Cyber endoctrinement – Par Nicolas Quenel
La Russie est fréquemment pointée du doigt pour expliquer l’accroissement du sentiment anti-France. Si cette dernière a effectivement développé une stratégie qui passe notamment par des influenceurs, beaucoup d’entre eux n’ont pas besoin du Kremlin.
« À mort la France », « France, État terroriste », « France dégage ». Ces slogans affichés sur des pancartes de fortune se sont largement fait remarquer dans diverses manifestations au sein de pays d’Afrique de l’Ouest ces dernières années. Sur les images de ces protestations qui essaiment sur le web, il n’est pas rare de voir des drapeaux de la Fédération de Russie brandis hauts et fiers alors que les drapeaux français connaissent un sort tout à fait différent, foulés du pied quand ils ne sont pas brûlés en place publique.
Un contraste qui amène un constat : la présence française en Afrique de l’Ouest est perçue comme néocoloniale par une partie de la population alors que la Russie est, au contraire, perçue comme libératrice des peuples.
Un constat difficile à encaisser pour Paris qui a tendance à voir, un peu rapidement parfois, la main du Kremlin derrière chaque manifestation. Si la Russie est clairement engagée dans une large opération d’influence sur le territoire africain à grand renfort de corruption ou de campagnes de désinformation, elle ne fait souvent que capitaliser sur un mécontentement populaire préexistant.
Une composante de ces opérations de communication russes repose notamment sur les « influenceurs » africains. Peut-être le plus connu, l’activiste panafricaniste Kemi Seba n’a pas caché ses liens avec le financier de l’entreprise de mercenaire Wagner, Evguéni Prigojine, dans une interview à la chaîne Vox Africa en 2018. Sur le banc des personnes que Paris soupçonne d’avoir été retournées par la Russie, l’activiste suisso-camerounaise Nathalie Yamb à qui Le Monde a consacré un portrait pointant ses amitiés russes et sa participation à deux événements d’une ONG fantoche derrière laquelle se cache le même Prigojine.
Mais au-delà de ces « fers de lance » des opérations informationnelles du Kremlin comme les décrit un haut fonctionnaire français interrogé par Marianne, l’émergence de nombreux autres « influenceurs » sur le web finit par attirer l’attention de Paris.
Grâce à un discours plus ou moins lisse mais résolument opposé à la présence française en Afrique et une communication bien rodée sur les réseaux sociaux de Youtube à Telegram en passant par les médias traditionnels, ils élargissent progressivement leur audience et revendiquent influencer une jeunesse africaine de plus en plus connectée.
C’est le cas notamment de Franklin Nyamsi. Professeur dans l’Éducation Nationale en France qui compte près de 90 000 personnes qui le suivent sur Twitter. Interrogé par Marianne sur sa pensée, il récuse le qualificatif « d’anti-France » mais plaide pour l’établissement d’un « partenariat gagnant-gagnant » entre la France et les pays Africains qu’il juge encore pour partie sous domination néocoloniale de la part de Paris.
Dans un discours posé, cet élégant professeur de philosophie assure que sa « perspective a toujours été d’être l’intellectuel qui va aider la réconciliation des mémoires. Je suis de ces voix qui veulent réconcilier ce qu’il y a de plus grand en France avec ce qu’il y a de plus grand en Afrique ». L’homme, qui pose en photographie avec le colonel Assimi Goïta, le nouveau chef de l’État malien dont le gouvernement a signé des accords avec la firme de mercenaires Wagner, récuse l’hypothèse de connivence avec la Russie et affirme ne recevoir ni consigne ni argent de cette dernière. Pour lui, « la russophobie est la règle en France pour avoir accès à la parole publique, or je refuse ce système ». Reste qu’il juge les actions de la Russie et de la Chine « bien plus proche de l’idéal du partenariat gagnant-gagnant » que celles de la France.
