À peine les Belges ont-ils rendu une dent couronnée d’or de Patrice Lumumba, que certains Nègres, superficiels et émotifs, se sont mis à se réjouir et à remercier le bourreau. Il ne manque plus que les danses endiablées pour que la boucle de l’inconscience soit bouclée. En effet, dans les jours ou semaines à venir, les éternels complexés danseront ici et là, puisque la danse est dans le sang de l’Africain, pour exprimer leur reconnaissance à cette Belgique qui a bien voulu restituter la dent de Lumumba. Or, en pareille circonstance, pour des personnes qui ont le sens de la dignité et de l’honneur, il ne s’agit, ni de gratitude ni de réjouisances, mais de gravité et de colère car Lumumba n’est pas mort de maladie. Il a subi d’atroces souffrances, a été torturé, humilié et animalisé. Son corps a été découpé en morceaux, puis dissous dans de l’acide sulfurique. En plus du silence que commande un tel événement, il faut se poser quelques questions : Qu’est-ce qui prouve que cette dent appartient à l’ancien Premier ministre du Congo ? A-t-on procédé à un test ADN ? Pourquoi le leader congolais fut-il assassiné ?
Lumumba fut éliminé parce que, dans son discours prononcé devant Gustave Baudoin, le roi des Belges, le 30 juin 1960, il avait déclaré que son pays traiterait désormais d’égal à égal avec l’ancienne puissance colonisatrice et que les Congolais étaient fiers d’avoir mené la lutte contre le colonialisme qui les méprisait, les bastonnait, les exploitait, les chosifiait et crachait sur eux, parce qu’il voulait “montrer au monde ce que peut faire l’homme noir quand il travaille dans la liberté et faire du Congo le centre de rayonnement de l’Afrique toute entière”, parce que sa proximité avec Moscou et Pékin dérangeait les pays occidentaux.
À supposer que ce soit vraiment la dent de Lumumba, pourquoi la Belgique a-t-elle attendu 61 ans pour la restituer ? Faire tuer quelqu’un parce qu’il a dit ce qu’il pensait, parce qu’il refusait d’être un traître à la patrie, parce qu’il voulait défendre les intérêts de son peuple, et faire semblant de regretter ce crime 6 décennies après, n’est-ce pas un peu trop facile ? Quand on sait que le Blanc ne fait jamais rien pour rien, on peut se demander si les Belges ne poursuivent pas un objectif précis en restituant la dent de Lumumba. La France et l’Europe en général n’ont plus bonne presse en Afrique. Un peu partout, on assiste à une rébellion de la jeunesse africaine contre l’homme blanc. De Dakar à N’Djamena en passant par Bamako et Ouagadougou, les peuples africains demandent la fin du franc CFA, le départ des bases militaires étrangères et la non-immixtion de l’Europe dans les affaires africaines. Dans ce contexte, on peut bien imaginer que les Européens veulent se servir de la restitution de la dent de Lumumba et du retour des œuvres d’art africains pour se “réconcilier” avec les Africains. On peut croire que, en posant un tel geste, ils espèrent faire baisser la tension entre l’Afrique et l’Europe. Mais suffira-t-il de rendre la dent de Lumumba pour que les Africains ne gardent plus une dent contre l’Occident ? Rien n’est moins sûr. Car il y a un lourd contentieux entre les deux continents. Trop de blessures ont été injustement infligées à l’Afrique. Il est illusoire de penser que ce sont des gestes symboliques qui pourront guérir ces blessures.
Au-delà de sa famille et de son pays, Lumumba appartient à toute l’Afrique. Cette Afrique, qui n’a pas fini de le pleurer, devrait dire non à de petits arrangements entre le gouvernement belge et la famille de Lumumba. Elle ne devrait pas non plus accepter les plates excuses d’une Europe qui n’a pas encore démontré par des actes qu’elle a dit adieu au crime, à la barbarie et au racisme.
Les pays qui ont trempé dans le lâche assassinat de Lumumba doivent être jugés en Afrique. C’est le minimum qui puisse être exigé par un peuple qui souhaite se faire respecter.
Y en a marre des excuses hypocrites et des larmes de crocodile.
Jean-Claude DJEREKE
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