Plus rien ne va au niveau de la presse écrite en Côte d’Ivoire. Les chiffres sont l’illustration frappante de la chute libre que connaissent les journaux ivoiriens. En 10 ans, c’est-à-dire de 2011 à 2021, le chiffre d’affaires des entreprises de presse est passé de 6 milliards de F CFA, à moins de 2 milliards de F CFA. Et la récente augmentation du coût de l’impression des journaux n’a fait qu’accélérer cette régression continue. Les entreprises de presse ivoiriennes se cherchent. Tant les difficultés s’accumulent et qu’elles n’arrivent plus à y faire face. Les journaux ne se vendent plus, pour tout dire.
Pour diverses raisons
Qu’est-ce qui pourrait bien expliquer la descente aux enfers de ce secteur d’activités ? Surtout que celui-ci a connu son « printemps » au cours des années 19 90. Pourquoi les fleurs du « printemps » de la presse ivoirienne se sont-elles fanées en l’espace d’une trentaine d’années ? A cette préoccupation, Bamba Franck Mamadou, directeur de publication de « Notre Voie » ,avance des causes endogènes et des causes exogènes. S’agissant des causes endogènes, il affirme tout de go, que le contenu de l’offre des journaux est pauvre. « Les journalistes ivoiriens ne font pas beaucoup d’efforts pour intéresser les lecteurs. Alors, ceux-ci se tournent vers la presse internationale ». Bamba Franck met aussi en cause l’attitude des lecteurs. En dépit du contenu qu’il juge pauvre, il trouve que nombre d’Ivoiriens n’aiment pas lire non plus. Qu’ils n’ont donc pas la culture de la lecture quotidienne d’un journal. « Ils préfèrent se contenter des titres des journaux sans chercher à acheter un numéro pour connaître la teneur des informations qui y sont publiées. »
Pour ce qui est des causes exogènes, Bamba Franck relève le développement fulgurant de l’Internet et de sa pénétration progressive dans les différentes sphères de la société ivoirienne. Un fait qui s’est accompagné de l’avènement des réseaux sociaux, auxquels tout le monde a pris goût à ce jour. Il remarque avec amertume qu’à cause d’internet, une nouvelle espèce de journalisme a vu le jour sur la toile. Conséquences : les lecteurs préfèrent aller chercher les informations sur le net, plutôt que de s’adresser aux médias qui traitent et publient les informations dans les règles de l’art.
Vamara Coulibaly, directeur de publication de First News, la société éditrice des journaux « Soir Info » et « L’Inter », se montre, lui, plus préoccupé par l’avènement d’Internet. Pour lui, l’Internet est une force composée de trois médias, qui vient bouleverser l’ordre qui régnait jusque-là. De surcroît, les coûts d’accès à l’Internet sont jugés relativement bas, comparativement à ceux de la presse écrite.
César Etou, directeur de publication de « La Voie Originale » et Denis Kah Zion, l’un des responsables du quotidien « Le Nouveau Réveil », pointent tous les deux du doigt, une autre cause. En effet, ils pensent que la presse est dans un piteux état à cause de la cherté de la vie en Côte d’Ivoire. « La presse est sinistrée parce que la société est elle-même sinistrée. On dit que les Ivoiriens sont pauvres. La vie coûte cher. Ils n’arrivent plus à faire face à certaines charges. Acheter un journal est devenu une dépense de prestige. Ils préfèrent acheter à manger plutôt que d’acheter un journal », affirme César Etou. Denis Kah Zion estimé, pour sa part que, les difficultés de la presse sont à l’image des difficultés que connaît le pays
La distribution n’est plus ce qu’elle était
A toutes ces raisons s’ajoute la mauvaise distribution quotidienne des différents journaux par la principale société qui s’en occupe depuis toujours dans le pays et qui s’appelle : Edipresse. Le directeur de publication de « La Voie Originale » fait l’amer constat qu’Edipresse, ne couvre pas 40 % du territoire. Et 60 % de la zone couverte reçoît les journaux à partir de 15 heures, ou le lendemain. Une situation qui à ses yeux, profite aux personnes qui publient les informations sur internet. Etant donné que les journaux qui arrivent le lendemain de leur date de parution, ne seront pas achetés à cause de l’existence d’internet. Par ailleurs, Edipresse éprouve de réelles difficultés financières à reverser aux entreprises de presse, le revenu tiré de la vente des différents titres. « La Voie Originale », selon son directeur de publication, ne paraît plus depuis deux semaines. Une information qu’il nous a confiée, le mardi 25 janvier 2022. « Edipresse nous doit plus de 6 mois d’arrièrés de recettes de ventes des journaux. Nous n’arrivons plus à payer l’imprimeur. Il nous faut trouver d’autres sources de revenus pour continuer de paraître. En attendant, nous cherchons à redynamiser le site internet du journal. Le problème a été posé au Groupement des Editeurs de Presse en Côte d’Ivoire (Gepci). Il a décidé de s’en charger », a indiqué le directeur de publication de ce bihebdomadaire. Même si, pour l’heure, ce n’est que « La Voie Originale » seule qui ne paraît pas, il y a fort à craindre que cette situation se généralise. Et comme si cela ne suffisait pas, le coût des impôts vient en rajouter à cet état pitoyable des entreprises de presse. Ainsi que la récente décision des imprimeurs d’augmenter les coûts d’impression des journaux. Tout cela a amené les éditeurs de presse à réagir. Ils ont décidé d’organiser une journée presse morte pour protester contre cette augmentation, qui ne fait pas leur affaire.
Le problème : la mévente
Face à cette situation catastrophique des journaux, certains acteurs de ce secteur d’activitéd ont dû abandonner pour certainement aller voir ailleurs. « Ici à Attécoubé, il n’y a plus de distributeurs. Je travaille sur fonds propre », confie un gérant de librairie, qui vend également des journaux non loin du marché. Bien avant cette détresse de la presse écrite ivoirienne, un grossiste venait distribuer les journaux à tous les vendeurs du quartier. Il avait même des employés à motos. Mais ce dernier a dû arrêter parce que çela ne marche plus. C’est donc chez un autre grossiste dans la commune du Plateau qu’il se procure les journaux. Avec ce système, il paye lui-même le transport. Pourtant, « ça ne marche plus. Il y a des journaux que je retourne tels qu’ils m’ont été livrés, sans qu’un seul client ne les demande », précise-t-il. Pour ce vendeur de journaux, le problème de la presse, c’est la mévente. Un autre estime que la mévente est liée au manque d’événements. Et donc au contenu des journaux. « Quand il y a des événements dans le pays, les gens viennent voir ce que les journaux ont rapporté comme informations », explique ce vendeur. Au quartier Williamsville dans la commune d’Adjamé, un vendeur que nous avions l’habitude de fréquenter, s’est retiré de cette activité. Non seulement son livreur ne vient plus, mais lui-même se retrouve régulièrement avec d’importantes quantités d’invendus sur les bras.
Diomandé Karamoko et Jeremy Junior
Lebanco.net
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