Emmanuel Macron a annulé le déplacement qu’il devait effectuer au Mali le lundi 20 décembre 2021. Selon un communiqué de l’Élysée, la raison de cette annulation est “la situation sanitaire en France devenue plus complexe que ce que nous pensions”. Une explication peu convaincante car la vérité, ce qui ne sera jamais dit par la France, c’est que Macron n’a pas du tout aimé le triple message du colonel Assimi Goïta : 1) le président français sera accueilli à l’aéroport non par le chef de l’État malien mais par Choguel Kokalla Maïga, le Premier ministre qui, dans un entretien avec l’agence de presse russe “Sputnik”, le 8 octobre 2021, accusait Paris d’avoir offert l’enclave de Kidal à un mouvement terroriste qui a prêté allégeance à Al-Qaïda et d’avoir participé à la déstabilisation du pays ; 2) Goïta s’entretiendra avec Macron et non avec Macron accompagné des larbins de la CÉDÉAO ; 3) le groupe de sécurité russe Wagner et la durée de la Transition ne seront pas au centre des discussions qu’auront les deux hommes. Pourquoi ? Parce que, pour Assimi, non seulement le premier sujet relève de la souveraineté nationale et du secret défense mais seul le peuple malien est habilité à trancher la question de la durée de la Transition au terme des assisses nationales en cours.
Voici un président africain qui se souvient que c’est un ministre, voire un obscur fonctionnaire du Quai d’Orsay, qui est souvent dépêché à Orly ou à Roissy Charles de Gaulle lorsque les chefs d’État africains sont en visite en France. Voici un dirigeant qui fait enfin ce que d’autres auraient dû faire depuis longtemps : traiter la France chez nous comme elle nous traite chez elle. Voici un homme qui dit, aux Africains comme aux Français, que les choses doivent changer dans les relations entre la France et ses ex-colonies. Voici un homme qui ne fait pas partie du club des larbins. Le larbin n’est pas capable de dire niet à ceux qui se croient tout-puissants et nous avons malheureusement de nombreux larbins parmi les prétendues élites intellectuelles, politiques et religieuses africaines. “Les grands arrêteront de dominer quand les petits arrêteront de ramper”, disait à juste titre le poète et écrivain allemand Friedrich Von Schiller (1759-1805). Le larbin aime ramper, il a horreur de tout débat qui ose remettre en cause les privilèges des riches et des “puissants”. Il est obligé de regarder à droite et à gauche avant de se prononcer sur la politique de Macron en Afrique. Sa parole, quand il lui arrive d’en avoir une, est celle d’un homme apeuré et tremlotant. Parce qu’il ne supporte pas l’idée que le visa français puisse lui être refusé, il aura tendance à justifier tout ce que fait la France en Afrique et contre l’Afrique. Il préfère être avec les rois qui affament et tuent plutôt qu’avec les peuples qui souffrent et meurent en silence. Il peine à réaliser que “la liberté n’est pas vraie quand la vérité n’est pas libre” (Jacques Prévert). Il lui suffit de se gargariser de titres ronflants mais creux comme “Docteur, Professeur, Maître, Monseigneur, Révérend ou Honorable”. Peu lui importe de savoir que “l’intellectuel n’est rien s’il ne vit pas entièrement dévoué à la cause de son peuple, s’il n’est pas une part de ce peuple, une part embrasée mais une part sans privilège, sans honneur particulier” (Jean-Marie Adiaffi dans ‘La carte d’identité’, Paris, Hatier, 1980).
