Lettre ouverte du mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » au président réélu de la République française

Monsieur le Président,

Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » tient à vous féliciter pour votre réélection à l’issu du second tour de l’élection présidentielle. Le peuple français, en choisissant de vous renouveler sa confiance, a fait le choix de la continuité. Les peuples africains, eux, voudraient espérer, avec cette réélection, une nouvelle politique africaine de la France. Lors du débat avec votre adversaire le mercredi 20 avril 2022, vous avez convenu avec elle de refonder les relations de la France avec les pays francophones africains. Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » espère que ce n’était pas de simples mots destinés à séduire l’électorat progressiste comme l’ont fait vos prédécesseurs qui, à l’exercice du pouvoir, se sont battus avec acharnement pour le maintien du statu quo du « pacte colonial ».
Monsieur le Président,
Les relations franco-africaines ne vous sont point inconnues et, vous savez dans quel état de fracture se trouve les rapports naguère si harmonieux entre la France et les peuples africains. Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » tient, cependant, à vous rappeler que le mécontentement des peuples africains face à la politique africaine de la France repose sur un certain nombre de sujet dont deux nous intéressent ici. L’expression de ce mécontentement a été abusivement et malicieusement requalifiée en sentiments anti-français par des esprits chagrins et rétrogrades qui auraient préféré le maintien du statu quo du « pacte colonial » en lieu et place d’une réforme dynamique des rapports entre la France et ses anciennes colonies.

La situation au Mali
Les populations africaines constatent que les rapports entre les autorités maliennes et les autorités françaises ne font que se dégrader de jour en jour. Le mépris des uns envers les autres et l’escalade diplomatique sont devenus la réalité des relations franco-maliennes. Tantôt c’est la légitimité des autorités transitoires maliennes tantôt c’est la présence supposée sur le sol malien de la société militaire privée russe Wagner qui pose problème aux autorités françaises là où ces sujets ne posent aucun problème au peuple malien agissant dans le cadre de sa souveraineté reconnue par les Nations Unies. Ces derniers jours, ce sont des accusations de violations des droits de l’homme qui sont gravement portées contre les forces armées maliennes.

Monsieur le Président,
Cet antagonisme radical nourri au fur et à mesure par de nouvelles raisons qui viennent s’ajouter aux anciennes ne fait qu’approfondir chez les peuples africains cette impression d’acharnement des autorités françaises contre les autorités maliennes et de harcèlement incompréhensible des autorités et du peuple maliens par les autorités françaises. Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » demande la désescalade dans les rapports entre les autorités françaises et maliennes. Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » vous demande d’accompagner, de manière constructive, les autorités transitoires maliennes pour la mise en place d’un pouvoir civil.

Les peuples africains qui suivent avec beaucoup d’attention l’actualité ne comprennent pas que les autorités françaises adoubent, par exemple, le pouvoir tchadien, condamnent, dans la crise ukrainienne déclenchée par la Russie, des agissements contraires au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, réaffirment « la liberté des Etats de choisir ou de modifier leurs propres dispositifs de sécurité », soutiennent que « la notion de sphère d’influence n’a pas sa place au XXIe siècle » (Nicolas de Rivière, représentant permanent de la France auprès des Nations unies, au Conseil de sécurité de l’Onu le 31 janvier 2022) et voient ces mêmes autorités s’offusquer que le Mali veuille modifier ses dispositifs de sécurité en recourant au partenariat avec la Russie. Les peuples africains se demandent si le droit international change lorsqu’il s’agit des noirs d’Afrique. Les peuples africains ne comprennent pas que les autorités françaises encouragent et accompagnent le recrutement par les forces armées ukrainiennes de mercenaires freelance et condamnent le recours par le Mali à une société militaire privée officielle. La morale de cette logique a besoin de clarification pour que l’opinion publique la comprenne.

