ? Ce crime crapuleux ? Chaque année, chaque 1er août, la question lancinante de l’assassinat du Dr Balla Kéita revient inexorablement ? Refait surface et alimente les chroniques et les débats de toutes sortes. Il est clair que, la ‘’conscience collective’’ ne s’en est pas encore remise malgré nombre d’allégations peu ou prou fiables. Bref !
Les premières réactions sont à charge. Très peu de compassion. Pourquoi ? Cela tient à la personnalité par trop forte et truculente de l’ancien Ministre de l’Education nationale, de l’Enseignement et de la Recherche scientifique.
Mais, que s’est-il véritablement passé ce jour-là ? Qu’est-il arrivé effectivement à Balla ? Qu’est-ce qui a pu justifier que, les auteurs arrivassent à poser un tel acte criminel ? Que, personne n’en ai rien vu ? Rien entendu ?
Des questions assurément. Des interrogations légitimes aussi. Mais, quasiment toujours sans réponse ! Cette réflexion sonne comme une révolte. L’opinion a le droit d’être un peu mieux éclairée sur tant et tant de zones d’ombres…
De fait, grâce à ma grande proximité, avec le ‘’patron’’ du pouvoir à Ouagadougou et, pour tenir compte des relations affectives et fraternelles très fortes, que, le Dr Balla Kéita et moi, partagions, je m’en ouvris au maître des lieux, sur mon souhait ; d’y faire venir à Ouaga, des journalistes ivoiriens, de sorte que, la transparence guide les enquêtes. En « happy-few » et « spin’s doctor » le maître de « céans » très affecté et triste accéda à ma requête. C’est ainsi que, je pus faire faire ; le voyage à une délégation de huit (8) journalistes ivoiriens à Ouagadougou. Malgré la douleur qui le dévastait, Compaoré mit tout en œuvre pour élucider ce crime macabre. Rarement, je l’avais vu aussi dévasté.
À la vérité, moi-même, avais été sur le coup sonné par la nouvelle tragique et brutale de la disparition, du Dr Balla Kéita, le « lion ». J’étais en état de choc. Les journalistes y firent, en toute liberté, leurs reportages, investigations, enquêtes ou interviews. La police, la gendarmerie ainsi que les services habilités ès qualité, y firent des investigations dont les journaux, tant à Ouaga qu’à Abidjan, rendirent compte avec un art consommé.
Pris par mes responsabilités, je suis resté à Abidjan. Mais je ne suivais pas moins la situation des journalistes ivoiriens à Ouagadougou. Ils furent logés dans les conditions optimales, idoines et dignes qu’imposent, le déplacement d’un tel contingent de toutes les obédiences. Ils travaillèrent en toute liberté. Et 20 ans plus tard, on peut encore apprécier la saine coopération des services compétents du régime de Ouaga qui y facilita les investigations ; là où, habituellement, dans ce genre de cas ou circonstances complexes, la loi de ‘’l’Omerta’’ est, très souvent, rigoureusement observée. Que nenni. Les Ministres Bassolé (Sécurité), Badini Boureïma (Justice) ouvrirent le jeu afin que, aucun obstacle n’obstrue le processus des enquêtes.
