Pourquoi les autorités maliennes et la jeunesse africaine se fâchent contre la France ?

par Emmanuel Nkunzumwami

Les difficultés des relations entre la France et le Mali sont anciennes. Elles s’étendent désormais sur de nombreux pays francophones d’Afrique.

Depuis que la France a imposé au Mali un jeune officier, sorti de son École militaire pour l’imposer par un coup d’État contre le président Modibo Keita, le panafricaniste visionnaire cofondateur de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), les Maliens ont vécu cet événement comme une véritable trahison contre leur indépendance. Aussi, le pouvoir de Moussa Traoré a été ressenti par une grande partie de la population malienne comme un véritable déni de leur souveraineté par la France.

Et lorsque les jeunes et la population désœuvrée, meurtrie, appauvrie, ruinée par une répression permanente, sont sortis dans les rues de Bamako et des grandes villes du Mali en 1991 pour chasser le dictateur Moussa Traoré, ils croyaient reconquérir leur indépendance pour enfin reprendre les commandes de leur pays, une véritable délivrance. Un jeune général, Amadou Toumani Touré (ATT), s’est alors imposé pour calmer l’immense colère en prenant le pouvoir contre une promesse des élections libres et transparentes. Effectivement, il l’a rendu et les élections ont bien eu lieu en 1992. Un pouvoir civil s’est installé sous la présidence d’Alpha Oumar Konaré. L’homme a bien exercé le pouvoir pendant deux mandats constitutionnels de cinq ans. Mais, le mal malien est revenu discrètement, et il a rongé les murs du pouvoir : détournements de fonds publics, corruptions, manque de grands projets d’infrastructures et de santé, destruction du système éducatif, absence du tissu industriel, manque d’ambitions pour le développement du secteur agro-pastoral (le poumon économique du peuple malien et de son avenir). A l’issue de son mandat, un nouveau président est élu : il est perçu comme loyal, investi d’autorité pour redresser le Mali. C’est un militaire de profession, il a fait ses preuves par un coup d’État et honoré ses promesses en rendant le pouvoir aux civils. C’est Amadou Toumani Touré (ATT). Il exerce alors le pouvoir par la confiance, de 2002 à 2012. C’est la période faste des prises d’otages occidentaux et français au Mali, de la déliquescence de l’armée malienne, de la généralisation des corruptions à tous les étages de l’armée et de l’administration. La France observe et acquiesce. Certains pensent à un réseau interne au pouvoir malien dans l’exécution des prises d’otages. Plus tard, un ambassadeur français au Mali pense même qu’il y a de bonnes et de mauvaises corruptions. Chacun traduira cette pensée à la lumière de la destruction de l’armée qui rejoint celle de l’école et des outils de production économique. Les Maliens errent désormais à travers le monde, et viennent se concentrer de plus en plus nombreux dans des banlieues françaises, dont les départements franciliens autour de Paris. Ils y sont encore nombreux aujourd’hui… et pourraient constituer la deuxième communauté d’immigrés en France, après les Algériens.

Cartographie du Mali et des pays voisins en Afrique Occidentale. Le Mali (plus de 2 fois plus étendu que la France métropolitaine avec 1,241 million km² et 20,8 millions d’habitants) est entouré de sept pays : L’Algérie, la Mauritanie, le Sénégal, la Guinée Conakry, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso et le Niger. 3e exportateur de l’or en Afrique (après l’Afrique du Sud et le Ghana), le Mali détient également de nombreuses ressources minières, dont l’uranium, le cuivre ou la bauxite. Le Mali est également le 1er producteur de coton en Afrique.

