Au 6e sommet Europe-Afrique (17 et 18 février 2022), les Européens ont beaucoup parlé de “partenariat renouvelé”. Que recouvre cette expression ? Selon la Franco-Grecque Chrysoula Zacharopoulou, membre du groupe centriste et libéral Renew, il s’agit d’un “partenariat centré sur les relations humaines, un espace de paix, de prospérité pour nos populations, un espace géostratégique euro-africain qui pèse de tout son poids sur la scène internationale, un partenariat mutuellement bénéfique et respectueux de chacun”. Mais le lecteur conviendra avec moi que parler de la sorte, c’est admettre implicitement que l’Europe fit, longtemps, preuve d’inhumanité, que la civilisation qu’elle prétendait apporter fut “barbarie, chosification et exploitation de l’homme noir” (Aimé Césaire dans ‘Discours sur le colonialisme’, Paris, Présence Africaine, 1950), qu’elle fut arrogante et belliqueuse, que le contact entre Africains et Européens ne profita qu’aux seconds. Au moment où elle prononçait son discours, Mme Zacharopoulou avait-elle en tête les atrocités commises entre 1885 et 1908 au Congo par l’administration belge du roi Léopold II et révélées pour la première fois en 1896 par le quotidien français ‘La Cocarde’ ? Se rappelait-elle que les “indigènes” congolais étaient massacrés, torturés et soumis à des châtiments corporels (mains et oreilles coupées) et que leurs villages étaient incendiés ou rasés s’ils tentaient de se soustraire au travail forcé, s’ils ne récoltaient pas assez de caoutchouc ? Se remémorait-elle le cacao, le café, le coton et l’arachide des paysans africains achetés à vil prix et les souffrances endurées par les Africains pendant la construction du chemin de fer Congo-Océan ?
Probablement. Sinon, elle n’aurait pas souhaité que l’Europe tourne le dos à la brutalité, à la prédation, au mépris et au néocolonialisme qui ne sont pas, selon elle, “les valeurs de l’Europe du 21e siècle”. La députée européenne a ajouté qu’il appartenait désormais à “l’Afrique de formuler ses demandes, de proposer ses solutions et, surtout, de choisir le modèle de développement qu’elle veut pour sa population”.
La condamnation d’un partenariat asymétrique, l’appel à un comportement nouveau et la préconisation d’une relation plus respectueuse, tout cela n’est pas nouveau. L’Europe a toujours promis de changer de méthode et de narratif à propos de l’Afrique mais a rarement tenu ses promesses. Instruits de la mésaventure de Meka dans ‘Le vieux nègre et la médaille’ de Ferdinand Oyono, comment pouvons-nous croire que ses paroles doucereuses ne sont pas un attrape-nigauds ? Cette Europe coutumière de l’hypocrisie, de la duplicité et des volte-face, nous avons du mal à accorder le moindre crédit à ce qu’elle a dit au cours du dernier sommet entre l’Union africaine et l’Union européenne car sa parole est à jamais démonétisée. L’Afrique attend, non pas des paroles mielleuses, mais des actes concrets. Elle attend surtout que Barkhane, Takuba et je ne sais quelle autre force nuisible dégagent du continent. Les Européens reviendront quand nous aurons besoin d’eux. Que chacun reste un peu chez lui !
Pourquoi les Européens ont-ils dit des choses auxquelles eux-mêmes ne croient point ? Parce que l’arrivée des Chinois et des Russes sur le continent noir leur fait peur, parce que la Russie et la Chine, qui se gardent de donner des leçons de morale aux Africains et qui sont en faveur d’un partenariat gagnant-gagnant sont en train de leur damer le pion. Bref, ce n’est pas tant parce que l’Europe nous veut du bien mais parce que l’influence grandissante de la Chine et de la Russie en Afrique lui est devenue insupportable.
Dans le but de “reconquérir” l’Afrique, les beaux discours n’étaient pas suffisants à Bruxelles. L’Europe y promit aussi de mettre la main à la poche. Elle compte “faire don” de 150 milliards d’euros sur une période de 5 ans (de 2022 à 2027). Certains Africains ont immédiatement applaudi, conseillant de ne pas faire la fine bouche car cet argent pourrait, d’après eux, servir à doter nos pays d’infrastructures qui leur font cruellement défaut. Or, si l’on partage équitablement cette somme entre les 54 pays africains, chaque pays africain recevrait 2 milliards et 720 millions d’euros en 5 ans. À l’échelle d’un pays, une telle somme est dérisoire parce que, dans certains pays comme la Côte d’Ivoire, le budget de souveraineté, c’est-à-dire l’argent de poche que s’octroie le Prince par an, équivaut à 700 millions d’euros.
Deuxièmement, les 150 milliards d’euros ne sont pas un don mais un crédit à taux exorbitant, ce qui signifie que les pays bénéficiaires devront rembourser plusieurs fois l’argent reçu. C’est ce qu’un ami appelle « le système de l’étranglement permanent ».