À ce jour, hormis ce que ces jeunes journalistes (aux talents naissants) rapportèrent, on n’en a rien su de plus. Comment pouvait-on ? Sauf que, les supputations, suspicions et commentaires aussi virulents qu’acerbes et, ‘’politiquement incorrects’’, n’ont eu de cesse ; de résonner dans le « landernau politico-social » à Abidjan comme à Ouaga. Il faut le dire : la très forte personnalité du Dr Balla Kéita, (‘’redoutable tribun’’), les inimitiés que son ‘’franc-parler’’ d’idéologue aux diatribes enflammées, entraînaient-elles, donnèrent lieu ; à des piques et ‘’passes d’armes’’ politiques et médiatiques épiques. Un véritable « embrouillamini », où l’opinion semblait s’y perdre. Il faut retenir, que la personnalité si singulière, l’art consommé du « politique » redoutable qu’il était, a permis de noter qu’il entretenait des amitiés contradictoires et antagonistes. Des relations plurielles et soporifiques. À telle enseigne que, l’on ne put ni deviner ni suspecter qui, parmi celles des personnes qui le fréquentaient, à la Résidence de la « Zone du Bois », à Ouaga en y entrant et en en sortant sans distinguo, et dont, certains se détesteraient à qui mieux-mieux, on pourrait imputer ce crime abject. Cet endroit, jadis un lieu de majesté, est apparu enveloppé d’un manteau obscur. À l’évidence, était-il par trop difficultueux d’indexer dans cet écheveau un coupable sans coup férir ? Un véritable « tunnel » où, l’obscurité ne permet pas d’identifier l’ennemi habillé en peau d’agneau ? L’individu au dessein ignoble et abominable ?
Si bien qu’à Ouaga même, nombre d’initiés ès qualité en prévention parurent impuissants. Le coup était inattendu. Trop rude pour paraître vrai ! Et pourtant… Depuis, nonobstant les supputations, et suspicions c’est le statu quo ! Les officines politiques à Abidjan comme à Ouagadougou ont embouché la trompette des accusations sans que, il puisse être prouvé que leurs accusations réciproques avaient un lien avec cet acte sacrificiel. La piste des inimitiés qu’il entretenait avec les militaires réfugiés à Ouaga et emmenés par IB, ne fut pas moins évoquée. Certains excipèrent que leurs relations, cordiales au départ devinrent orageuses après à cause de la position inflexible du Dr Balla Kéita qui, lui, soutenait mordicus qu’en cas de coup réussi contre le régime d’Abidjan, c’est au Général Guéi que le putsch devait profiter. Pour les autres c’était le Non catégorique. Guéi était censé être à la base de leur exil. Dès lors, il était hors de question qu’il en soit le bénéficiaire hypothétique. Doit-on y voir une raison de règlement de compte ? Pas sûr. De nombreux indices excluent cette hypothèse.
Et pourtant, nonobstant les ratiocinations de ses contempteurs, il faut le dire : le Dr Balla Kéita, aura été ; un « humaniste ». Un homme au grand cœur. Un être généreux, affable, au verbe pur tranchant et puissant ! Un tribun au charisme politique incontestable. Il fut le véritable « chantre » du « Nanaïsme » (culte au père fondateur) du PDCI-RDA, le très emblématique et mythique Houphouët. Il vouait un culte au Président Houphouët dont, il épousa, la filleule ; le Pr d’université (spécialiste en histoire des civilisations et des relations internationales) Marie Thérèse Aïssata Bocoum, fille d’un compagnon intime de lutte, l’Ambassadeur Amadou Bocoum. Du reste, sitôt informée du crime horrible, dont son époux a été la victime (œuvre répétons-nous, de la « Femme Noire » présumée et ses éventuels complices), elle se rendit dès le lendemain à Ouagadougou avec un très proche collaborateur de son époux, le conseiller et chargé de mission, Abdoulaye Koné dit « Ablo ». Mais, déjà, certains médias en faisaient des ‘’gorges chaudes’’. D’autres leurs choux gras : La « femme en noire » était au cœur de toutes les conversations. Elle aurait été « l’âme odieuse » qui, aurait savamment orchestré et ourdi, le crime horrible qui terrassa le redoutable animal politique qu’était Balla. Le contenu de la supposée « déclaration audio », de l’incriminée n’a pu à ce jour, être à la fois, d’une clarté et une piste plausible dans ce dossier brumeux. Son épouse accusa le coup. Mais digne et croyante, elle ne fera ni ne donnera le sentiment d’une épouse affligée. Il en a été de même pour ses parents.