Dès le début de l’année 2012, alors que le président Amadou Toumani Touré (ATT) tente d’emprunter les couloirs de son voisin Abdoulaye Wade pour s’adjuger un troisième mandat non constitutionnel, le pays est affaissé, appauvri, gravement déliquescent, des mouvements séparatistes se déclarent dans le nord du pays. Le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), dont les activités sont organisées et financées depuis la France, donne le top départ. Il engage les hostilités contre le pouvoir de Bamako, dont les dirigeants Français connaissent la faiblesse et le sous-équipement savamment entretenu avec les complicités internes dans le pouvoir et extérieures. Immédiatement après le coup d’essai réussi du MNLA, les groupes islamistes entrent également dans le jeu : Ansar Dine, Mujao, Aqmi… ouvrent aussi leurs fronts au Mali. Pour les équipements de combat, le choix est large : les combattants maliens de l’armée du colonel Mouammar Kadhafi en Libye, défaite par les attaques de la France et de la coalition internationale, déferlent sur le Mali, en traversant armes et bagages le Tchad et le Niger. Pourquoi n’ont-ils pas été arrêtés par l’armée française stationnée au Tchad et au Niger à cette époque ? Les combattants convergeaient vers le Mali, et il fallait les laisser passer. En mars 2012, l’intensité des combats est violente entre la pauvre et sous-équipée armée malienne et les troupes diverses qui s’accroissent régulièrement au nord du Mali. Le président ATT, concentré sur sa réélection d’avril 2012, est totalement paralysé par les conflits qui menacent d’entrer dans la capitale à Bamako. C’est alors dans ce contexte que le capitaine Amadou Haya Sanogo s’empare du pouvoir par un coup d’État, le 22 mars 2012. Dès ce moment, la France est considérée comme impliquée dans la partition du Mali par l’intermédiaire des assaillants séparatistes et djihadistes. La population soutient le coup d’État du capitaine Amadou Haya Sanogo, contre les injonctions par la France de revenir à l’ordre constitutionnel. Mais, la France de mars et avril 2012 a d’autres chats à fouetter : nous sommes tous occupés par l’élection présidentielle, qui chasse le belliqueux président engagé au démantèlement du Sahel et présenté comme le véritable homme fort de l’Afrique de l’Ouest, le tombeur du président Laurent Gbagbo et le liquidateur du guide de la révolution libyenne, Nicolas Sarkozy. Il est remplacé par le socialiste François Hollande. Le temps de se repositionner à Paris : aux nouveaux dirigeants de comprendre la géopolitique du Sahel et aux séparatistes du Nord de se réorganiser selon les nouveaux pouvoirs en France. Introduits par les dirigeants de Paris sous la présidence de Nicolas Sarkozy, les combattants MNLA et autres djihadistes doivent subir désormais les bombardements de François Hollande. Cependant, intransigeant sur la démocratie à l’occidental, le président François Hollande exige la négociation avec un président civil au Mali. C’est ainsi que, dans le chaos de la guerre, les militaires acceptent le civil Dioncounda Traoré comme Président par intérim, qui devient désormais l’interlocuteur de Paris pour en obtenir l’intervention militaire. La France intervient dès le début de 2013, et mène les opérations militaires sous le nom de code « Serval ». Elle réduit l’intensité des combats, sauve des massacres quelques combattants de l’armée malienne par des djihadistes, et garantit les élections générales d’août 2013, desquelles le civil Ibrahima Babacar Keita (IBK) sort vainqueur avec l’appui de Paris.

