L’indépendance autoproclamée de l’Azawad, début avril 2012, n’a jamais été reconnue malgré le rôle ambigu que la France officielle a joué dans les coulisses pour soutenir les Touaregs.
Une enquête de Lemine Ould M.Salem pour l’agence d’information africaine « APA NEWS » que Mondafrique reprend avec l’autorisation de l’auteur.
La 5 avril 2012, le Mouvement national de l’Azawad (Mnla), fer de lance de la rébellion touarègue déclenchée quelques semaines plus tôt dans le nord du Mali, venait, tout juste, de décréter, un cessez-le-feu unilatéral après avoir contraint les forces gouvernementales à vider tout le septentrion malien.
Le 6 avril Moussa Ag Attaher, actuellement ministre des Sports du gouvernement de la junte au pouvoir à Bamako, alors un des porte-paroles du MNLA en Europe se présentait sur un plateau de télévision française pour confirmer une annonce parue quelques heures plus tôt sur le site internet de son organisation. Celle-ci, signée par le secrétaire général du Mnla, Bilal Ag Cherif, proclamait « l’indépendance de l’Azawad », cet immense territoire aride du nord du Mali grand comme la France et la Belgique réunies, qui depuis l’indépendance du pays en 1960 est régulièrement secoué par des rébellions.
« Nous proclamons solennellement l’indépendance de l’Azawad à compter de ce jour », déclarait alors Moussa Ag Attaher sur la chaîne France 24. « Nous venons de terminer un combat très important, celui de la libération », ajoutait-il, sans préciser qu’un autre groupe rebelle disputait à ses compagnons le contrôle de la région: le mouvement Ansardine, une formation d’inspiration islamiste dirigée par Iyad Ag Ghali, héros d’une précédente rébellion touarègue qui avait déstabilisé le pays dans les années 1990, mais qui rêve désormais d’un Mali entièrement islamique, donc hostile à l’indépendance de la région, et récemment allié aux combattants d’Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) qui depuis plusieurs années s’étaient installés dans le coin.
Un démenti officiel de la France
La France, ancienne puissance coloniale du Mali, par la voix de son ministre de la Défense, Gérard Longuet, avait immédiatement affirmé qu’« une déclaration d’indépendance unilatérale qui ne serait pas reconnue par les Etats africains n’aurait pas de sens ». Se voulant plus précis, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Bernard Valero déclarait, lui, que le Quai d’Orsay considérait comme « nulle et non avenue » cette proclamation d’indépendance. Des propos qui tranchent nettement, pourtant, avec les confidences que le site « APA news » a recueillies auprès de plusieurs hauts cadres fondateurs du Mnla, dont Hamma Ag Mahmoud, premier « chef de la diplomatie » du mouvement, désormais éloigné de l’organisation.
« La France n’est pas étrangère à cette rébellion, comme elle a toujours été impliquée, en fonction de ses propres intérêts, dans les toutes les insurrections passées, notamment en 1963 et 1990. A la veille de la rébellion de 2012, beaucoup de Touaregs maliens, installés en Libye depuis plusieurs décennies, étaient engagés dans l’armée de Mouammar Kadhafi. La France qui venait d’engager une guerre en Libye pour chasser Kadhafi du pouvoir avait eu l’idée de faire déserter ces militaires touaregs de l’armée libyenne, en leur suggérant d’abandonner Kadhafi. En contrepartie, la France leur a promis de les soutenir pour libérer leurs frères dans le Nord du Mali du joug de Bamako» assure cet ancien préfet, ministre et conseiller à la présidence malienne qui assume à la fois son passage au sein de la rébellion et son attachement au Mali.
Des réunions à Paris et Genève
Et le même de poursuivre: « Il y a eu plusieurs réunions, dont une au Quai d’Orsay a Paris, vers fin août ou début septembre 2011, à laquelle ont pris part des figures importantes de la communauté touarègue du Mal, comme Nina Wallet Intallou, qui sera plus tard ministre du gouvernement malien et l’ancien député Ibrahim Ag Mohamed Assalah. Quelques semaines plus tard, en septembre, j’ai moi-même participé à une seconde réunion qui avait été organisée par les services français à Genève. C’est là où nous avons convenu avec les Français que nous allions travailler à convaincre nos frères engagés dans l’armée de Kadhafi pour qu’ils désertent et rentrent dans le Nord du Mali, avec armes et bagages ».
Selon lui, contrairement à une idée largement répandue depuis 2012 soutenant que c’est l’aile arabophone de la rébellion formée par les anciens de la Libye, comme le Colonel Mohamed Najim, « chef d’état-major » du Mnla ou son secrétaire général, Bilal Ag Chérif, qui avaient imposé l’idée de couper le Nord du reste du Mali, une fois l’armée malienne chassée de la région, la proclamation de l’indépendance de L’Azawad revient essentiellement à des cadres francophones formés, éduqués et ayant fait carrière au Mali.
