L’évolution du système mondialisé met chaque jour en évidence les insuffisances d’un modèle qui a atteint ses limites. Mais la logique de toujours cultiver les jalons d’un monde unipolaire voulu par les Occidentaux, menés par les Etats Unis d’Amérique contre celui multipolaire qui a la préférence des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) anime la belligérance par procuration ou par pays interposés, en l’occurrence la guerre en Ukraine. S’il est certain que les explications ne sont jamais simples entre les Russes qui ont déclenché la guerre et ceux qui la combattent dans le but de l’affaiblir, il convient de tirer des leçons même si la fin de la guerre ne s’annonce pas imminente. Il importe également de dire que la chute du mur de Berlin a joué un grand rôle dans les luttes menées par les progressistes au travers du monde surtout en Afrique. Le cas de la Côte d’Ivoire peut être l’exemple prégnant en la matière. En fait, au moment où les incertitudes sont légion dans le monde et des interrogations sont nombreuses sur le devenir de l’humanité, les peuples africains doivent faire le point pour savoir où ils en sont.
La Côte d’Ivoire est un pays qui a été l’objet d’attention dans les années 1990 pour la lutte des libertés et de la démocratie. Le tournant des années 2000 avec l’accession de la gauche au pouvoir a été vu comme un moment qui non seulement cristallisait les espérances mais aussi, qui pouvait mettre en évidence la concrétisation de tous les espoirs. Si l’on doit reconnaître que les projets de société et de gouvernement portés par le gouvernement de Laurent constituaient un bon socle dont le déroulement pouvait changer le visage du pays en termes de développement et d’accès au progrès, il y a également à réinterroger l’approche politique des acteurs de ce qui était la gauche.
Donner du sens aux mots « développement et progrès », c’est l’objet de la réflexion. En effet, toute entreprise humaine nécessite un bilan qui permet de mesurer les forces et les faiblesses et d’identifier les substances susceptibles d’enrichir les impétrants et d’adapter les ressorts du combat. Logiquement, le développement et donc le progrès incombent d’abord au pouvoir en place. Mais nous savons de ce qu’il en est des gouvernements successifs d’Abidjan depuis leur arrivée au pouvoir. Pour cela, notre analyse articulera cette réflexion autour de trois points : 1) La gauche ivoirienne émiettée ; 2) La nécessité d’un débat d’idées en vue de rénover le paysage politique et 3) La conversion des mentalités en vue d’un changement de paradigme.
La gauche ivoirienne émiettée
La fuite en avant, l’aveuglement, la suffisance, l’esprit d’accaparement tous azimuts et le sectarisme sont à n’en point douter les causes profondes de la chute de ceux qui furent les grands partis en France. Ces partis dits de gouvernement parce qu’ils ont effectivement exercé le pouvoir se sont enfermés dans des bulles et des « camps retranchés » qui les a par ailleurs déconnectés de la base.
En Afrique et plus spécifiquement en Côte d’Ivoire, sans nier les manœuvres incestueuses de l’ancienne puissance tutélaire pour contrôler la gouvernance des dirigeants, le comportement propre des acteurs est en lui-même un problème. D’abord, les gens ne veulent pas rendre compte de ce qu’ils ont fait et rejettent bien souvent totalement les raisons de leurs échecs sur des obstacles exogènes. Certes, la façon dont s’est faite la perte du pouvoir par le FPI en avril 2011 a été un épisode traumatisant pour la démocratie dans ce pays, parce que la volonté de l’ancienne puissance coloniale de démanteler les jalons de la démocratie qui étaient en train d’être mis en place est tenace. Il n’en demeure pas moins que de la naïveté et un certain manque de rigueur ont favorisé les leviers de la chute du FPI. Dans la difficulté qu’a connu ce qu’était le FPI, les atermoiements des uns et le manque de loyauté des autres ont été des armes pour l’adversaire dans la démarche de démanteler les velléités d’une refondation. Mais dans toutes luttes, il doit y avoir des priorités. La voie choisit par Affi N’guessan a constitué une impasse pour lui-même quoi que sa démarche ne fût pas tant pour organiser une résistance mais voulait plutôt s’aménager une marge à recevoir des prébendes pour conserver son train de vie.
L’on doit retenir que les démocrates n’ont pas accepté la déportation à La Haye de Laurent Gbagbo et ils l’ont soutenu de toutes leurs forces. Son retour au pays étant pour ses soutiens un gage de voir se concrétiser leurs espérances. Malheureusement, les questions de personnes qui hantent certains et le manque de perspectives pour l’intérêt collectif d’autres, ont animé des intrigues au sein de la gauche ivoirienne. Il en résulte des divisions nées de frustrations et de malentendus.