C’est donc après l’installation d’Ibrahima Babacar Keita que les agendas entre Bamako et Paris commencent à diverger. Les Maliens remercient François Hollande et la France de les avoir sauvés, puis protégés des djihadistes. Ils demandent à la France d’éradiquer ces djihadistes, libérer tous les territoires occupés, former et contribuer à équiper l’armée malienne, et ensuite de rapatrier son armée en France. Les autorités maliennes demandent à la France le matériel militaire et l’appui aérien à leur propre armée, mais pas de troupes au sol. Quant à la France, elle considère que les djihadistes du Mali pourraient diffuser vers d’autres pays du Sahel, et même faire la jonction avec les autres groupes terroristes d’Aqmi, de l’État islamique au Sahel et même avec Boko Haram. Donc, elle considère et décide que sa mission est durable pour plusieurs décennies. Elle déploie ses troupes au sol et crée des bases militaires. Mais, les autorités maliennes retrouvent de plus en plus des matériels français de guerre aux mains des djihadistes et même des combattants terroristes de Boko Haram. Elles considèrent, dès lors que la France pourrait jouer un « double jeu de pompier-pyromane » au Mali. De plus, un commandant de l’opération Barkhane n’aurait pas hésité à affirmer que l’armée française est installée au Sahel pour cent ans. Enfin, les quantités impressionnantes d’or extrait et raffiné au Mali, découvert dans les convois militaires français, fait la une des réseaux sociaux. Les connexions sont alors immédiatement effectuées : pourquoi l’armée française a-t-elle empêché à l’armée malienne et des autorités politiques du pays l’accès aux territoires du nord du Mali, y compris la région aurifère de Kidal ? Pourquoi, depuis leur installation au Mali au début de 2013 jusqu’en 2022, soit plus de neuf ans, les habitants et les militaires du Mali sont toujours autant massacrés par les djihadistes ? Pourquoi, malgré le déploiement d’un imposant dispositif de plus de 4.600 hommes des forces françaises, dont 2.400 au Mali, répartis entre Gao, Menaka et Gosi, 260 blindés lourds, 170 blindés légers, 350 poids lourds, des avions de chasse, des avions de transport de troupes, des hélicoptères de combats, un impressionnant dispositif de renseignement, la France et ses partenaires européens ne parviennent-ils pas à éliminer quelques illuminés djihadistes perdus dans le désert et les montagnes du nord du Mali ? L’agenda est-il réellement de combattre les djihadistes et sécuriser le Mali, ou de s’installer durablement au Sahel à d’autres fins pour des décennies ? La concentration des forces françaises et occidentales se trouve au nord de Niamey au Niger, jusqu’au nord du Mali jusqu’à Tessalit. Ce sont des zones minières connues du Mali et du Niger voisin.

Source : Le Monde.

Les corruptions au sein de l’armée et de l’administration du Mali et du Niger sont donc entretenues à partir des ressources de ces zones, mais la France ferme les yeux. Aussi, la population malienne considère que la France, en complicité avec certains dirigeants politiques et de l’armée du Mali, couvrirait les exploitations et les exportations illégales des produits de ces mines à ses dépens.

Comme en mars 2012, les jeunes officiers militaires soucieux de ramener l’ordre, la sécurité et la souveraineté au Mali, ont pris les commandes du pays depuis le 19 août 2020. Ils sont conduits par le colonel Assimi Goita. Il est président du Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP), d’août 2020 à janvier 2021. Le nom en dit tout sur l’état d’effondrement du Mali, malgré la présence d’un important dispositif militaire français de l’opération Barkhane et de plus de 12.000 hommes de la MINUSMA (force de maintien de la paix de l’ONU). Il devient président de la Transition de la République du Mali depuis le 24 mai 2021. Et comme toujours, la France s’active pour ramener le pays dans l’ordre constitutionnel. A la différence de 2012, quand la France avait posé ses conditions d’intervention pour « chasser » ou « exterminer » les djihadistes (termes utilisés par le président François Hollande) au retour à l’ordre constitutionnel et aux élections, cette condition n’est plus opérante en 2022. Les djihadistes combattus depuis le début de 2013 sont toujours actifs au Mali, et se sont même répandus dans la région : au Burkina Faso et au Niger. Comme en 2012, le coup d’État est soutenu par la population contre la déliquescence de l’État malien (corruption, incapacité des dirigeants à assurer une bonne gouvernance, délabrement des piliers de développement du pays). Les arguments selon lesquels sans l’armée française, les djihadistes pourraient « coloniser » tout le Sahel sont même étranges. La France était venue en 2013 pour les éradiquer… Elle a emmené les matériels de guerre de dernière génération pour combattre les nomades, majoritairement équipés de kalachnikov et de lance roquettes. Le président François Hollande nous a même expliqué que la France les avait exterminés. Et aujourd’hui, ils ont proliféré et continuent de tuer au Mali, au Burkina Faso et au Niger.

