Entretien avec Serge Parfait Dioman, Expert International en Industries Pétrolières et Énergies
Réalisé par Dominique Fadegnon (SOIR INFO)
Le groupe italien Eni a découvert, il y a un peu plus de 4 mois, le gisement offshore ‘’Baleine’’, dans les eaux ivoiriennes. Il se donne 2023 pour la mise en production. La question est de savoir si l’exploitation se fera sans des tensions avec le Ghana, pays limitrophe. Serge Parfait Dioman, Expert International en Industries Pétrolières et Énergies, y répond.
• Le chevauchement de gisements entre pays voisins est-il une préoccupation qui concerne le gisement Baleine de la Côted’Ivoire vu que le pays est voisin du Ghana ?
Le chevauchement de gisements pétrolifères est le fait qu’en raison de leur envergure et leur emplacement, des réservoirs de pétrole et gaz se trouvent étendus de part et d’autre des frontières de divers États s’estimant en droit d’en revendiquer alors la possession exclusive ou partagée. Potentiellement objet de tensions entre pays limitrophes, la Côte d’Ivoire en est épargnée. Avec ses voisins maritimes que sont le Liberia et le Ghana, elle ne vit pas cette problématique. Sur toute sa façade océanique non plus, il n’y a pas de vis-à-vis interférent.
Son gisement Baleine ne revêt alors aucune inquiétude de chevauchement. Il loge bien dans le CI-101, un bloc non frontalier des eaux ghanéennes dont il est d’ailleurs séparé par deux grands blocs CI-01 et CI-100 à l’Est. La Côte d’Ivoire en est donc l’unique propriétaire et l’autorité tutélaire garante de la sûreté et la sécurité en mer, face à toute présence non inoffensive et ce, du fait de l’éloignement du rivage surtout.
• Le gisement Baleine est-t-il si loin en mer ?
Pour se faire un ordre d’idée, à vol d’oiseau, ce gisement est à un éloignement des côtes ivoiriennes équivalent à un trajet entre Abidjan et Sikensi ou Paris et Chartres par exemple.
• A quelle profondeur se trouve-t-il exactement ?
Il est en eau profonde, vu sa bathymétrie (profondeur d’eau) de 1200 mètres. Et pour atteindre son réservoir pétrolifère, il faudra des forages de plus de 3 kilomètres de « profondeur mesurée ». Ce qui mène à une classification HAZOP (Hazard Operability) pour des plates-formes pétrolières flottantes de niveau d’intégrité de sécurité type « haut risque opérationnel ».
• Comment sont établis les limitations et les droits de chaque pays côtier sur son espace pétrolifère en mer ?
Le droit exclusif d’un État côtier à explorer la mer et exploiter les ressources naturelles, dont celles de natures pétrolières et gazières, lui est consenti par la Convention des Nations Unis sur le Droit de la Mer (CNUDM) de 1982. Elle rappelle en effet le cadre formel de la Zone Économique Exclusive (ZEE) couvrant l’aire maritime qui lui est exclusivement dédiée au respect des perspectives de la 14ème rubrique des Objectifs de Développement Durable (ODD14) des Nations Unies.
En leur qualité d’États-Parties de la CNUDM, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Liberia reconnaissent donc l’inviolabilité de leurs périmètres de souveraineté maritime respectifs. Les ressources disponibles dans le bassin sédimentaire offshore de chacun d’eux sont en effet indisputablement les leurs.
• Qu’est-ce à dire ?
En pratique, la ZEE est universellement définie pour tous sur une distance de 370 kilomètres non extensible comptée depuis la ligne de base du littoral conformément à l’Article 57 de la CNUDM. Au-delà de cette bande, nous baignons dans le domaine particulier des eaux internationales appelées haute mer, une zone donc « res nullius » (sans propriétaire exclusif).
• La haute mer est-elle alors un No Man’s Land ? Un pays tiers pourrait-il, sans rendre compte, rechercher du pétrole dans l’espace des eaux internationales ?
A première vue, le principe de liberté en vigueur en haute mer laisserait croire que les eaux internationales n’appartiennent à personne. Or, l’on ne peut y faire ce que l’on veut en réalité. D’où l’amalgame à ne pas faire entre les « droits maritimes » plutôt liés à la Zone Économique Exclusive et les « droits sous-maritimes » spécifiquement inhérents au Plateau Continental.
Dans le premier cas en effet, le pays revendique des droits maritimes sur les eaux et l’espace aérien surjacent celles-ci alors que dans le second cas, les droits sous-maritimes se rapportent plutôt aux sols et aux sous-sols du fond marin.
• N’y a-t-il pas cumul de droits ?
Si. Sur toute la largeur des 370 kilomètres définissant la ZEE, il y aura un cumul de ces deux droits car le plateau continental et les eaux de ladite ZEE se trouvent fatalement superposés. Mais si d’aventure, celui-ci déborde de ces 370 kilomètres, franchit la frontière non extensible de la ZEE et se prolonge dans les eaux internationales, le pays côtier y perd l’exclusivité des « droits maritimes » comme ceux de la pêche en haute mer par exemple.
Il garde cependant ses « droits sous-maritimes », notamment la production pétrolière et gazière sur cette extension. Sauf qu’après 12 ans d’exploitation, il devra verser des royalties annuelles à l’Autorité Internationale des Fonds Marins, pour les profits réalisés sur un « bien de l’humanité ». Pour ce faire donc, un exploitant présent en haute pourra louer un espace d’activité et ce, sans interférer sur les droits de l’État côtier.
• En quoi est-ce que l’extension du plateau continental est-elle bénéfique pour la Côte d’Ivoire ?
A la lumière des Articles 76 et 85 en Partie VI de la CNUDM, c’est une voie légale pour « augmenter la superficie » d’un pays côtier au travers de sa façade océanique. Elle est bénéfique et synonyme d’un accroissement du patrimoine territorial national. En réel, la marge continentale immergée y afférant ne peut être étendue à l’infini car elle a une largeur maximale de 648 kilomètres comptée depuis la ligne de base du littoral.
Et s’il s’avère que la zone étendue est pétrolifère, l’extension induit d’office une hausse du potentiel énergétique national.
• La Côte d’Ivoire a-t-elle initié une demande d’extension ?
La Côte d’Ivoire qui en 1984 était parmi les 10 premiers pays à signer la CNUDM a bien aussi fait valoir ses droits en haute mer. En février 2020, elle a en effet obtenu l’avis favorable de la Commission des Limites du Plateau Continental (CLPC) suite à sa demande introduite 4 ans plus tôt.
Ce succès marque qu’elle s’est quasiment élargie d’un million et demi d’hectares sous-maritimes supplémentaires tout en s’octroyant les droits à explorer et exploiter cette extension de son plateau continental réalisée en eaux internationales.
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