Au lieu de dépenser d’énormes efforts diplomatiques et médiatiques pour stigmatiser les militaires de l’armée privée russe Wagner sans que cela infléchisse la position des autorités maliennes, le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » invite les autorités françaises, comme elles l’ont si bien fait en diverses autres circonstances, à engager une initiative internationale pour réfléchir autour du « Document de Montreux » soutenu par l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), l’Union européenne et 56 pays, lequel encadre juridiquement le recours aux sociétés militaires privées par les Etats.
Le projet de Convention internationale sur la réglementation, la surveillance et le contrôle des sociétés militaires et de sécurité privée datant de 2009 et le Code de conduite international des entreprises de sécurité privées de 2010, signé en 2015 par 700 entreprises militaires et de sécurité privées doivent aussi faire l’objet de relecture pour que le monde se dote d’un cadre juridique et international réglementant l’activité des sociétés militaires privées. Certaines de ces sociétés militaires privées comme la Military Professional Resources Incorporated (MPRI), une société militaire privée américaine, forment les armées irakienne et koweitienne, sans que cela choque outre mesure. Au Niger qui fait frontière avec le Mali, il est signalé la présence de sociétés militaires privées dans le dispositif tactique américain. Cela n’a soulevé aucun tollé international. L’opinion publique africaine voudrait comprendre pourquoi le cas du Mali pose tant de problèmes à la communauté occidentale. Et pourtant, dans certains conflits armés asymétriques, les opérations militaires des Nations Unies pourraient, en partie, s’appuyer sur l’expertise des sociétés militaires privées pour minimiser le coût humain de ces missions pour les Etats. Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » voudrait voir la France engager la réflexion prospective sur cette question.
Monsieur le président,
Si rien de constructif n’est fait de part et d’autre, le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » craint une exacerbation des tensions entre les autorités maliennes et les autorités françaises. Après le génocide rwandais sous le président François Mitterrand, la déstabilisation du pouvoir de Laurent Gbagbo à la conférence de Kléber de 2003 sous le président Jacques Chirac, la guerre, sous mandat onusien, de la France contre la Côte d’Ivoire et la Libye en 2011 sous la présidence de Nicolas Sarkozy, aura-t-on droit à une autre guerre de la France contre un pays africain, en l’occurrence le Mali ? Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » voudrait s’en inquiéter. Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » espère qu’il n’en sera pas ainsi, même si ce scénario fait partie des prévisions prospectives.

Le système anachronique du franc CFA
Un demi-siècle après l’indépendance des pays francophones africains et quatre siècles après le code noir de 1685 selon lequel l’esclave est sujet naturel du royaume et ce fait produit toujours son effet malgré l’affranchissement, la France reste le seul pays au monde qui gère la monnaie de ses ex-colonies. La colonisation est officiellement terminée mais le franc CFA, malgré l’acronyme, continue de maintenir ses mécanismes juridiques et économiques. Les opinions africaines s’insurgent contre ce maintien du CFA qui rappelle aux consciences que l’horloge du temps a arrêté son aiguille à l’époque coloniale en Afrique. L’on dit que le franc CFA est une monnaie africaine. Mais si c’est vraiment le cas, comment comprendre le fait que la France conserve 15% des billets de banque après impression pour ses propres besoins, pour les dépenses courantes liées au fonctionnement de ses ambassades en zone CFA ? Cela mérite des clarifications pour que l’opinion publique africaine soit informée de leurs motivations et de leur légalité.
L’acuité de la question migratoire africaine qui déclenche des passions en Europe et le poids de la dette dans les pays africains recommandent honnêtement de se débarrasser de toutes les formes astucieuses de redevance coloniale pour permettre aux pays africains de prendre à bras le corps ces problématiques et bien d’autres avec, à leur disposition, l’entièreté de leurs recettes d’exportation. En privant les pays africains de la moitié de leurs recettes d’exportation comme elle le fait depuis 1960, passant de 100% à 65%, puis, à 50% depuis 2005, la France ne fait qu’aggraver, malgré elle, la situation de précarité dans les pays africains. Il est heureux qu’il ait été décidé, à l’initiative de la France, de réformer la politique monétaire dans les pays africains utilisant le CFA. Mais, les engagements pris en 2019 à Abidjan avec le président ivoirien ne règlent pas les problèmes de fond puisqu’il est superposé à l’Eco les mécanismes de fonctionnement du franc CFA.
Pour le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire », l’on a eu droit à une opération cosmétique de déshabillage-habillage qui ne répond pas aux questions essentielles de développement soulevées par les spécialistes des questions économiques d’autant plus que les mécanismes de fonctionnement de la nouvelle monnaie restent tributaires de ceux du CFA et permettront toujours à la France de continuer d’exercer sa tutelle sur les politiques économiques des pays africains ; ce qui a toujours été dénoncé. L’Eco dans sa forme CFA restera une monnaie forte pour des pays à économie faible et ne stimulera pas le développement des filières manufacturières exportatrices. Bien au contraire, il contribuera à affaiblir, comme le CFA, la compétitivité des produits africains. En plus, les pays africains resteront durablement cantonnés à un rôle de producteurs exclusifs de matières premières à faible valeur ajoutée technologique et ne pourront jamais transformer structurellement leur économie.