« Je fais partie du groupe qui avait imposé cette idée d’indépendance. Nous étions presque tous des anciens responsables politiques ou cadres touaregs ayant travaillé au Mali. Nous connaissons très bien le système du pouvoir et les élites établies dans la capitale, Bamako. Plusieurs accords de paix ont été signés avec eux par les rébellions passées. Après le moment de la signature, ces accords ont tous été immédiatement ignorés par le pouvoir et les élites de Bamako (…). Mais les élites modernes de Bamako, entièrement formées à l’école française sont bloquées depuis la colonisation sur le modèle de l’Etat centralisé à la française », justifie l’homme politique touareg, aujourd’hui réfugié dans un pays voisin.
« La France savait très bien qu’en nous demandant d’intervenir auprès de nos frères engagés dans l’armée de Kadhafi, elle nous devait une contrepartie. Et C’est bien le groupe des cadres touaregs formés au Mali qui avait imposé l’idée d’indépendance, même s’il savait que cela ne sera accepté par personne en dehors du mouvement », confirme un autre fondateur du Mnla, réputé pour ses relations étroites avec les milieux diplomatiques, du renseignement et militaires français.
«La France ne pouvait pas ignorer qu’une rébellion était en gestation depuis au moins 2007 quand le groupe d’Ibrahim ag Bahanga était entré en rébellion dans le Nord du pays. En contrepartie d’un coup de main de notre part en Libye, Paris ne pouvait pas refuser au minimum d’appuyer l’idée d’une certaine autonomie ou décentralisation poussée qui pourrait garantir aux Touaregs plus de liberté politique et de droits culturels. Mais la France a toujours été claire avec nous sur la question de l’indépendance. Tous les responsables français avec lesquels nous étions en contact nous ont toujours dit de manière claire qu’ils étaient contre la partition du Mali », nuance ce responsable touareg qui assure avoir tout fait pour dissuader ses compagnons de proclamer la partition du Mali.
Levée de boucliers
Toujours est-il que l’indépendance autoproclamée de l’Azawad n’a jamais réussi à trouver le moindre soutien en dehors du cercle restreint des sympathisants du Mnla.
Au nom de l’Union africaine (UA), dont il présidait la Commission, le gabonais Jean Ping, avait alors évoqué « une plaisanterie » et déclaré que l’organisation continentale rejetait « totalement la prétendue déclaration d’indépendance » et « condamnait fermement cette annonce qui est sans aucune valeur».
Les Etats-Unis avaient, eux aussi, rejeté la déclaration d’indépendance. « Nous répétons notre appel à préserver l’intégrité territoriale du Mali », avait à l’époque déclaré Patrick Ventrell, un porte-parole du département d’Etat américain.
La Grande-Bretagne, elle, décidait tout simplement de fermer « temporairement » son ambassade à Bamako et d’en « retirer » son personnel diplomatique, avait alors indiqué un communiqué du Foreign Office.
Les voisins du Mali membres de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), eux, clamaient leur attachement à l’intégrité territoriale de ce pays membre de l’organisation, alors qu’ils venaient d’imposer un embargo diplomatique et économique total au Mali après qu’un groupe de militaires, évoquant l’échec du président Amadou Toumani Touré (ATT) alors en fin de mandat à prévenir la débâcle de l’armée face aux rebelles, venait de faire un coup d’état quelques semaines plus tôt.
La Cedeao avait même annoncé qu’elle s’apprêtait à envoyer au Mali une force militaire de 2.000 à 3.000 hommes pour restaurer l’unité du pays. Ses chefs d’état-major des armées réunis à Abidjan, en Côte-d’Ivoire, vingt-quatre heures avant la proclamation unilatérale d’indépendance par les rebelles, avaient d’ailleurs élaboré un « mandat » pour cette force.
Habituée à jouer les pompiers lors des rébellions passées chez son voisin du Sud, la puissance militaire régionale qu’est l’Algérie dont six diplomates venaient de se faire enlever par des islamistes à Gao, avait, de son côté, déclaré qu’elle « n’acceptera jamais une remise en cause de l’intégrité territoriale du Mali », appelant au « dialogue » pour régler la crise, selon les mots de son Premier ministre de l’époque, Ahmed Ouyahia, interrogé par le journal français Le Monde.
Homme fort du moment à Bamako, le capitaine Amadou Sanogo, le chef de la junte qui venait de renverser ATT, s’était contenté, lui, de reconnaître, implicitement, son impuissance à protéger les populations du Nord, les appelant « à résister » par leurs propres moyens.
La suite est connue: Ansardine et ses alliés se revendiquant d’Al Qaïda avaient fini par prendre le dessus sur le Mnla. Durant près d’une année, les islamistes étaient les seuls maîtres du Nord du Mali. Chassés, à partir de janvier 2013, des villes qu’ils occupaient par une intervention militaire internationale dirigée par la France, ils n’ont pas pour autant été vaincus.
Toujours actifs au Mali, ils sont désormais présents au Burkina-Faso et au Niger voisins et affichent l’ambition de s’installer partout en Afrique de l’Ouest.
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