Nady, l’autre madame Gbagbo

Par Benjamin Roger – envoyé spécial à Abidjan – Jeune-Afrique

Longtemps reléguée au second plan, Nady Bamba est désormais la seule femme avec laquelle Laurent Gbagbo partage sa vie. Discrète, l’ancienne journaliste joue un rôle clé auprès de l’exchef de l’État ivoirien à Abidjan.

Encore une fois, elle lui a servi de pilier. De guide. Ce
17 juin, dans la cohue de l’aéroport d’Abidjan, c’est à
son bras que Laurent Gbagbo s’accroche pour se
frayer un chemin à sa sortie de l’avion. Autour du
couple, un joyeux bazar se forme. Tous veulent
apercevoir l’ancien président, de retour au pays
après dix ans d’absence. Dans sa robe blanche,
Nady Bamba sait que le moment est historique.
Comme d’habitude, elle est là, aux côtés de l’ex-chef
de l’État ivoirien. Discrète, mais indispensable.
Soudain s’approche Simone Gbagbo. L’ancienne
première dame n’a plus revu son ex-mari depuis dix
ans. En guise de retrouvailles, il l’éconduit d’un geste
dédaigneux de la main. Le tout en direct sur les
réseaux sociaux et les chaînes de télévision. L’a!ront
fait rapidement la une des médias. Le retour du
héros vire à la telenovela.

À peine rentré, Gbagbo, toujours au bras de Nady
Bamba, se rend à la cathédrale Saint-Paul d’Abidjan
pour assister à la messe dominicale. Une nouvelle
rupture symbolique avec Simone Gbagbo et son
prosélytisme évangélique. Le lendemain, les avocats
de l’ancien chef de l’État di!usent un communiqué
lapidaire. Cette fois, la rupture est administrative :
l’ancien chef de l’État a saisi un juge aux a!aires
matrimoniales pour demander le divorce. La femme
avec laquelle il veut « nir sa vie, ce n’est pas Simone,
mais Nady Bamba, et depuis longtemps.

Une ambitieuse

Pourtant, quand cette jeune journaliste a
commencé à émerger dans l’entourage de son
mari, à la « n des années 1990, la « dame de fer »
ne s’est pas spécialement mé »ée. Diplômée de
l’École française des attachés de presse (EFAP),
« Nady », comme l’appellent ses proches, débute en
tant que correspondante de la radio Africa N°1 à
Abidjan. Elle couvre alors l’actualité politique,
bouillonnante, marquée par les manifestations du
Front républicain contre le régime de Bédié. « Elle
faisait beaucoup de terrain. C’était une ambitieuse,
qui en voulait. Elle était aussi bonne camarade en
reportage », se rappelle une ex-consœur.

Musulmane originaire de Touba, dans le NordOuest, elle est alors identi »ée par certains, en ces
temps troublés de l’ivoirité, comme une proche du
Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane
Ouattara. C’est pourtant de l’autre « gure de
l’opposition, Laurent Gbagbo, qu’elle va se
rapprocher. Entre l’homme politique et la reporter,
les relations sont d’abord professionnelles. Puis elles
deviennent plus personnelles, sans que quiconque
sache vraiment à partir de quand exactement.
Quand le fondateur du Front populaire ivoirien (FPI)
accède à la présidence, en octobre 2000, aucun de
ses proches n’ignore sa relation extraconjugale.
« Gbagbo était réputé volage. Pendant un moment,
Simone Gbagbo a donc pensé que cette liaison
serait passagère, que Nady n’était qu’une maîtresse
de plus », explique une source qui a bien connu le
couple.

Oui mais voilà : contrairement aux attentes, la
relation dure. S’intensi »e, même. À tel point qu’un
mariage traditionnel est célébré et qu’un « ls, David
Raïs, naît en 2002 de leur union. Plutôt calme
jusqu’à présent, Simone Gbagbo commence à
bouillir. Un jour, en raison d’une bévue protocolaire
liée à une remise de voitures, l’épouse à l’honneur
bafoué déboule, furieuse, dans les appartements
privés du palais et jette, sous l’œil aussi terri »é que
médusé du personnel, les a!aires personnelles de
sa rivale.

