L’arrogant peut se définir comme “celui qui s’attribue spontanément la supériorité, ne pensant pas même qu’elle puisse lui être contestée, tant il est sûr de lui-même et de son droit”. Le Dr Félix-André Poujoul poursuit : “Il veut en outre que les autres reconnaissent hautement ce qui lui paraît si évident et, de là, ses prétentions à leurs hommages. Aussi le reconnaît-on facilement à ses manières hautaines, à ses prétentions hardies, à sa fierté, à son orgueil, à sa présomption, à sa morgue car il réunit le plus souvent quelques-uns de ces vices et quelquefois tous”. Pourquoi l’arrogance est-elle détestable ? Parce qu’elle “excite plus d’irritation que la hauteur [qui] se renferme souvent dans le silence ou ne s’exprime que par le regard [alors que l’arrogance] demande de la soumission ; il faut qu’on se découvre et qu’on plie le genou devant elle” (cf. ‘Dictionnaire des facultés intellectuelles et affectives de l’âme’, Paris, J. P. Migne éditeur, 1857). Le philosophe Michaël Fœssel n’est pas d’un avis contraire quand il écrit : “L’arrogance, c’est le vice de celui qui croit que les autres ne sont rien”.
Fin septembre 2003, deux journalistes français, Romain Gubert et Emmanuel Saint-Martin, faisaient paraître un ouvrage fort documenté sur “l’arrogance française”. Selon eux, cette arrogance, que l’on observe surtout chez les élites intellectuelles et politiques coulées bien souvent dans le même moule, consiste à croire que la France a pour mission de “civiliser” et de “sauver” les peuples plongés, selon elle, dans l’obscurité et dans la barbarie en leur offrant la Démocratie, le Droit et la Liberté. Après avoir présenté le comportement des élites françaises, les auteurs préconisent que leur pays devienne plus humble, c’est-à-dire qu’il apprenne à apprendre des autres pays, à les écouter et à respecter aussi bien leur vision du monde que leurs choix au lieu de leur dire ce qu’il faut faire ou ne pas faire. La leçon fut-elle comprise et apprise par ceux qui dirigent la France ? Il semble que non au regard des propos tenus par les présidents français entre 2003 et 2021. Nous nous appuierons sur quelques événements pour en faire la démonstration.
Le 6 novembre 2004, l’armée française tire à balles réelles sur des jeunes protestant pacifiquement devant l’Hôtel Ivoire de Cocody contre la destruction au sol des aéronefs militaires ivoiriens à Yamoussoukro et à Abidjan par l’armée française après le bombardement du camp militaire français de Bouaké. On dénombre une soixantaine de morts et des centaines de blessés. Un pays sérieux et désireux de connaître la vérité sur cette fusillade que rien ne justifiait et dont l’armée française se serait passée sur le sol français aurait exigé immédiatement une enquête. Le lendemain de la fusillade, non seulement Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre de Jacques Chirac, opposa une fin de non-recevoir à la demande d’enquête du président Gbagbo mais il déclara : “On ne tue pas des soldats français sans que la riposte soit immédiate. (…) On ne tue pas des soldats français impunément.” On eût aimé que les parents de Raffarin disent la même chose aux Nazis qui avaient occupé et humilié son pays pendant la Seconde Guerre mondiale.
Nicolas Sarkozy, pour qui “l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire” (cf. son discours du 26 juillet 2007 à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar), participe à la rencontre du conseil européen de Bruxelles du 17 décembre 2010. Dans une conférence de presse, il affirme que Laurent Gbagbo a soixante-douze heures pour quitter le pouvoir. 4 ans plus tard, il avouera avoir sorti Gbagbo et installé Ouattara (cf. Nathalie Schuck et Frédéric Gerschel, ‘Ça reste entre nous, hein ? Deux ans de confidences de Nicolas Sarkozy’, Paris, Flammarion, 2014).
Le candidat Emmanuel Macron surprit agréablement nombre d’Africains en qualifiant la colonisation de “crime contre l’humanité et de vraie barbarie”. Quand il arriva au pouvoir en 2017, beaucoup pensaient que son jeune âge (il est né en 1977) lui permettrait d’avoir un comportement différent de celui des Chirac et Sarkozy. Mais c’était oublier que l’arrogance est inscrite dans l’ADN de la classe politique française et qu’on a beau chasser le naturel, il revient au galop. Les premiers à l’avoir appris à leurs dépens sont les Algériens. C’était le 30 septembre 2021 au cours d’une rencontre à l’Élysée avec un groupe de descendants d’acteurs du conflit algérien lorsque Macron parla du régime algérien comme d’un “système politico-militaire qui s’est construit sur la rente mémorielle qui dit : tout le problème, c’est la France”, ce qui évidemment provoqua l’ire du gouvernement algérien.
Le même jour, en réponse à Choguel Maïga qui avait accusé la France d’avoir “abandonné le Mali en plein vol”, le président français avait dit : “C’est une honte. Et ça déshonore ce qui n’est même pas un gouvernement. Je rappelle que le Premier ministre malien est l’enfant de deux coups d’État, si je puis dire. Puisqu’il y a eu un coup d’État en août 2020 et un coup d’État dans le coup d’État. Donc, la légitimité du gouvernement actuel est démocratiquement nulle.” Le président français avait-il réagi de la sorte parce que le chef du gouvernement malien avait appuyé là où ça fait mal ?
On trouverait d’autres exemples pour illustrer l’arrogance française. Mais il nous faut conclure cette réflexion. Et nous aimerions le faire en posant deux questions. Nous montrerons ensuite comment les Africains devraient se comporter face aux arrogants. Voici les questions : Peut-on donner des leçons de démocratie et de respect des droits humains quand soi-même on a des liens étroits avec le Qatar et l’Arabie Saoudite qui financeraient le terrorisme au Sahel, quand on a des atomes crochus avec la sanguinaire junte militaire égyptienne dirigée par Abdel Fattah al-Sisi, quand on a justifié le coup d’État au Tchad et le 3e mandat anticonstitutionnel en Côte d’Ivoire, quand on a soutenu pendant 30 ou 40 ans des satrapes violents et incompétents ? Choguel Kokalla Maïga aurait-il été autorisé à prendre la parole devant la 76e Assemblée générale des Nations Unies (21-27 septembre 2021) s’il était un hors-la-loi ?
S’agissant de comment l’Afrique devrait réagir à l’arrogance française, nous ne voyons pas de meilleure attitude que celle des autorités centrafricaines et maliennes qui, malgré les cris d’orfraie et menaces à peine voilées de Jean-Yves Le Drian et Florence Parly, avancent progressivement sur le difficile chemin de la liberté et de la souveraineté. Bangui et Bamako, qui ont décidé de s’assumer plutôt que de compter indéfiniment sur un faux ami, nous font ainsi comprendre qu’arrive un moment où des hommes et des femmes réalisent que la détermination dans la lutte est la seule façon de montrer qu’il n’existe pas de peuple inférieur à un autre peuple. Quant à la France, il est trop tôt pour savoir si les expériences centrafricaine et malienne la conduiront à prendre conscience que l’arrogance a des limites et qu’elle finit par perdre ceux qui en abusent.
Jean-Claude DJEREKE
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