Je garde en mémoire, la résignation et la grande croyance en Dieu de son frère cadet Abou Kéita. Il en a été effondré. Idem pour sa sœur cadette, Awa dévastée et frappée de plein fouet. Sa douleur était indicible. Ses liens avec son frère étaient très forts.
Sa famille biologique (à Abidjan, Korhogo et Samo (Bonoua) n’était pas moins sous le choc !
Quant au microcosme politico-social et universitaire ivoirien, l’onde de choc ne fut pas moins rude ! Foudroyante ! Un véritable séisme ! Cet homme-là, était charismatique et pour le moins très proche des milieux désœuvrés et des parias de notre société. Il y était adulé. On peut comprendre leur tristesse. L’expression de leur grand désarroi.
Bref, plusieurs versions et hypothèses sur ce crime mystérieux ont circulé.
Une myriade ! Plus invraisemblables les unes que les autres. Et pourtant…
Autant vouloir chercher une aiguille dans une botte de foin.
Des versions aussi ubuesques que rocambolesques. Des suspicions impossibles à étayer. Quel gâchis ! Seul Dieu, l’omniscient, à ce jour, sait-il ce qu’il en est ou, en a été. Lui seul connaît la vérité et, connaît l’auteur ou l’auteure (la femme en noire présumée) dont, tout le monde parle et, dont, personne ne connaît à ce jour, ni la frimousse, ni l’identité réelle. Peut-être qu’un jour la vérité se saura-t-elle… À ce jour, 20 ans plus tard, c’est encore et toujours le mystère !
Il faut le dire tout net : le Dr Balla Kéita était un brillant intellectuel. Il avait obtenu son Bac C en France, avant de se spécialiser dans les sciences vétérinaires. Il était, dès l’aurore, l’un des rares à exceller dans ce domaine en Côte d’Ivoire et… en Afrique. Il fut un habile et redoutable « machine » politique. Un idéologue et doctrinaire au verbe pur et tranchant. Plus encore, il avait une culture éclectique. Politiquement, il sut s’imposer au cœur de la haute baronnie « houphouétienne » et, en devint un pion important dans le « puzzle politique » que le « Vieux » Houphouët mit en place avec le « Comité exécutif » du PDCI. Il était généreux et extrêmement apprécié par les jeunes ainsi que les militants du PDCI-RDA.
Il fut une « bête noire » incarnée pour le monde éducatif. Il eut maille à partir avec le Syndicat du Supérieur (le Synares) dirigé par Marcel Etté ; le Synesci de Laurent Akoun et autant pour les auxiliaires, ainsi que les différents syndicats d’étudiants. Tribun hors pair, il avait l’art consommé de faire capituler tous ceux qui se dressaient contre Houphouët Boigny. Hélas, l’ironie du sort, voulût que son fort engagement politique à la limite de la dévotion, lui joua un vilain tour. Il fut évincé par Houphouët lui-même, du Ministère de l’Education Nationale, en 1989. Et pourtant, il avait réussi à mettre au pas (avec l’aval et l’appui du ‘’paternel Président’’) les « têtes fortes » de la lutte contre le système éducatif, taillé à la mesure de « l’octogénaire » et sage « monarque » de Yamoussoukro. Il en était même devenu ; la « clé de voûte » du dispositif institutionnel car, l’école, à une certaine époque, a donné le « tournis » au père fondateur et l’establishment politique. Et, en pareille circonstance, le Dr Balla Kéita, était devenu la « soupape de sécurité » chargée de contenir, tout débordement des étudiants. Il était le rempart contre les ruades tant physiques que verbales des opposants au Bélier de Yamoussoukro que, le syndicat des professeurs qualifiait d’obsolète et de désuet. Cette position doctrinale inflexible des « maîtres » des « amphis », expliquerait en grande partie ; et les très mauvais rapports et l’inimitié qu’il a eus avec l’avènement du pouvoir, incarné par Laurent Gbagbo. Circonstances aggravantes, il avait été, une des « têtes pensantes », du général Robert Guéi, devenu président, après le « pronunciamiento » du 24 décembre 1999, contre le Président Bédié. Même si, après la débâcle du Général Guéi, le Dr Balla Kéita, a su bénéficier de certaines attentions, et égards notamment de Madame Simone Ehivet-Gbagbo pour sa prise en charge, après les atteintes à son intégrité physique, à la suite de la contestation de l’élection présidentielle du 22 octobre 2000. À preuve, il préféra, sitôt remis de ses blessures, prendre la direction de Ouagadougou.