S’il n’a pas été licencié de l’Éducation Nationale contrairement à la rumeur qui circule sur son compte et qu’il dément auprès de Marianne, ses positions lui vaudront quand même deux convocations du rectorat. Derrière ces convocations il devine la main des huiles du Quai d’Orsay et de l’Élysée. « Foutaises » s’amuse presque un fin connaisseur du dossier qui souligne que Franklin Nyamsi est encore en poste. « Preuve que la France est quand même bonne fille » selon lui.
« LE SEUL ENNEMI À COMBATTRE C’EST LA FRANCE »
Autre influenceur qui s’est fait remarquer au moment du convoi militaire bloqué au Burkina Faso fin décembre 2021 : Roland Bayala [photo Une ici]. Le porte-parole de la Coalition des patriotes africains du Burkina Faso (COPA-BF) et actuel député de l’ALT refuse le qualificatif d’influenceur mais considère quand même qu’il a une « mission auprès de la jeunesse africaine ». Auprès de Marianne, il revendique pour son mouvement la paternité de l’épisode du blocage du convoi de l’armée française parti de Côte d’Ivoire et qui devait ravitailler la base militaire française de Gao au Mali, avant que Barkhane ne parte du Mali. Dans le journal « L’Express du Faso », il n’hésite pas à déclarer que « le seul ennemi à combattre c’est la France ».
Interrogé sur ses déclarations, il précise vouloir lutter contre « la politique française en Afrique » qui « travaille à diviser et piller le peuple africain » et sous-entend que l’armée française arme et forme les groupes terroristes qui sont présents dans le nord du pays. Une théorie du complot particulièrement populaire au Burkina Faso. À l’instar de Franklin Nyamsi, il assure n’avoir aucun lien, de près ou de loin, avec la Russie. « Je ne sais même pas s’il y a une ambassade russe au Burkina ni où elle se trouve » affirme-t-il.
Dernier influenceur interrogé par Marianne le militant de la LDNA (Ligue de Défense Noire-Africaine) Egountchi Behanzin. L’homme, de son vrai nom Sylvain Afoua, est suivi par plus de 200 000 personnes sur Facebook. Comme les autres, il refuse le qualificatif « anti-France » qui peut lui être accolé. Dans ses vidéos, le militant panafricaniste affirme que la France mène une politique néocoloniale en Afrique et fustige des médias français qui « ne vont pas aux racines du mal ». Connu pour ses actions « coup de poing » comme la fois où il est allé brûler un drapeau français devant l’ambassade de France au Mali, il publie aussi régulièrement des vidéos considérées comme complotistes. Dans certaines, il affirme que l’armée française est complice de trafic d’organes au Sahel ou évoque l’implication des « forces spéciales » françaises derrière le coup d’État au Burkina Faso. Interrogé sur ces vidéos, il les assume en affirmant « disposer de bonnes sources d’information ». Lui aussi affirme n’avoir aucun financement de la part de la Russie. Quant à sa participation régulière aux émissions d’Afrique Media TV, chaîne pourtant financée par le mécène des mercenaires de Wagner, il affirme n’être pas au courant de ces financements.
L’émergence de ces influenceurs, qu’ils soient de mèche ou non avec le Kremlin, commence à préoccuper les autorités françaises, conscientes de leur perte d’influence en Afrique. Une source diplomatique confie à Marianne que ce problème « n’a été que trop récemment pris au sérieux » mais affirme que la « prise de conscience » a été faite et qu’une nouvelle doctrine est à l’œuvre dans cette guerre de l’information.
Pour preuve, il invoque l’opération de désinformation menée par Wagner qui a été désamorcée en amont par l’armée française qui a déclassifié des vidéos de drones dévoilant la machination russe.
Reste que les autorités françaises subissent quand même la loi de Brandolini qui stipule que la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter des idioties est supérieure à celle nécessaire pour les produire. Bon courage pour résoudre l’équation.
Par Nicolas Quenel
https://www.marianne.net/monde/afrique/de-kemi-seba-a-franklin-nyamsi-les-influenceurs-anti-france-attisent-le-mecontentement-populaire-en-afrique
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