En 2015, la Chine a effacé les dettes de la Grèce et du Portugal à hauteur de 200 milliards d’euros. Faut-il rappeler que la Grèce et le Portugal réunis comptent 22 millions d’habitants pendant que 1, 2 milliard de personnes vivaient en Afrique en 2017 ?
Je ne voudrais pas m’attarder davantage sur les discours mensongers de l’Europe. Je voudrais m’intéresser aussi à ceux qui ont représenté l’Afrique et parlé en son nom à ce sommet. Commençons par constater que là où les Européens s’unissent pour nous berner et nous dominer, l’Afrique part toujours en rangs dispersés. Les sièges du Mali, du Burkina et de la Guinée au sommet de Bruxelles n’étaient-ils pas vides ? Pourquoi ces pays ne furent-ils pas invités ? N’est-ce pas parce qu’ils sont accusés d’avoir à leur tête des dirigeants n’étant pas issus d’une élection démocratique ? Or en quoi Dramane Ouattara, Sassou NGuesso, Mahamat Déby et les présidents européens qui les soutiennent et protègent leurs régimes sont-ils démocrates ? Qui peut nous convaincre que les droits de l’homme sont respectés en Côte d’Ivoire, au Congo-Brazzaville et au Tchad ? Pourquoi cette tendance chez certains présidents africains à isoler et à combattre ceux d’entre eux que l’Europe trouve “infréquentables” ? Comment peuvent-ils sanctionner un pays pour déficit de démocratie alors qu’eux-mêmes sont loin d’être exemplaires dans ce domaine ? Pourquoi cherchent-ils toujours à plaire à l’Occident ? Quand comprendront-ils que c’est la solidarité qui rend solides un continent et des peuples ? Ils se réclament de l’Union africaine mais ne sont ni unis, ni malheureux de participer à une rencontre avec l’Union européenne sans le Mali, le Burkina et la Guinée.
Aujourd’hui, ces 3 pays sont mis au ban de la fameuse “communauté internationale”, exclus de la Cédéao comme ces lépreux d’Israël obligés de passer loin des villages en criant “impurs, impurs” au temps de Jésus pendant que les Européens se solidarisent, se mettent ensemble, y compris pour nous détruire car tel a toujours été leur objectif.
Mais il serait erroné de penser que tous les Africains sont à la solde de l’Occident. En demandant à la France de quitter le Mali illico presto, le gouvernement malien a montré qu’on peut être une jeune nation et refuser d’être piétinée. L’Afrique devrait être fière d’Assimi Goïta, de Choguel Maïga et d’Abdoulaye Diop N’en déplaise à Emmanuel Macron, à François Hollande et aux militaires français, le départ de la force Barkhane du Mali est un échec, une défaite et une humiliation. Une armée digne rentrerait aussitôt chez elle. Goïta et Maïga ne font que continuer le combat commencé par le peuple malien. Celui-ci avait pris la rue, des semaines durant, contre Ibrahim Boubacar Keïta dont le régime était accusé d’incompétence et de corruption. Ne nous contentons donc pas de féliciter les Maliens. Nous devons nous soulever contre la France et ses valets dans les autres pays africains.
Nous devons agir en même temps que les Maliens. En un mot, c’est de manière concomitante que doit être menée la lutte pour la vraie indépendance. Ousmane Sonko, qui est engagé dans ce combat, n’a pas tardé à remplacer les noms français des rues de Ziguinchor par des noms africains. Ce faisant, le nouveau maire de la capitale casamançaise prouve que l’Afrique peut écrire une nouvelle page de son histoire.
Jean-Claude DJEREKE
Tribune conjointe du Président du Sénégal Macky Sall et du Président du Conseil Européen Charles Michel
Les 17 et 18 février prochains, les chefs d’État ou de gouvernement de l’Union africaine et de l’Union européenne se réuniront en sommet à Bruxelles. Le dernier sommet UA-UE s’est tenu il y a plus de quatre ans, en novembre 2017, à Abidjan.
La pandémie est évidemment l’une des raisons qui expliquent le temps qui s’est écoulé depuis notre dernière rencontre. Sa survenue renforce d’autant plus la dimension exceptionnelle que nous voulons, de part et d’autre, donner à ce sommet. L’objectif n’est rien moins que d’établir ensemble les bases d’un partenariat renouvelé entre nos deux continents, un nouvel élan dont l’idée est en gestation depuis un certain temps déjà. La croissance, la prospérité partagée et la stabilité sont les grands objectifs de ce partenariat. Notre sommet reposera sur deux principes fondateurs.
Respect et valeurs
Nos deux continents et leurs peuples partagent une proximité géographique, des langues et des liens humains et économiques. La paix et la sécurité de nos deux continents sont interdépendantes. Voilà pourquoi le premier principe fondateur doit être le respect. Le futur nous demande d’accepter et de respecter nos différences.
