« 20 ans hors taxe » : en Afrique, la fraude sur l’âge des footballeurs persiste malgré des contrôles renforcés
Se rajeunir permet aux joueurs du continent de faire une carrière plus longue et parfois plus prestigieuse, au risque de se blesser plus souvent et de décevoir.
Par Alexis Billebault
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L’attaquant nigérian Silas Nwankwo a-t-il menti sur son âge ? Les supporters du club suédois de Mjällby AIF (Ligue 1), en sont convaincus depuis le recrutement de l’ancien joueur de Nasarawa United début février. Officiellement, Nwankwo est né le 12 décembre 2003, mais dans l’édition 2021 du jeu vidéo Foot Manager, connu pour être assez tatillon en la matière, c’est la date du 11 juin 1996 qui figure. En découvrant le visage du joueur à son arrivée en Suède, les commentateurs ont ironisé : l’attaquant a bien 18 ans, mais « 18 ans de carrière derrière lui », car ses traits sont plutôt ceux d’« un homme de 40 ans ».
Dernier exemple en date de fraude présumée, le cas Nwankwo a rallumé la polémique sur la fraude à l’âge des joueurs africains malgré les efforts déployés pour endiguer le phénomène. L’ancien international sénégalais Guirane N’Daw, passé notamment par Sochaux, Metz et Saint-Etienne, l’avait reconnu sans ambages au début de l’année 2020 : « Comme tous les Sénégalais, j’ai triché sur mon âge (…). En Afrique, je ne dis même pas au Sénégal, le joueur qui ne diminue pas son âge ne pourra pas être professionnel. » La même année, le Belge Karel Brokken, directeur de la West African Football Academy au Ghana, estimait que le phénomène concernait « 95 % des joueurs africains ».
En cas de doute, on dit de l’impétrant qu’« il a 20 ans hors taxe ». De nombreux footballeurs ont ainsi été épinglés ces dernières années, du Camerounais Joseph Minala, lors de son transfert à la Lazio Rome en 2014 alors qu’il avait officiellement 17 ans, au Nigérian Victor Emenayo à l’occasion de sa signature à Shahdag Qusar en Azerbaïdjan en 2016, en passant Francis Uzoho, le gardien des Super Eagles du Nigeria lors de la Coupe du monde 2018. L’âge de certains joueurs de renommée internationale comme les Camerounais Rigobert Song, Roger Milla et Samuel Eto’o et les Nigérians Nwankwo Kanu et Taribo West avait également été remis en cause, mais sans qu’aucune preuve formelle ne soit avancée.
« Pression sociale forte »
Ce n’est pas un hasard si l’Afrique subsaharienne concentre la totalité des cas récemment déclarés. « Dans certains pays, et encore davantage dans des endroits reculés, les parents attendent parfois plusieurs mois, voire plusieurs années, avant de déclarer la naissance d’un enfant », explique le dirigeant d’un club sénégalais qui a souhaité rester anonyme. Mais les fraudes peuvent intervenir plus tard.
« Par exemple, un joueur qui a officiellement 23 ans va obtenir un faux extrait de naissance auprès d’un fonctionnaire municipal contre un peu d’argent, afin d’être transféré dans un club européen et d’avoir une chance de faire une carrière plus longue. Il y a en Afrique une pression sociale importante et pour un joueur issu d’un milieu très modeste, c’est une opportunité de sortir, sa famille et lui, de la précarité », précise ce même dirigeant.
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D’après Eugène Diomandé, le président du Séwé Sport de San Pedro (Côte d’Ivoire, Ligue 1), « la triche est en moyenne de trois ans entre l’âge réel et l’âge annoncé, même si on nous présente des papiers officiels ». « J’ai parfois refusé la signature des joueurs qui affirmaient avoir 16 ou 17 ans alors qu’ils en avaient visiblement 24 ou 25, car ils mesuraient 1,85 m et avaient les traits d’un adulte !, ajoute-t-il. Car il y a forcément des conséquences liées à cette fraude : un joueur qui a triché et qui dit avoir 26 ans alors qu’il en a 30 va devenir moins performant avec l’âge, et il sera davantage exposé au risque de blessure, et son club sera lésé. »
Eclaboussées par ces affaires à répétition, les institutions sportives du continent ont renforcé les contrôles. Depuis 2018, la Confédération africaine de football (CAF) fait effectuer des examens IRM pour évaluer l’âge osseux avant certaines compétitions continentales réservées aux mineurs. Certains résultats ont conduit l’instance à exclure de ses tournois des joueurs convaincus de fraude, ou même de sélections entières comme celle du Bénin, de la Guinée ou de la Gambie. Le test, qui s’effectue au niveau des poignets, est réputé fiable, mais les clubs y ont rarement recours en raison de son coût élevé et du faible nombre d’hôpitaux équipés.
« Sommes d’argent en jeu »
« Il y a quelques années, la fraude s’organisait à des cadences presque industrielles, c’est un peu moins le cas aujourd’hui, observe néanmoins Eugène Diomandé. Certaines fédérations assurent un meilleur suivi des joueurs professionnels via des photos, des empreintes. Dans les clubs, on se fie à notre instinct, à l’apparence physique, on essaie de remonter le parcours scolaire pour vérifier l’état civil. »
L’ASEC Mimosas (Côte d’Ivoire), qui possède l’une des académies les plus réputées d’Afrique et a formé de grands joueurs ivoiriens comme Yaya Touré, Kolo Touré ou Gervinho, multiplie depuis plusieurs années les initiatives pour s’assurer que l’âge de ses jeunes joueurs soit le plus proche de la réalité.
LeMonde-afrique
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