Pendant tout le mandat, les deux femmes
cohabitent tant bien que mal. En tant que première
dame, Simone Gbagbo occupe la résidence
présidentielle, à Cocody-Ambassades. Elle participe
aussi à diverses activités o#cielles au côté de son
mari, ainsi qu’à quelques déplacements à l’étranger.
Pour Nady Bamba, qu’elle considère comme une
usurpatrice, elle n’a que dédain et mépris.

L’épouse traditionnelle, elle, vit dans une villa de
Cocody où le président la retrouve souvent. “ »Elle
était très amère contre Simone. Elle avait du mal à
supporter sa position de maîtresse cachée », assure
une source qui la fréquentait à l’époque. Malgré
tout, Nady Bamba veille à ne pas faire de vagues. Ni
à trop s’exposer, même si sa relation avec Gbagbo
est désormais un secret de polichinelle. « Elle ne
voulait surtout pas gêner le président. Elle restait
donc dans l’ombre. Ce qui ne veut pas dire qu’elle
n’avait pas un rôle important », indique un exconfrère.

Soro et le RDR

Car sous ses airs réservés, qu’elle cache parfois sous
un voile, la seconde épouse joue sa propre partition.
Depuis la tentative de coup d’État contre Gbagbo, en
septembre 2002, la Côte d’Ivoire a sombré dans la
crise. Elle est surtout scindée en deux : le Nord est
sous le contrôle des rebelles des Forces nouvelles.
Propulsée à la tête du groupe Cyclone, actif dans la
communication, la publicité et l’événementiel, Nady
Bamba lance en avril 2003 un quotidien, Le Temps,
toujours en kiosques aujourd’hui. « Elle voulait
peser et avoir son propre instrument politique,
con »e l’un de ses anciens collaborateurs. Elle voulait
aussi être utile à la cause de Gbagbo, en participant
à sa manière à la guerre idéologique des
Patriotes. »

Après l’accord de Ouagadougou, en 2007,
Guillaume Soro, le chef des rebelles, devient
Premier ministre.« Gbagbo voulait préserver la
transition. Il s’est alors appuyé sur Nady Bamba, qui
était plutôt bien perçue par tous, pour $uidi »er les
relations avec Soro et les opposants, raconte un
ancien soroïste. Elle était un peu son missi dominici.
Elle faisait passer ses messages, mais elle défendait
aussi crânement ses intérêts. »

Elle s’emploie ainsi à dénouer plusieurs crises pour
le compte de son mari : tensions autour de la
Commission électorale indépendante (CEI) en 2008,
processus de désarmement en 2009, préparation
du processus électoral en 2010… Selon ses
détracteurs, son in$uence lui permet aussi de faire
fructi »er ses a!aires et celles de sa famille.
Beaucoup voient ainsi sa main dans la nomination
de son beau-frère, Kassoum Fadiga, à la tête de la
puissante Petroci.
En parallèle, Nady Bamba s’engage aussi chez elle,
dans le Nord-Ouest, zone alors acquise à la
rébellion, pour essayer de mobiliser les notables
locaux derrière le président. « Elle était sur le
terrain. Elle a subi des menaces mais elle a continué
à plaider sa cause », souligne une « gure du FPI. Et
quand Laurent Gbagbo y organise ses très
symboliques visites d’État, avant les élections de
2010, Nady Bamba n’apparaît pas sur la scène mais
elle est bien présente en coulisses.
Accusée d’être « Nordiste »
Quand le bras de fer entre Gbagbo et Ouattara
plonge le pays dans la guerre, « n 2010, elle
continue un temps à discuter avec ses adversaires.
Jusqu’à la mi-décembre, elle rencontre des proches
de Soro et Ouattara, qui essaient de la convaincre
que son mari a perdu et qu’une porte de sortie est
toujours négociable. « Elle était comme en état de
choc. Elle écoutait et demandait des preuves, mais
sans qu’on parvienne à la faire changer d’avis », se
remémore l’un de ses interlocuteurs d’alors.
En février, le con$it s’intensi »e à Abidjan. Les pillards
passent à l’action. Nady Bamba décide de quitter le
pays avec son « ls. Elle prend l’un des derniers vols
commerciaux qui desservent encore le pays.
Direction le Bénin. Le 11 avril, Laurent Gbagbo est
arrêté avec Simone dans la résidence présidentielle
par les hommes de Ouattara. Hagard et en Marcel,
insulté par des soudards, le tout sous l’œil de
journalistes qui n’en perdent pas une miette :
l’humiliation est profonde pour le « Woody de
Mama ».


