Inquiétudes sur le Parlement panafricain en Afrique du Sud

Le Parlement panafricain sert-il à quelque chose ?

À l’arrêt depuis juin 2021, miné par les conflits internes et les accusations de gabegie, sans réel pouvoir… Le Parlement, qui siège en Afrique du Sud, renvoie une image déplorable. Son cas devrait être évoqué lors du sommet de l’Union africaine des 5 et 6 février.

Déjà rare en temps normal, le parlementaire panafricain a disparu des rues de Midrand. Il a déserté l’hémicycle depuis la bagarre de juin 2021. L’élection d’un nouveau président avait tourné à la foire d’empoigne entre représentants des différents blocs géographiques, les parlementaires d’Afrique australe redoutant que la présidence ne leur échappe encore une fois (il ne l’ont jamais occupée depuis le lancement du Parlement panafricain en 2004, pas plus d’ailleurs que l’Afrique du Nord).

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Ce jour-là, le scrutin s’est transformé en mêlée générale avec l’urne comme objet à protéger. Outré, Moussa Faki Mahamat, le président de la Commission de l’Union africaine (UA), a immédiatement suspendu les travaux de l’assemblée le temps de « résoudre les problèmes et d’organiser des élections pacifiques et crédibles ». Une formulation propre aux coups d’État. Huit mois plus tard, aucun retour à Midrand n’est au programme. La dernière session de travail remonte à octobre 2019.

« Mauvaise foi »

« Nous sommes dans un statu quo, rien n’est envisageable pour le moment, commente le Camerounais Roger Nkodo Dang président du Parlement entre 2015 et 2020. Ils veulent nous emmener dans une espèce de rotation qui n’a jamais existé. » Roger Nkodo Dang dénonce l’adhésion de l’UA à cette « mauvaise foi », laquelle « ne permet pas au Parlement de se relever ». Côté sud-africain, on estime que l’affaire a été arbitrée et que la rotation s’impose. « On a fait des recherches et consulté Addis-Abeba, le problème a été résolu donc il n’y a pas de crise », évacue Mathole Motshekga, parlementaire et membre du Comité pour la justice et les droits de l’homme.

En effet, le Conseil exécutif de l’Union africaine s’est rangé derrière les frondeurs et soutient fermement le principe de la rotation qui régit le fonctionnement de l’UA. « Mais le Conseil exécutif ne peut pas nous dicter sa loi », s’agace le Centrafricain Aurélien-Simplice Zingas, président sortant de la Commission santé, travail et affaires sociales. Il insiste sur la stricte séparation des pouvoirs entre le Parlement et les autres organes de l’Union. Il dénonce aussi une « manipulation » de l’Afrique australe et regrette la « zizanie » qui en résulte.

Pour mettre en œuvre le principe de rotation, il suffirait de ratifier le protocole de Malabo, adopté en 2014. Ce document vise à transformer le Parlement en véritable organe législatif du continent – ce qui est sa raison d’être originelle. Mais seuls 13 pays sur 55 l’ont ratifié et l’Afrique australe n’en fait pas partie. La majorité des États verrait en effet d’un mauvais œil la création d’une assemblée supranationale. Indépendant, ce Parlement panafricain pourrait se mêler des affaires internes et s’autoriser une liberté de ton qui pourrait crisper les palais.

Le Parlement panafricain est le parent pauvre de l’UA

Ce fut le cas lors de missions d’observation électorale. Avant 2010, les parlementaires pouvaient mener ces missions de manière autonome. « C’était un succès, se souvient Roger Nkodo Dang. On faisait des analyses approfondies pour faire avancer la démocratie. Mais une fois, le Parlement a fait un rapport contre le Zimbabwe qui a trouvé que c’était un mauvais rapport et ils nous ont retiré la mission d’observation des élections. » Désormais, les missions d’observation sont encadrées par sa grande sœur : la Commission de l’UA.

Le Parlement panafricain est le parent pauvre de l’UA. Sans pouvoir et chaperonné par le siège à Addis-Abeba. « L’idée, c’était d’avoir un vrai rôle d’équilibrage et de surveillance, rappelle Liesl Louw-Vaudran, chercheuse à l’Institut d’études de sécurité de Pretoria. Mais là c’est impossible. Les chefs d’État et la Commission de l’UA sont beaucoup trop forts. Dans un monde idéal, on aurait dû avoir dans chaque sommet de l’UA un discours du président du Parlement africain. On n’en n’a jamais eu parce qu’il n’a pas de statut reconnu ni de légitimité au sein des structures de l’Union. »

Appétit pour le pouvoir et l’argent

Le poste est pourtant très convoité. En témoigne ce débat sur la rotation qui est un « écran de fumée » pour obtenir le pouvoir par tous les moyens, observe le Sud-Africain Zwelethu Madassa, avocat et ancien secrétaire du Parlement entre 2010 et 2015. « Ils [l’Afrique de l’Ouest, de l’Est et centrale] veulent le pouvoir pour des ambitions locales. Quand ils sont président ou vice-président, ils se servent de ce titre quand ils sont de retour chez-eux et ils en tirent bénéfice. Les plus malins s’en sont très bien servi. »

À l’appétit du pouvoir, faudrait-il ajouter le goût de l’argent ? « C’est une partie du problème mais je ne mettrais pas tout le monde dans le même panier », tempère Zwelethu Madassa. De fait, dans leur grande majorité, les parlementaires ne sont pas payés par l’organisation panafricaine. Ils sont pris en charge par leurs pays respectifs sous forme de frais de missions.