Une monnaie forte permet d’acheter moins cher des produits importés mais rend les produits nationaux plus chers et moins compétitifs. Une monnaie sous-évaluée (maintenue faible), en revanche, entraîne un rythme de croissance soutenu et améliore la compétitivité des produits nationaux. Cette perspective de dépréciation de la monnaie pourrait arranger les pays africains en les poussant à produire localement, jouant ainsi sur le tissu industriel, mais serait inflationniste pour la consommation intérieure entretenue par les importations de biens et de services. Une monnaie surévaluée comme le franc CFA stimule la consommation des biens et services importés, est avantageuses pour les pays d’où les produits sont importés et provoque des déficits commerciaux pour les pays qui l’utilisent. Elle reste enfermée dans le régime colonial qui accorde une subvention à l’importation et taxe l’exportation, empêchant les colonies de s’industrialiser ; même quand il y a industrialisation, elle ne sert qu’à couvrir les besoins de la consommation intérieure. Ce qui conviendrait bien aux africains, c’est une monnaie au taux de change flexible. C’est donc en connaissance de cause que les initiateurs de l’Eco ont opté pour le taux de change flexible, initiative court-circuitée par l’Eco-CFA. A l’évidence, cette perspective avantageuse pour les pays africains ne convient pas à la France qui a décidé de court-circuiter le projet africain de l’Eco avec son projet alternatif de l’Eco-CFA où elle reste le garant financier.
Monsieur le Président,
Pour le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire », la monnaie commune ne doit pas que servir à favoriser les grandes entreprises françaises et donner à la France un accès privilégié et sans coût aux ressources agricoles, forestières, minières et stratégiques africaines. Le système CFA favorisait la fuite des capitaux, avec des multinationales qui rapatrient, sans limite, leurs profits réalisés dans la zone Franc. L’Eco dans sa forme CFA, telle qu’exposée, fera pareille. Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » souhaite que la France ne cherche plus à court-circuiter les pays africains dans la mise en œuvre de l’Eco qui devra leur permettre de se doter d’un instrument de souveraineté monétaire à la hauteur de leurs ambitions économiques et de leurs objectifs stratégiques. Les ingérences françaises sur cette question ne feront qu’amplifier la fracture entre les populations africaines et les autorités françaises.

Monsieur le Président,
Pour le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire », le moment est venu, avec ce second mandat que vous entamez bientôt, de mettre à plat non seulement les accords monétaires mais aussi les accords de défense pour les adapter aux défis économiques des pays africains, au marché africain de la sécurité, à l’évolution de la situation internationale et aux défis démographiques africains et d’en expurger l’impensé colonial d’appropriation et de patrimonialisation des pays africains qui fait d’eux rien d’autre que des réservoirs stratégiques de matières premières à la disposition de la France et de l’Europe et pour leur unique développement. Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » espère que cette nouvelle ère présidentielle qui commence permettra l’invention collective d’une méthode refondée de partenariat gagnant-gagnant et d’arrangements alternatifs pour des années de prospérité, d’enrichissement mutuel et de développement collectif au service des peuples français et africains.

