Tuerie de Chevaline : une personne placée en garde à vue neuf ans après les faits
Le 5 septembre 2012, trois membres d’une famille britannique étaient tués de plusieurs balles dans la tête dans leur voiture. Un cycliste était aussi tué, probable victime collatérale d’une affaire restée non élucidée.
Le Monde avec AFP
Publié hier à 11h59, mis à jour à 10h22
Une personne a été placée en garde à vue, mercredi 12 janvier, par la section de recherches de Chambéry dans le cadre de l’affaire dite de « la tuerie de Chevaline », un quadruple meurtre survenu en 2012 et non élucidé à ce jour, a annoncé la procureure à la tête du parquet d’Annecy, Line Bonnet-Mathis.
« Cette garde à vue vise à procéder à des vérifications d’emploi du temps » et « des perquisitions sont en cours au domicile » de cette personne, a-t-elle précisé. De nouvelles informations seront rendues publiques à l’issue de la garde à vue, a-t-elle ajouté, soulignant toutefois que celle-ci « peut ne rien donner ». « Nous sommes extrêmement prudents sur les éléments d’identification », a ajouté la procureure, rappelant que « la procédure est couverte par le secret de l’instruction ».
Déjà entendu en 2015
L’homme interrogé est un témoin mis hors de cause en 2015, a dénoncé Jean-Christophe Basson-Larbi, son avocat, mercredi soir, devant la gendarmerie de Chambéry. « Il a le sentiment, peut-être à tort (…), mais c’est un sentiment que je partage, d’être en garde à vue gratuitement », a déclaré l’avocat face à des journalistes. Il a précisé que « la position de ce monsieur est toujours la même : “Je me promenais (…) mais [je] n’ai pas croisé la route de cette pauvre famille.” » Pour l’avocat, la garde à vue « fait peser sur la tête de cet homme le poids d’une réclusion criminelle à perpétuité alors même que c’est pour vérifier un emploi du temps ». M. Basson-Larbi, qui n’a pas souhaité révéler l’identité de son client, a précisé que ce dernier, « qui a toujours eu à cœur de participer à la manifestation de la vérité », avait « déjà eu connaissance de cette affaire » par le passé.
Lire le récit : Article réservé à nos abonnés L’épais mystère du massacre de Chevaline
L’affaire débute dans l’après-midi du 5 septembre 2012, lorsqu’un cycliste britannique, Brett Martin, aperçoit, au bout de la petite route forestière de la Combe d’Ire, un vélo couché à terre, une BMW, moteur en marche, et une petite fille en sang, qui titube puis s’effondre. Pensant d’abord à un accident de la route, il réalise vite qu’il s’agit d’un meurtre.
Dans la voiture, le conducteur Saad Al-Hilli, un Britannique d’origine irakienne de 50 ans, sa femme de 47 ans et sa belle-mère de 74 ans sont atteints de plusieurs balles dans la tête sur une route de campagne près de Chevaline, non loin du lac d’Annecy. La petite fille, blessée d’une balle à l’épaule, souffre de graves blessures au crâne. Enfin, un cycliste gît à terre, Sylvain Mollier, 45 ans, le corps criblé de balles.
Une deuxième fillette, indemne, sera retrouvée recroquevillée sous les jambes de sa mère, plus de huit heures après la tuerie. La scène de crime avait été « gelée » jusqu’à l’arrivée, dans la nuit, des techniciens parisiens de la gendarmerie.
Une piste écartée en février 2014
Le frère aîné de Saad Al-Hilli, qui était en conflit avec lui concernant l’héritage paternel, avait été placé en garde à vue le 24 juin 2013 au Royaume-Uni, puis sous contrôle judiciaire jusqu’en janvier 2014. Au sein de la famille Al-Hilli, certains penchent plutôt pour un meurtre lié à l’espionnage industriel. Saad était ingénieur spécialisé dans les satellites.
La piste d’un motard aperçu près des lieux du crime avait été écartée en 2015 lorsqu’il avait pu être établi qu’il s’agissait d’un chef d’entreprise adepte de parapente, aperçu par hasard près du lieu du crime. Croisé par des agents de l’Office national des forêts, cet homme, portant le bouc et un casque noir, avait longtemps fait office de principal suspect.
L’affaire de Chevaline a déjà donné lieu à des milliers d’heures d’enquête et d’auditions, des tonnes de documents épluchés et quatre interpellations, sans pour autant livrer son mystère.
Le Monde avec AFP
Tuerie de Chevaline : où en est l’enquête ?
L’homme interpellé le 18 février a été relâché libre. Après dix-huit mois d’enquête, aucun élément ne permet d’expliquer ce quadruple meurtre.
