Réduction du soufre dans les carburants, voici pourquoi l’Afrique n’est pas en retard

Interview avec Serge Parfait Dioman, Expert international en Industries pétrolières et énergies, réalisée par Claude Dassé in L’Intelligent d’Abidjan

Après la première partie de son interview publiée le vendredi 8 avril 2022, dans laquelle, il évoquait la genèse et les spécificités des causes fondamentales et opportunistes de la crise du pétrole qui secoue le monde entier en ce moment, Serge Parfait Dioman aborde cette fois la question du soufre dans les produits pétroliers et les carburants aussi bien
en Afrique que dans le monde. Il affirme aussi que moins de 20 pays sur les 54 du continent disposent de raffineries en fonctionnement.

L’INTELLIGENT D’ABIDJAN : D’OÙ PROVIENT LE SOUFRE PRÉSENT DANS LES CARBURANTS ?

Ce soufre n’est pas un composant ajouté dans les carburants mais bien un élément chimique naturellement présent au sein des formations sédimentaires. Comme il est intimement mêlé aux flux d’hydrocarbures bruts extraits des gisements pétrolifères, des opérations de dé-sulfuration ont donc lieu pour réduire sa teneur dans les
carburants destinés au consommateur final.

Cette désulfuration débute déjà en amont, au niveau même des sites de production offshore et onshore. Et selon les cas, un traitement intermédiaire a lieu au niveau des terminaux pétroliers recevant la charge venant des sites de production.

Les raffineries prennent le relais en bout de chaîne pour une ultime dé-sulfuration plus sophistiquée et profonde.

Malgré cette série de traitements, certains produits pétroliers sont très soufrés et des consommateurs pen- sent même que c’est à cause de cela que des véhicules émettent toujours des fumées noires, pas agréables pour la santé ni l’environnement …

Il importe déjà de savoir que le soufre ne donne pas de fumée noire. Il ne peut donc être impliqué dans l’émission de panache de fumées qui résulte plus du mauvais entretien des véhicules.

C’est en cela que les usagers aussi ont leur part de responsabilité car le bon entretien de leurs véhicules leur
incombe et ce, pour éviter les combustions incomplètes rejetant des volatiles imbrûlés noirâtres dans l’atmosphère.

Pour ce qui est donc de la réduction de la teneur en soufre par les opérateurs pétroliers, l’Hydro-Désulfuration (HDS) est la technique de purification catalytique la plus exploitée.

Elle requiert beaucoup d’hydrogène (H2) de très haute pureté pour ôter le maximum de soufre. À défaut, les performances de ce procédé sont limitées et le soufre résiduaire présent dans les coupes de produits finis est alors fatalement élevé.

Comment avoir donc de l’hydrogène en quantité suffisante ?

Les gisements naturels d’hydrogène sont très rares et d’ailleurs insuffisants pour couvrir l’échiquier mondial, d’où le recours à l’hydrogène de synthèse obtenu par des procédés industriels tels que le reformage à la vapeur qui utilise le gaz naturel riche en méthane (CH4) comme matière première.

C’est la source favorite des opérateurs pétroliers même si, dans le contexte actuel de la mixité énergétique, des techniques électrochimiques alternatives, comme l’hydrolyse de l’eau (H2O) en l’occurrence, aident à produire de l’hydrogène vert.

« SUR LES 54 PAYS AFRICAINS, MOINS DE VINGT DISPOSENT DE RAFFINERIES EN FONCTIONNEMENT »

L’Afrique produit-elle suffisamment d’hydrogène pour garantir la bonne purification de ses carburants ?

Sur les 54 pays africains reconnus par l’ONU, moins de vingt disposent de raffineries en fonctionnement. Parmi ces derniers, seul un nombre limité est alimenté en gaz naturel procéssé pour la fabrication d’hydrogène dédié à l’Hydro-Désulfuration (HDS). C’est le cas de la Côte d’Ivoire, du Nigeria, des pays du Maghreb, etc.

La grande majorité du carburant utilisé en Afrique vient donc de l’extérieur. Il importe de l’avoir à l’esprit car en cas de non-conformité constatée, l’investigation à mener couvrira tant es offres d’origines locales que les carburants d’importation livrés sur le continent.

À terme, pour ce faire, il faudra solutionner la problématique des raffineries clandestines. Leur production non contrôlée, mais bien présente sur le marché local de plusieurs pays, appelle à des questionnements pour leur formalisation.

Quels dangers court-on en fait à s’exposer au soufre ?

De tout temps, les êtres humains ont su se familiariser au soufre car en réalité, il n’est pas d’office si dangereux. Il est dans des aliments, des médicaments, des applications cosmétiques, phyto-pharmaceutiques, agricoles, etc. Il est toutefois susceptible de nuire quand, s’associant à des espèces chimiques, il passe de sa forme élémentaire à celle de complexes moléculaires nocifs.

Les moteurs thermiques le transforment en effet en Oxydes de Soufre (SOx) qui promeuvent des pluies acides néfastes aux forêts, aux récoltes, aux espèces aquatiques, etc.

Ils le transforment aussi en particules fines formellement mises en cause dans des symptômes respiratoires et des maladies pulmonaires à l’origine de 500 000 décès prématurés par an.

Justement que disent les normes internationales à ce sujet ?

Il existe certes un objectif mondial de réduction de la teneur en soufre dans les carburants pétroliers, cependant il n’y a pas de normes internationales imposant une feuille de route.

Si en Europe et en Amérique du Nord, le seuil maximum de 50 ppm voire 10 ppm de soufre dans les carburants est en vigueur depuis plus de quinze ans aujourd’hui, c’est aussi parce que ces pays développés ont entre autres eu à gérer une urgence liée à leur forte « densité automobile par nombre d’habitants ».

Qu’en est-il alors de l’Afrique?

En raison de sa très faible densité automobile, l’Afrique a des prescriptions différentes de celles en vigueur ailleurs. Car, l’on peut bien être à un fort taux de soufre et s’avérer moins impactant au niveau de la pollution de l’environnement et du cadre de vie quand l’on a peu de véhicules en circulation.

C’est pourquoi la problématique du soufre s’évoque en tenant compte tant de sa teneur que la densité automobile également du territoire en question. Ce sont ces deux indicateurs qu’il convient simultanément de considérer sans chercher à tort à confronter l’Afrique à des réalités qui ne sont pas les siennes.

Où se situent les Africains en référence à la norme AFRI-4?

Au regard du référentiel AFRI-4, les pays africains ne sont pas en retard vu que le jalon dictant moins de 50 ppm de soufre dans le gasoil par exemple, est étendu à 2025.

N’eussent été la crise coronarienne et la crise économique et financière qui s’en est suivie, bon nombre auraient achevé leur mutation par avance et auraient rejoint l’Afrique du Sud, le Maroc, le Kenya, l’Ile Maurice, etc. qui sont depuis belle lurette déjà à moins de 50 ppm de soufre dans le gasoil.

La Côte d’Ivoire a aussi amorcé sa modernisation dans ce sens, et s’est donnée pour objectif d’être prête aux échéances AFRI-4 et AFRI-5 telles que rappelées à tous par l’Association des Raffineurs et Distributeurs Africains (ARDA) qui vient de clôturer sa dernière session annuelle tenue au mois de mars en Afrique du Sud.

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