Les architectes de cette méthode refondée, côté africain, ne peuvent pas être les chefs d’Etat africains. La compromission de nombre d’entre eux avec les réseaux françafricains fait que leur voix est disqualifiée aux yeux de l’opinion publique. Leurs postures nourrissent la réprobation populaire contre la politique africaine de la France. Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » trouve que vous avez bien fait, lors du sommet Afrique-France du 8 octobre 2021 à Montpellier, de donner la parole à la société civile africaine en lieu et place des chefs d’Etat. Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » vous encourage à approfondir cette voix en l’élargissant à ceux des africains qui ont les positions les plus tranchées. Avec eux, vous êtes sûr de déboucher sur des initiatives et des arrangements alternatifs qui auront l’assentiment populaire et qui contribueront au rayonnement conjoint de la France et de l’Afrique francophone.

Monsieur le Président,
Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » attend de la France qu’elle ne cherche plus à maintenir le statu quo du « pacte colonial » mais que les élites françaises, au lieu de se complaire dans la situation de rente produite par le « pacte colonial », essaient de réfléchir à la transformation de la « french way of life » (pour ce qu’il en reste) en modèle économique capable de la rendre attractive aux yeux des populations d’Afrique et du monde. L’attractivité des modèles économiques dynamiques que l’on connaît aujourd’hui, chinois surtout, fait pâlir, sous les yeux des africains, le modèle français issu du « pacte colonial ».

Tout modèle économique est le reflet de la société dont il est issu. Le libéralisme américain qui a essaimé dans le monde pour s’imposer à tous procède de la conception américaine de la liberté individuelle, de la propriété et de la marchandisation des rapports humains arrimée à l’« american way of life ». La pensée chinoise, grâce à la mondialisation, s’est appropriée ce modèle et l’a adapté à son histoire politique et culturelle et, surtout, à la « Chinese Dream » pour faire de la Chine la première puissance industrielle et commerciale que nous connaissons aujourd’hui. Dans ses relations avec les autres Etats, la pensée économique chinoise a emprunté à la tradition impériale le partenariat gagnant-gagnant. Aujourd’hui, ce modèle s’exporte, ce modèle séduit alors que le modèle américain qui a séduit pendant un certain temps stagne et devient rétif. Après avoir vécu intensément le rêve américain, le monde doit s’habituer, de plus en plus, à vivre le rêve chinois.

Si les élites françaises aspirent à conférer à la culture francophone une dimension économique susceptible, dans les années à venir, de rivaliser avec les modèles qui ont pignon sur rue en ce début de 21e siècle, il leur faudra sortir de la logique des colonies qui enrichissent la métropole de la taxe à l’exportation et de la subvention à l’importation. C’est la logique du commerce colonial dans lequel les richesses des colonies sont comptabilisées dans celles de la métropole. C’est une logique éculée : elle est interventionniste et pousse à déstabiliser les colonies pour placer à leur tête des hommes de main ou de paille. Quand on s’y enferme, on ne s’en sort plus parce qu’on devient esclave du confort de la situation de rente dont on ne veut pas perdre la jouissance et on se refuse à être créatif en dehors de ce modèle dépassé.

Monsieur le Président,
Trouvons ensemble, sans arrogance, sans condescendance, sans mépris des uns envers les autres, des réponses à nos désaccords et colères légitimes. Ce sera votre responsabilité et celle des sociétés africaines lors de ce second mandat. Dans le monde à venir, les anciens schémas sont condamnés à s’adapter ou à mourir.

Fait à Abidjan, le 25 avril 2022.
Pour « Les Démocrates de Côte d’Ivoire ».
Le Président
Pr. Séraphin Prao

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