Avec la répétition des coups d’État dans notre région ouest-africaine, nous sommes obligés de nous interroger sur la pertinence des propos de l’ancien président français Jacques Chirac, qui disait au début des années 90 que l’Afrique n’était pas mûre pour la démocratie. En voyant des régimes démocratiquement élus tomber les uns après les autres, sous les applaudissements des foules, en voyant les sorts que nous faisons subir à nos constitutions démocratiquement adoptées, on peut effectivement réfléchir sur les propos de Chirac.
Si l’on considère que nos pays sont nés dans les années soixante avec ce que l’on a appelé les « indépendances », on pourrait dire que nous sommes comme des enfants à qui le père, l’ancien colonisateur qui nous a « apporté la civilisation », apprend à marcher, des enfants qui tombent, se relèvent et recommencent. Alors, on pourrait en conclure que nous ne sommes effectivement pas encore mûrs pour la démocratie, mais que nous finirons par y arriver un jour. Mais si nous considérons que notre histoire est aussi vieille que celle des autres peules du monde, que nous avons eu des royaumes, des empires, nos propres systèmes de gouvernements qui épousaient nos réalités, comme nos systèmes de gouvernance par génération ou classe d’âge par exemple, que nos expériences civilisationnelles ont aussi ensemencé d’autres civilisations, que c’est la civilisation égyptienne du temps des pharaons, qui est la nôtre, à nous Africains, qui a influencé la Grèce, la mère de la culture européenne d’aujourd’hui, les choses se présentent alors différemment. On pourrait dès lors considérer que ce que nous traversons actuellement n’est que des péripéties dans une longue histoire, comme toutes les régions du monde en ont connues. Aujourd’hui nous sommes les dominés, et les dominants nous imposent leurs valeurs. Ainsi la démocratie à l’occidentale est décrétée valeur universelle que tous ceux qui sont sous la domination de l’Occident se doivent d’adopter. Mais cette valeur n’est imposée qu’à ceux qui sont réellement dépendants de cet Occident, et n’ont pas les moyens de se défendre ou qui n’ont pas compris qu’ils peuvent chercher leur propre voie. Ainsi, personne ne songe à imposer la démocratie à l’occidentale à l’Arabie Saoudite ou à la Chine, par exemple. Parce que l’Arabie saoudite et les autres monarchies du Golfe savent sur quoi elles sont assises, et la Chine envoie des engins sur la face cachée de la lune et fait aujourd’hui trembler ceux que l’on appelait les grandes puissances.
L’Europe sait le long chemin qu’elle a parcouru avant d’arriver à cette démocratie qu’elle veut imposer au reste du monde. Elle a connu des régimes de droit divin, des monarchies absolues, des régimes fascistes et le nazisme, avant d’en arriver là où elle est. Et la démocratie, une fois atteinte, n’est pas une donnée immuable. Elle peut aussi mourir, et les Européens savent que leur belle démocratie est actuellement en crise aussi bien chez eux qu’aux Etats-Unis. Alors, nous, Africains, avons-nous vraiment besoin de la démocratie pour faire avancer nos pays ? En Côte d’Ivoire, Houphouët-Boigny a régné pendant 33 ans d’une main de fer. A la fin, on l’a traité de dictateur. Mais aujourd’hui nous le pleurons parce que nous estimons que tout compte fait, son règne nous a permis de vivre en paix. On a vu ce qui s’est passé avec ses premiers successeurs démocrates. Au Burkina Faso, Blaise Compaoré a régné 27 ans, lui aussi d’une mais de fer. A la fin, il a été traité de dictateur et chassé comme un malpropre. De nombreux Burkinabé le pleurent aujourd’hui parce qu’il avait fait avancer leur pays et réussi à le préserver de la menace terroriste. On tresse des lauriers à Jerry Rawlings, un militaire qui avait aussi mené son pays à la trique pendant vingt ans avant de se convertir à la démocratie. Au Mali et au Burkina Faso, les présidents démocratiquement élus et réélus n’ont pas su faire face au terrorisme. On pourrait même dire qu’ils ont été vaincus par les djihadistes. Certains reprochent à M. Ouattara d’avoir accepté de faire un nouveau mandat alors qu’il avait dit qu’il se retirait. Sommes-nous certains que si après le décès d’Amadou Gon Coulibaly M. Ouattara n’avait pas rempilé la Côte d’Ivoire serait encore ce qu’elle est aujourd’hui ? Je crois que nous oublions un peu facilement que nous aussi sommes sous la menace du péril terroriste et que la simple application du jeu démocratique ne suffit pas à lui faire face. La question fondamentale pour nous est de savoir ce qui compte vraiment pour nous : vivre simplement dans une démocratie ou vivre confortablement dans des pays en paix, dans la sécurité. Ce que je remarque est que ceux qui critiquent M. Ouattara pour son mandat qu’ils estiment de trop, finissent par conclure que « malgré tout ça, il travaille et fait avancer le pays. » Le système politique chinois n’a rien à voir avec la démocratie à l’occidentale. Mais la Chine est passée du statut de pays du tiers monde à celui de pays à l’économie la plus forte du monde en moins d’un demi-siècle. La Corée du Sud qui était parmi les pays les plus pauvres du monde dans les années 60 a pris son essor économique pour se hisser parmi les vingt pays les plus riches du monde sous la houlette du général Park Chung-hee qui était loin d’être un démocrate.
Loin de nous l’idée de rejeter la démocratie et de faire l’apologie des régimes autoritaires. Nous sommes bien placés sur ce continent pour savoir ce que coûtent les dictatures comme celles des Idi Amin Dada, Bokassa, Sékou Touré et autres. Mais parfois on peut se demander si dans certaines circonstances, des régimes forts mais éclairés ne sont pas les meilleures réponses. Le débat est ouvert.
Venance Konan
Par Venance Konan
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