C’est la suite, diront certains, des prolongations des présidentielles du 22 octobre 2000. En ma qualité de patron du journal du parti au pouvoir (Le Démocrate 1991-1998), donc, observateur avisé de la société ivoirienne, j’ai entretenu avec ‘’l’élite’’ du parti au pouvoir de l’époque, des intellectuels, artistes, sportifs et acteurs de cinéma et du show biz, des liens très étroits, de fraternité et de collaboration professionnelle de très haut niveau.
J’en ai été un véritable privilégié. Grâce à Dieu, je le suis encore. Un véritable sachant au cœur du « dispositif » politique ivoirien en général. Cela n’était pas, le moindre de mes mérites. Il n’était pas donné de gagner la confiance du Président Houphouët. Dieu me le permit. Je gagnais également celle du Dr Ouattara, Premier ministre et chef gouvernement dont, très tôt, je portai le combat dès l’orée de sa grande épopée politique. Puis de Bédié, lorsqu’il parvint au pouvoir d’Etat ; après le décès du Président Houphouët-Boigny le 7 décembre 1993. C’est dire que, j’occupai à certains moments, une place de choix dans l’analyse politique et les orientations subséquentes.
Aussi, mon immersion dans les réalités de ces temps anciens, en sus d’une certaine prégnance dans les temps actuels, m’autorisent à jeter assez facilement, des ponts entre plusieurs figures de proue de ces cercles. L’immersion que je fais au cœur de ce dossier (ô combien, complexe et brumeux) du très lâche assassinat du Dr Balla Kéita, en résulte. Sa disparition de façon brutale et tragique, sonne encore et encore dans les mémoires. Qu’à Dieu, il plaise que, le « voile obscur » du 1er août 2002 qui enveloppe le meurtre du Dr Balla Kéita, se lève sur les circonstances troubles, qui ont entouré son assassinat survenu comme par enchantement : sans témoin apparemment. Aussi facilement et sans ‘’crier gare’’, nonobstant l’absence (intrigante) de l’élément de la sécurité mais, avec dit-on, de façon quasi plausible, la présence de visiteurs mystérieux…( ?)
La ‘’Dame en noir’’ sur qui ; pèseraient tant de suspicions, était-elle en rupture « d’option politique » ou, plutôt de « lune de miel » ? Le Procureur de la République, Abdoulaye Barry, juriste émérite et apprécié, y a perdu son latin. Que d’interpellations ! Que de procédures expiatoires… ! Mais, rien pour démêler l’écheveau. Toutes les enquêtes ne permirent un jet de lumière sur le dossier obscur.
Aussi, depuis 20 ans, nonobstant la piste de cette mystérieuse « Dame en noire », les supputations vont toujours bon train. Qui, avait-il ; un intérêt particulier à voir Balla ad patres ? Les politiques ? Et pourquoi ? C’est toujours le silence radio et une kyrielle d’interrogations ! Mystère et boule de gomme !
Un miracle se produira-t-il un jour ? Sait-on jamais. Puisque, à ce jour on parle encore et toujours de la disparition d’Hitler. L’histoire de l’humanité est parsemée de tant d’intrigues politiques. L’énigme du décès tragique du Dr Balla Kéita continue…
Bamba Alex Souleymane
Journaliste Professionnel
Expert consultant en Stratégies
Chevalier de l’Ordre National
Officier du Mérite ivoirien
Commandeur du Mérite sportif ivoirien
Ambassadeur pour la Paix et la Réconciliation…
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