La nécessité d’un débat d’idées en vue de rénover le paysage politique
Le FPI créé en 1990 est aujourd’hui divisé en trois : Une partie est restée avec Affi N’guessan avec le nom originel ; une autre se réunit sous le PPA-CI de Laurent et une troisième partie se retrouve dans le MGC de Simone Ehivet-Gbagbo. Cette vérité patente s’impose et n’est plus contestable. Après, il faut (re)dire qu’après des crises, faire un bilan s’impose. Le fait de s’en échapper en enjambant cette étape laisse un goût amer. A l’évidence, on ne peut pas en même temps vouloir le développement et le progrès et être fermé au débat et au renouvellement d’idées. Dans les statuts des partis de gauche, il est écrit comme droit des militants que « le militant a droit à la critique et à l’autocritique ». L’expérience montre que ceux qui veulent observer ces droits sont diabolisés s’ils ne sont pas simplement poussés vers la sortie. Or, un parti politique qui refuse l’éclosion d’idées nouvelles est amenée à se scléroser et à dépérir pour disparaître à terme. En réalité, le grand chalenge consiste à faire une vraie offre politique qui donne de l’espérance au peuple et ouvre des chantiers pour la jeunesse. Au-delà des éléments de langage, la vraie cause de la déchirure du FPI est l’absence d’un esprit de tolérance, de renouvellement des approches et d’ouverture. Ce qui est dominant dans chacune des fractions constituées est que l’approche méthodologique pour constituer un véritable pôle d’attraction reste pour l’instant sujette à caution, tellement il est difficile aux différents états-majors d’être transparents pour donner envie. Des trois fractions qui sont nées de la déchirure du FPI, aucune ne s’est encore véritablement démarquée par rapport aux insuffisances qui ont causé le délitement. Trop souvent, l’on oublie que la jeunesse est très politisée aujourd’hui. En effet, la Côte d’Ivoire d’aujourd’hui n’est plus celle d’hier. Surtout avec les réseaux sociaux, il est difficile de camoufler quoi que ce soit.
La conversion des mentalités en vue d’un changement de paradigme
Dans les partis politiques, cela est surtout valable pour ceux qui veulent rénover leurs pratiques aux fins de porter les espérances des Ivoiriens, il ne faut pas commettre l’erreur de donner l’impression d’écouter alors que les comportements au fond vont montrer par la suite qu’on n’entend pas. Quel est le problème ? Les gens, c’est-à-dire des militants et des sympathisants se plaignent de ce qu’il y a une sorte de forteresse autour des chefs des trois morceaux issus du FPI originel. Alors que des compétences sont disponibles pour remonter les fruits de réflexions prospectives et des idées nouvelles, les pôles de décision sont inaccessibles. Ceux-là, frileux par rapport au renouvellement qui les menacerait, ont une rhétorique qui se résume ainsi : « vous êtes avec nous ou contre nous ». Et cela marche. Les gens se taisent pour avoir une prétendue faveur des chefs. Ce qui est très réducteur. Car la politique est d’abord une affaire de convictions. Malheureusement, l’abnégation n’habite plus beaucoup de personnes. Au demeurant, l’offre politique doit aujourd’hui proposer un véritable espace démocratique et un projet de société crédible dont on se donne les moyens de tenir. On doit considérer que les sectaires et les réactionnaires ne peuvent plus être aux avant-postes surtout quand on évalue leur bilan.
La jeunesse ne doit plus suivre des gens qui veulent simplement se servir d’eux. Il faut que des contreparties soient mises sur la table. Lorsqu’on s’aperçoit qu’une démarche conduit dans le mur, il faut avoir le courage d’estimer que cela ne va pas dans le sens de l’intérêt collectif.
De ce qui précède, il faut retenir que pour avoir le développement et le progrès, on doit construire les leviers à la hauteur des enjeux. Les improvisations et les approximations d’une part et les considérations émotionnelles et/ou affectives de l’autre ne peuvent plus corrompre la raison. Les acteurs politiques abusent des populations, parce que démunies, ces dernières se retrouvent dans des états psychologiques vulnérables. Il y a donc à construire un véritable pôle de progrès si aucun acteur actuel de gauche n’a plus la force ou n’identifie pas avec rigueur les véritables ressources humaines qui peuvent redonner envie. Après tout ce qui s’est passé ces vingt dernières années, il ne sera pas responsable de soutenir ou de suivre des gens qui distraient le public alors que le peuple souffre. Cela se manifeste d’ailleurs par le décès de grandes figures gagnées par le désespoir. Enfin, on ne peut pas continuellement retourner la charge de la preuve contre les autres en faisant à chaque fois une omerta sur ses propres turpitudes.
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