Le ministre Jean-Yves Le Drian, depuis l’époque de la présidence de François Hollande où il occupait le poste de ministre de la Défense, a multiplié de nombreuses maladresses en Afrique et au Mali. En 2019, il arbitrait l’issue de l’élection présidentielle sur la base des « observations de la CENCO » (organisation des évêques de la République démocratique du Congo), et tentait de faire admettre les choix de Paris sur Martin Fayulu à l’ensemble de l’Union africaine. L’on connaît le résultat de cette démarche : non seulement, il s’engageait contre la souveraineté du peuple Congolais, mais également il faisait preuve de s’immiscer dans l’élection souveraine d’un pays souverain à travers une organisation religieuse, alors qu’en France la Conférence des Évêques n’a aucun pouvoir sur les élections. La Cour constitutionnelle Congolaise a donc validé l’élection de Félix Antoine Tshisedeki, contre le choix de Paris. Au Mali, la « junte militaire » est un choix des Maliens. Et en admettant que la même situation se soit produite au Tchad ou en Guinée, comme au Burkina Faso, pourquoi la « junte malienne » serait-elle illégitime et illégale au Mali, et pas dans les autres pays de cette région ? L’injonction de Paris faite aux dirigeants maliens, d’organiser les élections comme annoncé le 27 février 2022, n’est pas opérante. En effet, les partis politiques et les représentants de la société civile malienne ont négocié d’autres termes de la Transition politique dans leur pays. Leur agenda est différent de celui de la France. Dès lors, quelle est la légitimité des dirigeants français à intimer l’ordre d’organiser les élections selon leur agenda et non celui des Maliens ? Ensuite, la France considère que la Russie a dépêché ses mercenaires du Groupe Wagner au Mali pour évincer les militaires des opérations Barkhane et Tacouba. Faudrait-il rappeler que le Mali est un État souverain, et qu’il la le droit signer des accords bilatéraux et internationaux avec les autres pays souverains. En l’occurrence, le groupe Wagner est russe ; mais l’État malien ne signe pas les accords internationaux avec des groupes de mercenaires, qu’ils soient européens ou russes. L’État malien est donc souverain pour signer des accords de coopération avec la Russie. Et si la Russie envoyait des mercenaires du groupe Wagner au Mali, ce serait sous sa responsabilité en termes de comportement, de conséquences sur la sécurité des Maliens et de la défense des intérêts de l’État et du peuple maliens. Seuls les Maliens sont fondés à exiger des résultats et des comptes à leurs dirigeants au Mali. Enfin, le coup d’État au Mali et les négociations entre de nombreux partis qui le soutiennent ont débouché sur un agenda, et les conditions nécessaires pour organiser des élections générales libres et transparentes. Il est évident que depuis 1960, les Maliens sont bien informés sur les processus électoraux. Modibo Keita, Alpha Oumar Konaré, Amadou Toumani Touré, Ibrahima Boubakar Keita, sont arrivés au pouvoir par les urnes. A l’exception d’Alpha Oumar Konaré, ces autres présidents ont été déposés par les coups d’État militaires. Le Mali a donc l’expérience des pouvoirs civils et des coups d’État militaires. La France pourrait alors laisser le pays gérer sa Transition politique actuelle, selon des attentes exprimées, des résultats attendus et des réformes nécessaires que les Maliens exigent de leurs dirigeants actuels.

Il y a eu de nombreux coups d’État en Afrique francophone. Les sanctions décrétées par la CEDEAO contre le Mali, avec le soutien actif des dirigeants français, sont mal vécues par les Maliens. Ils les jugent injustes à leur égard, et ne comprennent même pas que la CEDEAO décrète les sanctions qui ne figurent ni dans les statuts, ni dans le règlement intérieur de cette organisation. Étant une organisation régionale autonome, que viennent faire l’ONU, la France et l’Union européenne dans ce règlement intérieur de la CEDEAO. Pourquoi la France s’implique-t-elle autant dans l’application des sanctions contre le Mali ? Pour faire partir la junte militaire au pouvoir. Mais, combien d’autres pays francophones dont les dirigeants se sont arrogés le pouvoir à vie depuis des années, et sur lesquels la France ferme les yeux ? La présence de l’armée française au Mali ne peut nullement justifier le mépris que certains dirigeants français portent sur les autorités maliennes de transition.

Mais, les solutions « gagnant-gagnant » existent dans le bras de fer qui oppose la France au Mali. Tous les moteurs du développement sont en panne dans ce beau pays. La France peut apporter mieux que le soutien à la déliquescence du pays. Les experts français, les grandes entreprises françaises et les partenaires occidentaux pourraient s’engager dans les projets de développement économique du pays, plutôt que dans le bras de fer militaire et politique sans issue.