Par Soren Seelow
Publié le 22 février 2014 à 10h30 – Mis à jour le 26 février 2014 à 10h17
La petite route de la combe d’Ire, qui serpente entre les forêts du massif des Bauges, sur les hauteurs du lac d’Annecy, livrera-t-elle un jour ses secrets ? Saura-t-on jamais pourquoi, ce mercredi 5 septembre 2012 aux alentours de 15 h 30, un homme a vidé trois chargeurs d’un pistolet datant de la seconde guerre mondiale sur la voiture d’une famille de vacanciers britanniques et un cycliste français qui grimpait le col ?
Après dix-huit mois d’enquête, les gendarmes saisis du dossier avaient bon espoir de tenir enfin une piste solide avec l’interpellation, mardi 18 février, d’un habitant de la région, la première sur sol français. Ils ont vite déchanté. Eric D. a quitté samedi matin les locaux de la gendarmerie de Chambéry, « broyé », selon son avocat Me Marc Dufour, mais libre.
Au cours de sa garde à vue de trois jours – prolongée de vingt-quatre heures pour « commerce illicite d’armes » –, rien ni personne, des six perquisitions menées par les gendarmes et de la trentaine de témoins auditionnés, n’a permis de relier cet ancien policier municipal au quadruple meurtre de Chevaline. Les enquêteurs ont acquis la conviction que cet homme un peu fruste n’était en rien mêlé à la mort de Saad Al-Hilli, un Britannique d’origine irakienne, de sa femme et de sa belle-mère ainsi que de Sylvain Mollier, un cycliste français.
DÉCEPTION
Eric D. doit certes être mis en examen samedi dans le cadre d’un petit réseau de collectionneurs locaux d’armes à feu, mais il est peu probable que cette passion coupable le conduise en prison. L’ex-policier découvrira donc ce week-end, en rentrant dans le charmant village de Menthon-Saint-Bernard, sur les rives du lac d’Annecy, les portraits peu flatteurs qu’ont fait de lui des médias impatients de mettre un point final à l’une des plus grandes énigmes policières de ces dernières années.
L’emballement médiatique déclenché par cette première interpellation en France est à la mesure de la déception qui s’est abattue sur les enquêteurs. Après un an et demi d’investigations, la trentaine de gendarmes mobilisés sur l’affaire en sont de nouveau réduits à labourer les mêmes hypothèses de travail : le conflit familial autour de l’héritage du père, la piste irakienne, la piste professionnelle, celle du cycliste comme cible première du tireur et enfin l’hypothèse du tueur local.
Faute d’éléments probants, la piste de l’espionnage industriel – Saad Al-Hilli travaillait pour une société leader mondiale des microsatellites – a été abandonnée. La piste irakienne est plus prometteuse, mais tout aussi muette : en fuyant le régime de Saddam Hussein dans les années 1980, le père de Saad Al-Hilli a abandonné au pays ses biens mobiliers et immobiliers, sur lesquels des individus auraient mis la main. La thèse d’un contrat sur la famille Al-Hilli, qui aurait cherché à récupérer ce patrimoine, n’a jamais été exclue.
LA PISTE DE L’ARME
Mais les commissions rogatoires internationales envoyées en Irak sont restées lettre morte. « Il est aujourd’hui impossible d’avancer sur le volet irakien », résume le colonel Jacques Plays, adjoint au sous-directeur de la police judiciaire de la gendarmerie. La piste du cycliste comme cible première du tireur fait toujours l’objet d’investigations, mais le profil de cette victime est jugé moins intéressant que celui de la famille Al-Hilli.
Restent les deux pistes de travail les plus saillantes. Tout d’abord, le conflit ouvert entre Saad et son frère aîné Zaïd, qui s’accusaient mutuellement d’avoir capté l’héritage paternel, estimé à quelque 3 millions d’euros. L’enquête a pu démontrer que Saad en était le principal bénéficiaire, et que Zaïd avait tenté de capter la part de son cadet, déclenchant un conflit familial brûlant. Zaïd – qui avait affirmé peu après le drame ne pas être en conflit avec son frère – est techniquement à ce jour le seul et unique suspect dans cette affaire, rappelle le procureur d’Annecy, Eric Maillaud, quand bien même son contrôle judiciaire a été levé en janvier dernier en Grande-Bretagne.
La fausse promesse de l’interpellation d’Eric D. a tout de même permis de raviver la piste locale, avec la découverte de son arsenal : celle du milieu des passionnés d’armes de la seconde guerre mondiale. Le seul élément matériel qui relie les enquêteurs au tueur est un pistolet Luger de fabrication suisse datant du début du XXe siècle. En remontant le fil de ce réseau de collectionneurs régionaux, il n’est pas interdit d’espérer qu’ils retrouvent incidemment la trace de l’arme du crime. Mais ils auront surtout besoin, de l’aveu même du procureur, d’« un peu de chance ».
Soren Seelow
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