Gbagbo déchu, certains proches de Simone Gbagbo,
partisane d’une ligne dure durant la crise postélectorale, n’hésitent pas à mettre la défaite sur le
dos de la « Nordiste » Nady Bamba. « L’entourage
évangélique de Simone a toujours vécu sa
répudiation comme une trahison, assure l’un de ses
intimes. Ils ont fait circuler la rumeur que Nady et
son entourage étaient des Nordistes in »ltrés qui
auraient intoxiqué Gbagbo et l’auraient conduit à sa
perte. »

En réalité, il n’en est rien. Nady Bamba, bien moins
va-t-en-guerre que l’ancienne première dame, a
toujours été d’une loyauté sans faille envers son
mari. Depuis le Bénin, elle se rend au Ghana, où elle
retrouve des lieutenants de Gbagbo qui s’y sont
exilés après son arrestation. « Elle considérait tout
ça comme une injustice », se rappelle l’un d’entre
eux.

Durant cette période délicate, durant laquelle ses
comptes sont bloqués, elle vit aussi un drame
personnel avec le décès de son père, qu’elle ne
pourra enterrer dignement en Côte d’Ivoire. Elle
s’envole « nalement avec son « ls pour Paris, où elle
emménage temporairement chez sa sœur aînée.
Après huit mois en détention à Korhogo, Laurent
Gbagbo, lui, est transféré à la prison de
Scheveningen, à La Haye, pour être jugé par la Cour
pénale internationale (CPI). Nady Bamba s’installe
alors à Bruxelles, où elle démarre sa nouvelle vie
d’épouse de détenu VIP tout en continuant à élever
son indéfectible soutien.

Plusieurs fois par semaine, elle fait le trajet
Bruxelles-La Haye en voiture – soit environ six
heures aller-retour – pour rendre visite à son époux.
« C’est elle qui gérait tout : son planning de visites,
ses correspondances, ses besoins matériels… C’était
son point d’équilibre, son petit accès au monde
extérieur », précise un membre du premier cercle
de Gbagbo. Dans ses démarches auprès de la CPI,
elle est épaulée par Me Habiba Touré, l’avocate de
l’ancien président, dont elle se rapproche au « l de
ces années de détention. Pour plusieurs sources
proches de Gbagbo, aucun doute : c’est avant tout
« par amour » que Nady Bamba a fait tout ça pour
lui.

Toujours à ses côtés dans l’épreuve, elle devient
surtout son premier soutien moral et psychologique
en prison. « Sans elle, cela aurait sûrement été une
catastrophe. Je ne sais pas comment nous l’aurions
retrouvé à sa sortie, estime l’un de ses intimes. S’il
en est là aujourd’hui, c’est en grande partie grâce à
elle. » De fait, Laurent Gbagbo lui en est très
reconnaissant. Fin juin, de retour dans son village
natal de Mama, il a publiquement salué et remercié
« sa petite femme Nady » pour le rôle primordial
qu’elle a joué lorsqu’il était incarcéré à La Haye.
« Elle est bien plus jeune que lui. Il pensait qu’elle
pouvait refaire sa vie avec un autre. Mais elle est
restée avec lui et l’a soutenu. Sa « délité l’a
beaucoup marqué et a renforcé l’amour qu’il lui
porte », assure un pro-Gbagbo.
En février 2019, le couple obtient une première
victoire avec la remise en liberté conditionnelle de
l’ancien président. Gbagbo rejoint Nady Bamba chez
elle, dans son pavillon bruxellois. Le couple y mène,
selon l’expression d’un membre du clan, une « vie
pantou$arde », à l’abri des regards. Repos, lecture,
télévision. Les sorties sont rares. Quelques balades,
des rendez-vous médicaux. Mais aussi des repas à
l’Auberge des chasseurs, quand des visiteurs, triés
sur le volet, sont de passage.

