L’indiscipline de ces jeunes n’est que le sommet de l’iceberg d’une crise socio-éducative plus large, faisant suite à plusieurs années de crise politique qui a sapé les fondamentaux de la morale publique. Il faut certes faire baisser la fièvre. Mais elle est toujours le symptôme d’une maladie et il ne faut pas le confondre à la maladie elle-même. Les actions spectaculaires pourraient certes flatter l’orgueil collectif, mais malheureusement éluder dans le même temps la responsabilité collective dans cette affaire.
La thérapie militaire de redressement peut paraître séduisante surtout qu’on a une fascination pour cette approche en Côte d’Ivoire. Autant que je me souvienne elle a été utilisée par Houphouet Boigny en 1984 pour « redresser » les étudiants et professeurs accusés de fomenter une grève et un soulèvement contre le régime à l’université. Tout petit au camp d’Akouedo je voyais ces jeunes que les militaires faisaient courir tous les matins au rythme des chants. Cette pratique s’est popularisée sous le général Guei qui a lui aussi envoyé les éléphants en caserne. Et ça été encore fortement applaudi. C’est donc un registre classique des dirigeants qui frise à une technique populiste pouvant accroître leur capital sympathie face à une indignation collective.
Mais cette approche militarisée est-elle vraiment efficace face à la nature du problème ?
À mon avis elle ne fait que faire tomber la fièvre. Pour qu’elle soit efficace il faut la faire suivre d’actions curatives appropriées au contexte historique et sociologique qui est le nôtre actuellement. Autrement dit il ne s’agit pas seulement de sanctionner l’indiscipline et s’arrêter là. Il faut aller plus loin en articulant cette première étape avec une stratégie globale plus réfléchie à même de traiter le mal à sa source.
Pour cela je suggère selon ma compréhension du problème 03 axes:
1. Responsabiliser ces jeunes dans l’environnement immédiat de l’école. Cela passe par redonner aux activités socio-éducatives toute leur importance comme par le passé : sport, activités socio-culturelles, etc. Jugées dispendieuses, ces activités ont progressivement été réduites et parfois ont disparu des politiques publiques de l’éducation sous le dictat des fameuses Politiques d’Ajustement Structurel. Pourtant elles sont plus qu’utiles pour à la fois canaliser le trop plein d’énergie des adolescents et surtout leur permettre de se valoriser sainement. D’autre part la responsabilisation suppose de changer notre regard et notre narratif sur ces jeunes en les considérant comme des personnes à part entière, capables de jugement et en conséquence leur donner la parole sur les sujets de gestion de l’école. Ne plus les considérer comme de simples figurants ne pouvant pas avoir des opinions dans les conseils où comités de gouvernance des établissements. Leurs avis doivent compter. On ne peut plus éduquer les enfants d’aujourd’hui en ayant recours à des modèles d’éducation d’une autre époque. Nos enfants ne sont plus ce qu’était notre enfance à nous. Les sources d’informations ce sont multipliées avec pour conséquence un éclatement des modèles d’identification qui tendent à se substituer aux figures classiques du père et de la mère, du prête ou de l’Imâm, du prof et de l’éducateur à l’école, etc. N’avons nous pas compris que DJ Arafat était un modèle pour eux? Dans un tel contexte en mutation rapide, le paradigme éducationnel doit s’adapter. La pédagogie de la responsabilisation des enfants doit primer plutôt que celle de l’imposition de l’autorité par la force. Une gestion plus inclusive de l’espace scolaire intégrant apprenants, profs et administratifs donnera plus de maturité aux élèves et les préparera plus efficacement à la gestion et au respect de la chose publique.
2. Rebâtir le sens de l’utilité de l’école. L’État doit créer de véritables opportunités d’insertion économique pour sa jeunesse à sa sortie d’école. Actuellement l’école ne fait plus rêver beaucoup de nos jeunes. Elle n’est plus considérée comme un parcours initiatique et sacré conduisant au succès. Elle semble devenue un espace de passe-temps sans but réel. Les grands frères qui ont des diplômes et qui chôment il y en a à profusion. Ce n’est pas le collectif des docteurs non recrutés qui me contredira! A quoi donc sert notre formation dans le contexte actuel si elle est inopérante en termes d’insertion socio-économique?
3. Replacer les valeurs mérite, justice, respect des autres au cœur de nos actes quotidiens.
Il y a bien une responsabilité collective de notre société qui a fait des violents, des corrompus et des tricheurs des modèles sociaux. On ne le condamne pas suffisamment. D’ailleurs on les adule parfois. Nous adultes n’avons plus de crédit moral pour imposer des comportements plus respectueux de l’ordre et valeurs sociales. Trop de contradiction entre nos paroles moralisantes et nos agirs au quotidien : prêt à corrompre pour avoir un privilège, indiscipline sur les routes, indignations à géométrie variable selon notre posture politique, etc. C’est à nous adultes maintenant de prendre nos responsabilités dans l’affaire en étant des exemples vivants de ce que nous souhaitons que nos enfants soient.
Redresser ces jeunes, selon le narratif militaire, paraît satisfaire beaucoup de nos concitoyens. Mais faisons attention ! Si non cette thérapie de choc n’est pas accompagnée de réelles actions structurantes pensées de manière hollistique, ces jeunes deviendront dans quelques années notre pire cauchemar. La revanche sera plus violente que celle des « zinzin/bayéfouê » et des « microbes »!
Fahiraman Rodrigue Koné
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