1°- La Sécurité du territoire, des investissements et la Paix intérieure sur l’ensemble du territoire malien sont de la responsabilité des dirigeants du Mali. En conséquence, ils pourraient négocier les nouveaux termes d’un nouvel accord de coopération militaire, avec les zones définies, les résultats attendus et les délais de réalisation. Si les résultats sont insuffisants, le Mali pourra suspendre ou mettre un terme à cette coopération. Il devient ainsi clair que le décideur et le contrôleur de l’exécution de ce contrat devient le Mali, et il examine les points d’étape avec la France. Si le Mali, au regard de son étendue, souhaite diversifier les risques en introduisant d’autres partenaires pour sa sécurité globale, y compris les pays africains, la France ne doit plus s’y opposer ou appeler au boycott du pays, mais participer aux négociations multipartites. Il en va de la sécurité globale de la sous-région du Sahel, et même de la CEDEAO. Les répercussions de l’insécurité dans ces territoires pourraient remonter jusqu’en Europe. Assurer la sécurité dans ces régions, c’est aussi prévenir contre les déflagrations en Europe et leurs dégâts collatéraux.

2°- Remettre l’éducation de la jeunesse sur les rails est un impératif. En 2015, alors que l’opération Serval de l’armée française est bien installée au Mali pour sécuriser le pays, le taux de scolarisation primaire n’est que de 61% ; c’est le plus bas de toute la région des 15 pays de la CEDEAO. Dans le second cycle du second degré, le taux est passé à 35%, en concurrence avec le Burkina Faso (24%) et le Niger (12%). Ce sont les niveaux les plus faibles de la région, mais ce sont les pays voisins, où la sécurité globale est garantie par la France. Le réservoir des adultes instruits à l’école n’est pas meilleur : le taux d’alphabétisation était de 31% au Mali contre 27% au Niger. Le PIB par habitant n’était que de 724$ au Mali, contre 613$ au Burkina Faso et 323$ au Niger. Pendant ce temps, il est de 2.178$ au Nigeria (malgré ses 200 millions d’habitants), 1.399$ en Côte d’Ivoire, 1.381$ au Ghana et même 986$ au Sénégal. Pourtant, le Mali figure bien parmi les premiers producteurs de l’or et du coton en Afrique. Pourquoi ces revenus n’ont-ils pas été investis dans l’éducation, la santé, la modernisation de l’agriculture, les équipements de défense et de sécurité, les industries de transformation ?

3°- Les infrastructures de communication et d’énergie sont très en retard. Pour un pays étendu de 1,241 million de km² avec 20,8 millions d’habitants, combien compte-t-on de longueur de lignes de chemin de fer pour desservir les villes très éloignées ? En 2016, le taux de distribution de l’énergie électrique n’est que de 35% au Mali, contre une moyenne de 53% pour l’ensemble des quinze pays de l’Afrique Occidentale. C’est encore très faible, dans le contexte mondial actuel de développement des usages du numérique. Mais, dans la même région : ce taux atteint 79% au Ghana, 65% au Sénégal, 64% en Côte d’Ivoire ou encore 59% au Nigeria. Ailleurs en Afrique et dans les pays comparables, ce taux d’accès à l’électricité s’élève à 99,9% en Algérie et au Maroc, 84% en Afrique du Sud, 60% au Cameroun ou encore 56% au Kenya. A cette date, l’opération militaire française Barkhane est au Mali depuis quatre années. Pourquoi la France, si intéressée par le Mali et les autres pays du Sahel, ne développe-t-elle pas l’accès à l’énergie électrique, pour remonter le niveau à au moins 80%. Tous les pays émergents ont atteint un niveau de plus de 95% d’accès à l’électricité pour leurs populations. L’école, l’enseignement supérieur et la recherche, les usages numériques, les hôpitaux, l’éclairage urbain, la production industrielle, les lignes électrifiées des chemins de fer, etc. ne peuvent pas se développer sans équipements solides et fiables en énergie électrique. Le champ est encore immense.

