Jean-Baptiste PANY est économiste, à l’origine, puis banquier de profession, il est par ailleurs Sénateur de la République de Côte d’Ivoire, élu de la région du Gbôklè. La dette ivoirienne est devenue préoccupante, tout le monde en parle sans en être spécialiste. L’économiste et banquier JBP éclaire des lanternes dans cette contribution qui sera publiée en 3 actes. ACTE-1.
Analyse de la dette souveraine de la Côte d’Ivoire (projetée à FCFA 21 529 Mrds en 2022 dont environ 59% de dettes extérieures contre 64% en 2020 et 63% en 2021)1
L’analyse ci-après est un point de vue qui n’a pas la prétention d’être exhaustif. Elle espère s’approprier les préoccupations inspirées des inquiétudes de nombreux citoyens ivoiriens au sujet du stock de la dette. Elle vise à donner l’opportunité d’améliorer la compréhension du budget soumis au vote du Parlement en Côte d’Ivoire et surtout à renforcer ou à modifier, si besoin en était, les certitudes qui influencent encore la conviction de certains Parlementaires concernant le budget 2022.
De quoi s’agit-il ?
La taille de la dette publique (estimée à MXOF 19 622 Mrds en 2021) alimente à Abidjan le sentiment que la prochaine crise économique en Côte d’Ivoire pourrait bien venir d’une «crise financière » sévère en cas de retournement de la situation actuelle.
La question principale c’est de savoir si le pays est à l’abri d’une « crise de la dette souveraine» ou si celle-ci est inévitable en Côte d’Ivoire, vu les agrégats économiques actuels?
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D’abord parce que les évolutions comparées du stock de la dette publique et des flux de ressources propres de l’Etat contrastent avec la sérénité affichée par tous, bailleurs de fonds et Pouvoirs publics. Ensuite parce que le produit intérieur brut (PIB) déclaré à Abidjan, bien que relativement élevé, semble être un indicateur insuffisant pour mesurer aussi bien la performance que le seuil plafond du stock de la dette publique arbitrairement fixé à 70% du PIB.
Enfin parce qu’au moment où le Côte d’Ivoire s’apprête à changer designe et dezone monétaires (FCFA v/s Eco), plus de 60 % du stock de sa dette souveraine est exposé à un risque de change considérable qui requière une visibilité économique à moyen et long terme très nette.
C’est pourquoi, avant le vote du budget 2022 de la Côte d’Ivoire il est utile de se poser quelques questions basiques que se poserait l’ivoirien lambda.
Après la tragédie grecque (2008-2010) de la crise de la dette publique, l’on n’a pas besoin d’être forcément économiste pour s’inquiéter des conséquences de la forte croissance du stock de la dette (triplé en une décennie) alors que les recettes propres de l’Etat observent une envergure et une progression plus lentes, voire insatisfaisantes.
I – Quel est l’état des lieux de la dette souveraine de la Côte d’Ivoire
Une des évidences, difficile à noyer en effet, est la faible performance de la dette, outre le risque de change très élevé qu’elle porte. Cette dernière tarde à faire produire suffisamment de richesses afin de compenser son coût et ses effets de plus en plus préoccupants. Dix (10) ans après le point d’achèvement des initiatives PPTE (pays pauvres très endettés) et IADM (initiative d’allègement de la dette multilatérale), qui avaient permis de remettre les compteurs quasiment à zéro, les espoirs des populations s’amenuisent. Le tableau ci-après montre les évolutions de la dette depuis 2011. (L’initiative PPTE a été atteint en juin 2012 après l’atteinte du point de décision en mars 2009).
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Année 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021* 2022**
Stock de la dette (Mrds FCFA) 4 908 4 680 5 257 6 439 7 915 9 023 10 045 11 607 13 300 16 802 19 622 21 529
Service de la dette(Mrds FCFA) 1 313 856 977 1 179 1 318 1 520 1 973 1 685 3 066 2 733 2 133 3 061
dont charges financières (Mrds FCFA) 218 233 215 214 298 417 416 461 570 743 803 1 016
Charges financières /Service annuel de la dette (%) 17% 27% 22% 18% 23% 27% 21% 27% 19% 27% 38% 33%
(*) Estimations _(**) Projections
Source : Extraits des rapports de la Cour des comptes, des lois de règlements et des lois de finances 2010 à 2011.
NB : Le rapport de la Cour des compte (page 26) relatif à l’exercice 2010 a indiqué des restes à payer de FCFA 1 184.6 Mrds à fin 2010 et un « encours global de la dette publique à fin décembre 2009 qui s’élèverait à 4.784,3 milliards » dont « d’une part, 3.726,3 milliards de dette extérieure et d’autre part, 1.058 milliards de dette intérieure ».
(1)Ministère du budget et du portefeuille de l’État : Cf. Document de programmation budgétaire et économique pluriannuelle 2022-2024 _ DPBEP
1 – La dette est très onéreuse dans un contexte international de taux d’intérêts très bas
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Les charges financières de la dettesont élevées (1 016 Mrds projetés en 2022) sans compter le poids du capital à rembourser. Ainsi chaque année l’annuité de la dette ampute le budget national d’une partie non négligeable (environ 30 à 40%) des relatives maigres ressources collectées par l’Etat.
2 – La qualité de certains investissements financés aggrave le besoin de nouvelles dettes
Il est observé des infrastructures, moins bien réalisées et qui font dire qu’ils sont « biodégradables », donnant le sentiment que la dette qui a permis de les financer, si elle n’est pas intelligente, pourrait être un traquenard pour l’économie ivoirienne. Les accusations ou soupçons de corruption amplifiées ces dernières semaines par les audits en cours aggravent ce sentiment.
3 – Le train de vie élevé de l’État alourdit les dépenses courantes et induit de nouvelles dettes
Le train de vie élevé de l’Etat avec en prime une administration jugée « élitiste », « pléthorique » et « budgétivore », est une des causes des dépenses courantes élevées. Malheureusement celles-ci sont financées en partie par de nouvelles dettes chaque année – d’après la structure du budget. La superposition des Institutions de la République et les nombreuses créations de postesde hauts cadresest un constat qui n’aide pas non plus à atténuer le sentiment que la dette pourrait devenir un piège. La Côte d’Ivoire s’oblige à fonctionner par exemple avec une équipe gouvernementale de 44 Ministres et assimilés, récemment alourdie par la création de 12 départements relatifs aux Ministres – Gouverneurs, portant à 14 les membres de ces « hauts commis » de l’Etat … Était-ce indispensable ?
Demain, Lire la suite (ACTE-2)
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