Le second principe fondateur, ce sont les droits et les valeurs que sont la dignité, la liberté et la solidarité, exercés dans le cadre de l’état de droit et de la bonne gouvernance. Sur ce terrain commun, nous pouvons chaque jour apprendre les uns des autres.
Enfin, notre projet repose sur des intérêts communs. Une Afrique prospère, stable, sûre et durable, en pleine possession de ses moyens pour affronter tous les défis de l’avenir en est le cœur.
Un partenariat pour la prospérité
Un partenariat postule l’échange et le partage. Chacun de nos deux continents dispose de possibilités gigantesques à mettre au profit de ce projet commun.
L’UE apportera des capacités d’investissements publics et privés, ainsi qu’un savoir-faire en matière d’infrastructures et de technologies vertes, qui sont essentielles pour notre combat commun contre le changement climatique et la transformation des économies africaines.
L’Afrique dispose d’importantes ressources naturelles, d’une population jeune et dynamique qui ne demande qu’à être mobilisée, et de capacités d’innovation et d’inventivité impressionnantes.
Elle a aussi besoin d’un meilleur accès aux ressources, y compris par la réallocation des droits de tirage spéciaux sur une base volontaire, pour financer ses énormes besoins de développement économique et social.
Dans le même esprit, une initiative pour l’allègement de la dette des pays pauvres est souhaitable pour soutenir les efforts de résilience et de relance des pays africains.
Nous lançons également un appel en faveur d’une transition énergétique juste et équitable tenant compte des besoins spécifiques de l’Afrique, notamment pour son industrialisation et l’accès universel à l’électricité. Nous rappelons que plus de 600 millions d’Africains restent encore sans accès à l’électricité.
Un partenariat pour la stabilité
Notre partenariat renforcé mettra aussi la paix et la sécurité au cœur de ses priorités. Les menaces sont de plus en plus transnationales et de plus en plus complexes. Nous y sommes tous confrontés, quelles que soient leurs formes, y compris les cyberattaques et les attaques hybrides.
Ces menaces communes nous appellent à continuer à y faire face ensemble, y compris en Afrique, en particulier dans la lutte contre le terrorisme.
Il nous faut poursuivre ensemble la réflexion, sous l’égide de l’Union africaine et de l’Union européenne, pour une meilleure coordination de nos efforts dans cette lutte solidaire contre un ennemi commun. Faire face à ce défi majeur requiert de partir des causes profondes, l’instabilité et la radicalisation, pour aller jusqu’à la résolution durable des crises et à la construction d’une paix réelle et durable.
L’épreuve de la pandémie
La pandémie a mis en évidence nos vulnérabilités communes, notre interdépendance et donc la nécessité d’agir ensemble et de façon concertée pour y faire face et mieux nous préparer aux éventuelles crises sanitaires dans le futur. La lutte contre la COVID-19 reste une priorité immédiate.
L’Europe s’est investie depuis le début pour organiser et financer la solidarité internationale en matière de vaccins, en particulier au travers de l’initiative COVAX. L’UE et ses États membres ont à ce jour donné près de 400 millions de doses dans le monde entier, dont plus de 85 % via COVAX.
Avec près de 130 millions de doses livrées en l’Afrique, l’UE est l’un des plus grands donateurs sur le continent. L’UE renforce aussi son soutien pour l’administration des doses, car avec l’augmentation de l’approvisionnement, le plus grand défi sera la mise en place des plans vaccinaux.
Au-delà de la solidarité relative au don de vaccins, le défi que nous devons relever ensemble est aussi celui de la production de vaccins et d’autres produits médicaux et pharmaceutiques en Afrique pour satisfaire les besoins essentiels du continent. Nous saluons et soutenons les projets déjà en cours sur le continent.
L’essentiel est d’adopter une approche concrète: identifier les obstacles, les freins aux livraisons, au stockage et à l’administration des doses, et y remédier; ainsi que, bien sûr, accélérer la mise en place des capacités locales de production des vaccins en Afrique, par l’Afrique et pour l’Afrique.
Enfin, nous sommes convaincus que la solidarité internationale en matière de pandémies et de grandes crises sanitaires doit être organisée de manière globale, multisectorielle et inclusive. Nous avons lancé et activement promu l’idée d’un traité international sur les pandémies. Ces efforts conjoints des Européens et des Africains ont abouti à la décision récente de l’Assemblée mondiale de la Santé d’ouvrir les négociations sur ce projet de traité, dont la conclusion est prévue pour mars 2024.
Un arc de paix
Nous voyons grandir dans notre monde les risques de confrontation entre blocs. Face à cette tendance inquiétante, nous avons la conviction que l’Afrique et l’Europe peuvent travailler ensemble à l’avènement d’un monde meilleur et plus sûr pour tous, en privilégiant le dialogue et la coopération dans le respect mutuel.
C’est dans cet esprit et avec ces objectifs que nous nous apprêtons, Africains et Européens, à nous retrousser les manches pour travailler à un avenir commun enthousiasmant.
Le Président de la République du Sénégal, Macky Sall
Le Président du Conseil Européen, Charles Michel
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