D’autres domaines d’intervention pour le développement du Mali, et des autres pays francophones en Afrique, sont nombreux. La France s’est concentrée sur le seul volet militaire comme support de sa présence au Mali, et dans de nombreux autres pays francophones africains. Contrairement aux affirmations des dirigeants de Paris, j’affirme -et de nombreux Français peuvent en attester- qu’il n’y a pas de « développement de sentiment anti-français » ou encore de « l’hostilité des Africains contre la France ». Il y a un rejet de l’arrogance des dirigeants français contre l’Afrique. Comment les dirigeants de la France sont-ils parvenus à ruiner toute la sympathie que ce pays inspirait jadis aux autres nations, dans son rayonnement intellectuel, technologique, politique et culturel ? Comment les délits de ses industriels et l’arrogance de ses dirigeants politiques ont-ils créé la colère et le rejet de la France ? De nombreux dirigeants africains francophones sont mariés avec des Français d’origine européenne. Des enseignants, des chercheurs, des étudiants, des centres culturels et artistiques continuent de développer des échanges avec la France. Les Africains ne rejettent pas les Français, ils rejettent les décisions politiques de Paris qui les asservissent, les entreprises françaises qui les exploitent sans rémunérer les ressources africaines produites, et polluent leurs terres. Ils rejettent le mépris des dirigeants politiques et économiques français qui discriminent les talents africains en France et en Afrique, et qui viennent s’installer en Afrique avec l’arrogance des colons des temps révolus. Pourquoi les Africains réussissent-ils leur vie et leur intégration dans le tissu économique, politique et social en Amérique du Nord, au Royaume-Uni, et pas en France ? Si la France veut poursuivre ses relations multiséculaires avec les Africains, c’est avec un nouveau logiciel à développer. Les Africains attendent et exigent désormais les partenariats équilibrés au développement, des résultats économiques concrets et durables, le respect de leur personne et de leur souveraineté internationale, et que les dirigeants français acceptent de nouveaux accords de coopération gagnant-gagnant. Les Africains francophones resteront francophones. Que certains n’aient pas pu développer leurs langues locales ou nationales en complément du français, que les dirigeants de nombreux pays aient été incapables de déplacer leurs capitales des anciens comptoirs coloniaux des marchands d’esclaves vers le centre du pays, cela n’est pas imputable à la seule France. Le progrès dans la gouvernance politique, économique, sociale et culturelle est une responsabilité partagée entre les élites africaines francophones et la France ; leur faillite l’est tout autant. Le livre : LA RELANCE DE L’AFRIQUE présente l’état des lieux et tous les enjeux pour l’Afrique.

Sortir la France pour faire entrer la Chine est une stratégie à courte vue de besoin de financements immédiats sans conditions et sans ambitions. Et la Chine ferme des deux mains les yeux sur les corruptions et la mauvaise gouvernance. Mais, les premiers débiteurs de la Chine en Afrique commencent à sentir les douleurs des hypothèques sur les réalisations de la Chine, ou des infrastructures qui repassent dans les mains des Chinois en cas de défaillance de remboursement de la dette. Il n’existe pas de générosité sans contrepartie entre les nations. Il n’existe pas d’aide au développement. Il appartient alors aux Africains de négocier ces contreparties et d’exiger la production des résultats de la part de leurs partenaires, comme des acteurs politiques et économiques africains. Mais, les dirigeants français ont le devoir impérieux d’écouter les Africains francophones (hors des lobbies des temps révolus constitués à Paris pour des échanges de ressources naturelles contre les visas), d’ouvrir de nouvelles pages sur les chapitres de la sécurité, de la gouvernance, de la monnaie, de vrais échanges économiques, de l’éducation et des coopérations sur les grands projets de développement en vue de sortir de la misère. A défaut, le divorce serait douloureux, et la France serait la grande perdante. Si les partenaires économiques africains sont maintenus dans la mendicité et la pauvreté, qui achètera et consommera les productions françaises ? Le monde est devenu multipolaire depuis le début des années 1990 avec la chute de l’empire soviétique et l’accélération de la Chine dans la course vers la conquête du monde. Aussi, la France est devenue une petite nation parmi les grandes puissances. Les Africains disposent désormais d’un grand éventail de choix des partenaires pour bâtir solidement et durablement leur développement économique et industriel, entre les pays industrialisés historiques et les nouveaux pays émergents.
Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende.

Emmanuel Nkunzumwami
Analyste économique et politique
Écrivain-Essayiste
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