Côte d’Ivoire / Interview: Serge Parfait Dioman, Expert International en Industries Pétrolières et Énergies
Réalisé par Anzoumana Cissé
L’exploitation du Gisement Baleine se fera étape par étape. La production ira grandissante en fonction de son exploitation. Dans cet entretien, l’Expert International en Industries Pétrolières et Énergies, Serge Parfait Dioman, nous explique pourquoi l’augmentation progressive de la production répond bien aux règles de l’art du métier.
• Quelles sont les différentes phases rencontrées lors de la mise en exploitation d’un tout nouveau gisement ?
Du fait de la très forte pression qui règne dans le réservoir où sont accumulés le pétrole brut et le gaz associé, la première mise en exploitation débute par une « phase d’approche » où la consigne opératoire en vigueur, selon les bonnes pratiques des règles de l’art, consiste à stabiliser le débit de production à une allure prudemment réduite. L’on se fixe entre 15 à 25% de la pleine capacité de production escomptée. Il s’agit d’un calcul opérationnel qui privilégie la rentabilité déjà à ce stade.
La montée progressive des allures, palier par palier, se fera ensuite au fur et à mesure que des puits complémentaires seront forés et raccordés en direction du « séparateur haute pression » présent sur la plate-forme de production. Pour un gisement de rang majeur, il pourra s’agir de dizaines de puits.
C’est en fait la très délicate et dangereuse « phase de rodage » où l’on se doit d’éviter toute éruption brusque et brutale et ce, en raison du caractère explosible des effluents pétroliers et gaziers en présence. On s’assure pour ce faire alors que le niveau de production atteint à chaque palier est stable sur toute la durée d’observation impérieusement requise pour ce palier.
On procède ainsi de suite, et toujours palier par palier, jusqu’à la « phase du plateau final ». C’est en fait le tout dernier palier où tous les puits de production sont enfin disposés et prêts à délivrer de plus grands débits en continu. On parle alors de production à « régime établi » ou à « régime économique ».
• Quelle est la cible visée pour le gisement Baleine ?
L’objectif en vue pour tout gisement pétrolifère est de pouvoir l’exploiter à un régime économique élevé qui, dans le cas du gisement Baleine, est annoncé pour une capacité d’un peu plus de 100 000 barils par jour à l’horizon quinquennal actuel.
C’est la cible pour le moment communiquée par les autorités compétentes du pays. Une fois connue, il est permis qu’elle puisse varier selon certaines circonstances structurelles ou conjoncturelles. Cependant, l’on saura comment y revenir vu qu’il s’agira désormais du débit de production de référence.
Vu l’intérêt manifesté autour de cette découverte, et de par votre expérience, y a-t-il possibilité d’aller plus vite ?
Du fait de la rudesse des conditions de travail en ces milieux, les activités à haut risque qui y sont entreprises comportent des tâches ayant des délais de réalisation incompressibles, c’est à dire sans réelles possibilités de réduire leur temps d’exécution. Ce sera le cas par exemple pour les forages sur ce gisement Baleine qui présente une « profondeur d’eau » de 1200 m et une « profondeur mesurée » totale de plus de 3 kilomètres pour atteindre son réservoir.
Pour cette catégorie de « forages profonds » en effet, l’on compte au moins 1 mois et demi à 2 mois de travaux ne serait-ce que pour forer un seul puits. Les délais annoncés pour la première mise en route du gisement ne prennent donc pas plus de temps qu’utilement nécessaire. Le timing prévisionnel pour l’achèvement mécanique, les divers tests de commissioning et les essais de performance, etc. sont somme toute cohérents aux Retours d’EXpériences (REX).
Nous devons en fait garder en esprit que avons ici affaire à une construction industrielle en mer qui de surcroît se situe en eau profonde.
• En quoi les opérations sont-elles impactées ?
Le territoire marin en eau profonde est de notoriété hostile. Il faut en permanence faire face à de contraignantes forces de la nature océanique que sont entre autres les forts courants marins, les rafales de vents, les vagues houleuses, etc. qui en l’occurrence imposent une extrême prudence et un certain temps d’exécution pour chaque opération de forage ou de pilotage à distance des robots par exemple.
Ce sont ces engins de hautes technologies télécommandées qui transportent les têtes de puits pesant plusieurs centaines de tonnes pour les installer avec précision sur le sol souvent instable du fond marin et ce, dans une atmosphère sous-marine où règne tout le temps une obscurité totale.
Après avoir compris ces impératifs liés aux délais, que pourrions-nous savoir des grandes activités en vue ?
A la conclusion heureuse d’une exploration ayant abouti à la découverte d’un gisement pétrolifère, suit l’exploitation visant à extraire les hydrocarbures. Dans l’ordre chronolinéaire, elle se décline en trois pôles fonctionnels que sont les activités de production, stockage tampon et expédition du pétrole et du gaz stabilisés, au travers de pipelines ou navires-citernes, vers les postes et terminaux de réception situés en onshore.
Par les navires-citernes, l’expédition est moins importante et moins rapide. L’on ne peut en effet transférer plus de volume que ce qui peut être chargé dans leurs cuves. Par ailleurs, devoir attendre de les remplir pleinement avant tout transfert impose des pauses à chaque rotation. A cela, se rajoutent la durée du trajet, la durée du déchargement à destination, etc. Par pipelines en revanche, le débit d’expédition est nettement plus important et constant. Le transfert est sans interruption tant que les lignes restent disponibles et bien entretenues.
• L’expédition par pipelines serait-elle la plus rentable ?
Si elle ne se présente pas comme un goulot, c’est à dire une contrainte réduisant le débit de transfert des effluents d’hydrocarbures produits, cette voie est la plus rentable du point de vue économique, sécuritaire et environnemental.
Il pour ce faire veiller à ce qu’elle ne devienne pas le maillon faible conduisant à des arrêts intempestifs de production ou à des réductions notables des débits d’expédition quand on n’a qu’elle seule comme option. Sans alternatives de secours en effet, l’on risque l’arrêt total lorsqu’il faudra par exemple y intervenir en cas de corrosions, pertes d’épaisseur, fuites, etc.
Hormis ces désagréments structurels, d’occurences somme toute rares en réalité, l’on note que les nouveaux gisements n’ont pas tous forcément des pipelines existant à proximité. Il va falloir les construire depuis donc la plate-forme en mer jusqu’au shore-approach conduisant aux lieux de desserte à terre. D’ici là, nul ne peut débuter l’exploitation effective du gisement en question car l’on ne peut expédier la production.
Quelle stratégie adopter pour contourner cette problématique ?
Dans ce cas alors, il n’y a pas meilleur choix que recourrir à des installations flottantes et autres navires-citernes types FPSO ou FSO, etc. pour rapidement débuter la production commerciale, pendant que les pipelines de transfert de charge et les puits de production complémentaires sont en cours de construction. Autrement, l’on acquière, en occasion ou à neuf, un FPSO de grande capacité de production et de stockage et la question de la limitation de charge sera réglée.
Pour être efficace et surtout efficient, cette stratégie répond au mode de Commissioning & Start-Up dit Par Palier (2P). En terme de bénéfices, elle diffère en mieux de la production en mode Tout Ou Rien (TOR) où l’on attend que tout soit d’abord construit avant de lancer la production.
Le Patriote
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