En terre wallonne, Gbagbo peau »ne également sa
défense avec ses avocats. Le 31 mars 2021, le voici
convoqué à la CPI. Ce jour-là, dans un tribunal
désert pour cause de pandémie, il arrive – encore –
au bras de sa seconde épouse. Sa démarche est
fragile mais son visage serein. Et pour cause : deux
heures plus tard, il voit sa libération dé »nitivement
con »rmée. Plus rien ne s’oppose à son retour en
Côte d’Ivoire, dix ans après en avoir été ex »ltré.
Une fois à Abidjan, le couple emménage dans la
villa de Nady Bamba, à Angré-7e-Tranche – en
attendant que l’État mette à sa disposition une
éventuelle résidence. Sur les bords de la lagune
Ébrié, les parents de David Raïs, resté en Belgique
pour ses études, ne font pas de folies particulières.
La même vie calme qu’à Bruxelles. Fidèle à sa
réputation, l’épouse de Laurent Gbagbo ne se
montre guère. À part pour quelques occasions,
comme le week-end très médiatique qu’elle passe
avec son mari chez le couple Bédié, à Daoukro,
censé incarner l’alliance entre les deux anciens
présidents. Ou plus récemment au domicile
abidjanais du « Sphinx », pour lui présenter ses
condoléances après le décès de son frère.
L’anti-thèse de Simone.

Maintenant que son époux est de retour dans
l’arène politique, à la tête de son nouveau parti, le
Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI),
l’ancienne journaliste a-t-elle repris son rôle de
conseillère de l’ombre ? « Elle ne l’a jamais vraiment
quitté. Elle est discrète, mais pas e!acée », indique
une source qui les fréquente. Quand on cherche à
joindre Gbagbo, c’est parfois elle qui décroche.
Toujours courtoise, ce qui ne l’empêche pas de « ltrer
certains appels.

Les lieutenants de l’ex-chef de l’État, eux, n’ignorent rien de la place particulière qu’elle occupe. Certains,
restés liés à Simone Gbagbo, n’y font pas spécialement attention – à part Stéphane Kipréqui,
bien que gendre des Gbagbo, nourrit de bonnes relations avec elle. D’autres cherchent à obtenir ses
bonnes grâces, voire peuvent la remercier pour leur nomination au sein du PPA-CI. Tous, en tout cas, se montrent plutôt prudents avec elle. « Connaissezvous une épouse qui ne donne pas son avis à son mari ? Cela n’existe pas. Elle ne fait pas exception. Elle a l’in$uence qu’une femme peut avoir sur son mari. Rien de plus, rien de moins », assure un cadre du parti.

Pour beaucoup, Nady Bamba est une antithèse de
Simone Gbagbo. L’une est réservée et se contente de
son rôle en coulisses. L’autre est exubérante,
militante dans l’âme et s’est imposée comme une
femme politique de premier plan. Di!érence de
ligne, aussi. La première est pondérée, ouverte à la
discussion et favorable au consensus tandis que la
seconde est clivante et radicale.
Quand elle était à Bruxelles, Nady Bamba était par
exemple en contact avec plusieurs proches
d’Alassane Ouattara, tel Hamed Bakayoko, le
Premier ministre défunt, qu’elle connaissait de
longue date, ou encore Adama Bictogo, le directeur
exécutif du parti présidentiel. « Gbagbo est un
combattant, parfois arc-bouté sur ses positions.
Nady le raisonne. Elle le pousse à avoir des postures
plus apaisées et à faire baisser les tensions »,
analyse l’une de nos sources. Elle ne serait ainsi pas
totalement étrangère à la démarche de
réconciliation nationale dans laquelle s’inscrit
désormais Gbagbo. Avant ses retrouvailles avec
Alassane Ouattara, au palais, en juillet, Nady
Bamba avait bu un café avec Dominique Ouattara
pour préparer la rencontre entre leurs deux maris.
Comme souvent : invisible mais décisive.

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