Les parlementaires les mieux lotis peuvent percevoir jusqu’à 9 000 euros par an

En revanche, les membres du bureau exécutif (ils sont 5) et des commissions (38) sont censés recevoir des indemnités selon une grille validée en juin 2019. Officiellement, ils perçoivent 150 dollars par jour de présence, soit 9 000 euros par an s’ils participent effectivement aux quatre sessions annuelles. Les membres du bureau exécutif, président et vice-présidents, touchent une indemnité mensuelle supplémentaire de 300 dollars par mois.

Dérives financières

Si chaque sou dépensé semble correspondre à une ligne budgétaire préétablie, le Parlement a fait l’objet d’une enquête pour dérives financières sous la présidence de Roger Nkodo Dang. Dans son rapport de février 2019, le Conseil exécutif de l’UA demandait l’arrêt du versement des « indemnités spéciales » aux membres du personnel, aux parlementaires et membres du bureau qui n’ont pas été approuvées. Le Conseil demande également à la Commission de l’UA d’engager des poursuites judiciaires à l’encontre des personnes responsables de « paiements illégaux ».

Roger Nkodo Dang avait déjà attiré l’attention en faisant les gros titres pour son train de vie fastueux. Le président passait ses nuits dans un hôtel de luxe de Johannesburg et roulait en grosse cylindrée malgré un logement et une voiture de fonction offerts par le pays hôte, l’Afrique du Sud. Roger Nkodo Dang affirme avoir payé l’hôtel et la voiture de sa poche, grâce à son per diem. La maison proposée n’était pas fonctionnelle selon lui. « On ne peut pas me loger partout, je garde mon standing », se justifie-t-il.

C’est une honte d’avoir un Parlement qui ne légifère pas et qui n’a pas de parlementaire depuis trois ans

Si vous cherchez de la gabegie, c’est ailleurs qu’il faut regarder, nous intime Roger Nkodo Dang. « C’est une honte pour le continent africain d’avoir un Parlement qui ne légifère pas et qui n’a pas de parlementaire depuis trois ans. L’Afrique ne devrait pas se payer un luxe pareil. Payer des fonctionnaires qui ne sont pas compétents et qui touchent des gros salaires et c’est le contribuable africain qui paie. À quoi sert ce Parlement ? », lance-t-il avec provocation.

Si l’hémicycle de Midrand sonne creux, le travail continue. En l’absence des parlementaires, les fonctionnaires assurent des missions techniques avec les pays membres. L’un des objectifs est d’encourager les Parlements nationaux à ratifier les traités adoptés par l’UA et les incorporer dans leurs systèmes juridiques, dans un souci d’harmonisation continentale. « Une Afrique, une voix », selon la devise du Parlement.

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Cet idéal est loin d’être atteint, regrette Zwelethu Madassa, ancien secrétaire. Il dénonce la mauvaise gouvernance et l’égoïsme de ses dirigeants qui ont fait du Parlement « l’expression des différents dysfonctionnements qui traversent les pays du continent ». « Les gens viennent avec leur culture de la gouvernance. Ils ne lisent pas les statuts pour voir ce qui unit le continent, quelles sont les valeurs et les principes qui fondent le Parlement », soupire-t-il.

Alors que l’UA fête ses 20 ans dans sa forme actuelle, va-t-elle prendre la mesure du délitement de cette institution ? Le Parlement panafricain fait figure d’enfant non désiré. « Il y a une décision politique suprême qui veut qu’il reste en marge et ne fonctionne pas comme une institution de pleins pouvoir », croit comprendre la tunisienne Jamila Ksiksi, ancienne présidente du caucus des femmes au parlement panafricain. « C’est une situation voulue. Les gens ont voulu que le Parlement panafricain n’existe pas », abonde Roger Nkodo Dang. « Ce qui c’est passé au mois de juin [le blocage du vote], c’était presque une excuse pour démanteler le Parlement », conclut la chercheuse Liesl Louw-Vaudran.

Préférons la mort du Parlement à son déshonneur !

C’était « la honte » s’accordent plusieurs députés. « Les pères fondateurs de l’UA, dans leur tombe, ne doivent pas être contents de ce spectacle », lâche Aurélien-Simplice Zingas. Le Sénégalais Macky Sall, qui doit prendre la présidence tournante de l’UA, est au courant de la situation, selon son compatriote Djibril War, président de la Commission des règlements, des privilèges et de discipline. Lui-même a porté l’affaire devant l’Assemblée nationale sénégalaise. « Nous exigeons que la prochaine élection ait lieu en dehors de l’Afrique australe », réclame-t-il, en contradiction avec la décision du Conseil exécutif d’octobre 2021.

L’élection aura lieu à Midrand, en présence de Moussa Faki Mahamat. Un déplacement qui risque d’être perçu comme une ingérence. « Soit nous sommes des députés, soit nous sommes des assujettis des fonctionnaires de l’UA, s’emporte Djibril War. Préférons la mort du Parlement à son déshonneur. »

Romain Chanson
https://www.jeuneafrique.com/1302284/politique/le-parlement-panafricain-sert-il-a-quelque-chose/

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