Par Lucien Houédanou
Justin Vieyra, un grand pionnier de la presse africaine, nous quittés le 13 janvier 2022, à Abidjan, dans sa 87e année.
“Il s’en va juste un an après son ami LDF” (Le ministre Laurent Dona-Fologo), dont il avait été le conseiller technique, m’a fait remarquer le Ministre Auguste Miremont, ancien directeur général de Fraternité Matin, lui aussi de la génération des pionniers.
Homme de radio, Justin Vieyra avait été rédacteur en chef de Radio Dahomey, autour des années 1960, et a renoué avec ce media en créant la radio Abidjan 1, dans les années 90. Dans l’intervalle, il s’est fait connaître surtout comme grande plume et patron de presse, notamment en tant que rédacteur en chef de Jeune Afrique, à Paris, fondateur du quotidien panafricain Le Continent (Paris, Tunis, Abidjan), directeur de l’hebdomadaire Ivoire Dimanche.
Évoquant les pionniers de la presse africaine, aux alentours des indépendances, Thierry Perret note ceci, dans Le temps des journalistes- L’invention de la presse en Afrique francophone : “les premiers journalistes africains exerçant régulièrement, ou ayant un statut reconnu, se comptent sur les doigts de la main.(…) Au Togo, au Dahomey, nombre de publications sont animés par des nationaux mais le dilettantisme est de rigueur ; seul à la radio nationale du Dahomey Justin Vieyra, qui deviendra une figure de la presse, en Côte d’Ivoire et au-delà, est professionnel.” (1).
Avec Ben Yamed et Houphouët-Boigny
Fin 1963, Justin Vieyra entre à Jeune Afrique, à Paris, dont il deviendra le rédacteur en chef. Quelques années plus tard, en 1969, en reportage à Abidjan, il aura avec le Président Félix Houphouët, une rencontre impromptue, décisive pour la suite de son parcours professionnel et personnel.
Depuis l’adolescence, a confié Justin Vieyra à Frédéric Grah Mel, j’éprouvais de l’admiration pour Félix Houphouët-Boigny. (…) À Jeune Afrique à Paris, avec Béchir Ben Ben Yamed, j’ai appris le métier de journaliste. Avec Houphouët-Boigny à Abidjan, je suis allé à l’école de la vie.” (2).
L’ancien rédacteur en chef de Jeune Afrique a commis un magistral récit intimiste de la rencontre entre le président Houphouët-Boigny, sur ses plantations de Yamoussoukro, et “Vieyra le Parisien”, comme le chahutait le président-planteur. On y trouve une clé de sa décision de quitter Paris pour Abidjan où il a créé la société d’édition Inter Afrique Presse.
“Épanouissement de la presse libre sur le sol d’Afrique”
“Debout, longuement, le Président [Houphouët-Boigny] me prodigue des conseils, révèle Justin Vieyra. Il m’assure de son soutien dans tout ce que je vais entreprendre en vue d’accroître la capacité d’épanouissement de la presse libre sur le sol d’Afrique. Jusqu’à son éloignement de la gestion effective du pouvoir suite à la maladie, il a tenu parole.” (3)
Le “Boss”
A Ivoire Dimanche, nous appelions Justin Vieyra, “Boss”. J’ai eu des relations de travail privilégiées avec le Boss. Mes premiers contacts indirects avec M. Vieyra remontent à 1980-1981 où, étudiant en journalisme et doctorant en lettres à l’Université de Dakar, je proposais des articles à la rubrique littéraire du quotidien panafricain le Continent qu’il venait de lancer à Paris. Quelques années plus tard, j’ai eu l’agréable surprise de recevoir une lettre de M. Vieyra. Très intéressé par une interview avec un universitaire nigérian, que j’avais publiée dans Afrique nouvelle, il me priait de lui fournir de la documentation sur le sujet : “Un siècle et demi de littérature écrite en langue yoruba”.
Justin Vieyra était un grand passionné de littérature et de culture. Il lisait beaucoup.
En 1986, le Boss m’a fait rejoindre l’équipe d’Inter Afrique Presse, à Abidjan, pour prendre la responsabilité du service des publications, avant de me nommer secrétaire général de la rédaction d’Ivoire Dimanche. D’après mon expérience, le Boss Justin Vieyra avait le flair pour détecter les potentialités de ses collaborateurs. Il savait les pousser à révéler leurs capacités, en leur accordant à la fois toute confiance et protection dans les responsabilités qu’il leur confie.
A mon sens, c’est à ces talents qu’il doit d’avoir su constituer, avec la rédaction d’Inter Afrique Presse, cette équipe de professionnels talentueux et imaginatifs – on voudra bien le reconnaître rétrospectivement – qui ont fait le succès du magazine Ivoire Dimanche, tiré parfois à 80 000 exemplaires et crédité, à l’époque, de “la plus forte audience d’Afrique francophone”. Quelques signatures de cette époque : Jérôme Carlos, Diégou Bailly, Raphaël Lakpé, Alphonse Boolamou, Bally Ouattara, Paulin Toutché, Jean-Servais Bakyono, Caroline Adamon, Emmanuel Koffi, Am Atta, Monique Edjime, Lucien Pouamon, Eugène Zadi, Mariam C. Diallo, Axel Avoni, Venance Doudou – au risque d’en oublier…
Mais les journaux meurent aussi. Ivoire Dimanche en a fait l’expérience, en 1990, avec le bourgeonnement, sur les berges de la lagune Ebrié, des “cent fleurs” des journaux du multipartisme,.
Anticipation
Anticipant les opportunités de la publication assistée par ordinateur, le Boss avait investi dans des équipements qui avaient permis à Inter Afrique Presse d’être un pionnier dans les prestations de pré-impression pour les nouveaux journaux. Il a ensuite bouclé la boucle en retournant à son média d’origine, la radio. Le pionnier a découvert des équipements légers et de nouvelles technologies. Cela a dû orner son visage de sourires d’enfant émerveillé, en pensant aux lourds Nagra et autres interminables bandes magnétiques de ses premières années de jeune journaliste radio.
Faisant déjà, en quelque sorte, le bilan de sa vie, en 2005, le Boss, grand croyant, dans son témoignage confié à Grah Mel, a résumé :
“J’ai vécu une vie de dur labeur, créant ou animant des journaux à Abidjan, Londres et Paris, accueillant sereinement succès et échecs.”
N’est-ce pas là une épitaphe ?
Merci pour tout, Boss et Adieu !
Lucien Houédanou, journaliste
Ancien secrétaire général de la rédaction d’Ivoire Dimanche
Président du Conseil exécutif du Cénacle des Journalistes séniors de Côte d’Ivoire
1- Thierry Perret, Le temps des journalistes. L’invention de la presse en Afrique francophone, Paris, Karthala, 2005, 322 p.
2- Justin Vieyra : « Mi Yohô Mo… », dans : Rencontres avec Félix Houphouët-Boigny, sous la direction de Frédéric Grah Mel, Abidjan, Fratmat Editions, 2005, 424 p.
3- Idem, ibidem
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