L’Afrique doit cesser de produire des larbins prompts à voler au secours d’un pays qui chaque jour perd du terrain et de l’influence à cause de sa mauvaise politique, prompts à considérer les Africains comme les seuls responsables de leurs échecs et impasses. Il est nécessaire et urgent qu’émergent plusieurs Assimi Goïta et Choguel Maïga, c’est-à-dire des hommes et femmes capables de privilégier et de défendre les intérêts des peuples africains, capables de ne baisser ni la tête ni les yeux devant qui que ce soit, capables d’ignorer les ridicules mises en garde de ceux qui en six décennies ne nous ont apporté que misère, désolation et mort prématurée. Les éternels donneurs de leçons accusent la Russie de s’acoquiner avec des gens peu recommandables alors que Bob Denard et Paul Barril étaient leurs agents et qu’ils accompagnaient les criminels et buveurs de sang en Côte d’Ivoire et en Centafrique. Comment peuvent-ils prêcher la vertu alors qu’ils sont comptables de 5 siècles d’esclavage et d’une colonisation qui, aux dires de Césaire, ne fut pas civilisation mais barbarie, exploitation et chosification du Noir ? Pensent-ils que l’actuelle jeunesse africaine acceptera d’eux ce qu’eux-mêmes n’ont pas accepté d’Adolf Hitler ? Cette jeunesse sait que les Russes et les Chinois n’ont monté aucune rébellion en Afrique pour déstabiliser un pays pour leurs intérêts, ni renversé un président africain qui ne leur plaisait pas. Elle n’ignore pas qui est coutumier de ces pratiques inhumaines et antidémocratiques, ni qui a toujours soutenu les dictateurs qui lui permettent de piller nos matières premières et de s’enrichir sur notre dos.
Sincèrement, j’ai apprécié et salué le courage et la dignité du colonel Goïta. Son refus de se rendre à l’aéroport international Modibo Keïta pour accueillir Macron et de discuter avec lui de sujets qui ne concernent que les Maliens n’est pas sans rappeler le discours prononcé le 20 janvier 1961 par le premier président du Mali devant les diplomates accrédités à Bamako. En voici un extrait : “À l’heure qu’il est, l’ambassade de France en République du Mali est informée par mes soins de la décision de mon parti et de mon gouvernement de voir la France évacuer les bases militaires de Bamako, de Kati, de Gao, et de Tessalit, qu’elle occupait du fait des accords franco-maliens, signés à Paris le 22 juin 1960, entre elle et la fédération du Mali et qui deviennent caducs après les évènements du 19 au 20 août 1960 et l’acte de reconnaissance par la France du gouvernement du Sénégal, acte qui consacre la dissolution de la fédération du Mali. La République du Mali a affirmé sa volonté de coopérer avec la France sur la base de la non-ingérence dans nos affaires intérieures et du respect de notre souveraineté. La décision de mon parti et de mon gouvernement ne met nullement en cause cette volonté. Elle est l’expression de notre conviction qu’à moins d’abandon volontaire de souveraineté de la part d’un État jeune ou d’accords particuliers dans le domaine de la défense, les troupes de l’ex-puissance coloniale ne peuvent stationner sur le territoire de l’ex-colonie aux côtés des troupes du jeune État. D’autre part, le peuple du Mali, l’Union soudanaise RDA et le gouvernement de mon pays ont toujours affirmé leur option en faveur de la politique de non-alignement sur l’un ou l’autre des deux blocs. Cette attitude est en contradiction avec la présence, sur son territoire, des troupes d’une puissance étrangère et à laquelle ne le lie aucun accord… Je prie vos Excellences d’informer vos gouvernements respectifs et d’attirer leur attention sur notre ferme décision de l’évacuation rapide des troupes stationnées en République du Mali.”
Il faudra attendre le 23 juillet 1995 pour voir semblable affirmation de dignité. Ce jour-là, Jacques Chirac, fraîchement élu, arrive à Dakar après avoir séjourné à Rabat, Yamoussoukro et Libreville. Il avait souhaité que les présidents des pays limitrophes le rejoignent dans la capitale sénégalaise. Seuls le Mauritanien Maaouya Ould Taya et le Guinéen Lansana Conté feront le voyage. Alpha Oumar Konaré restera, lui, à Bamako pour exprimer son désaccord avec la convocation du “maître à ses élèves”. La foudre tomba-t-elle sur lui ? Non ! Chirac comprit-il que tous les Africains ne sont ni des béni-oui-oui, ni des adeptes de l’aplaventrisme ? Je n’en suis pas sûr car, si les mauvaises habitudes avaient disparu, la classe politique française n’aurait pas continué à afficher arrogance et mépris.
Jean-Claude DJEREKE
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