Dans une récente chronique, j’avais parlé de la nécessité pour nous de changer de logiciel si nous voulions sortir de notre situation de pays sous-développé cherchant à émerger. Permettez-moi de continuer de partager avec vous mes réflexions sur le sujet. A mon avis, dans le même mouvement de changement de logiciel, qui consiste surtout à inculquer le goût du travail et de l’effort à nos populations, nous devrions procéder à deux importantes réformes. Celles de l’école et de l’agriculture.
L’école, telle que nous la connaissons, nous est arrivée avec la colonisation. Son objectif premier était de faire de nous de bons agents subalternes au service des maîtres blancs. A cette époque l’idée ne traversait la tête de personne que nous pourrions un jour avoir la responsabilité de nos pays. On nous a donc plaqué l’enseignement tel qu’il était fait en France, pour nous pays colonisés par la France, étant entendu que nous ne pourrions pas dépasser un certain niveau. Au Congo dit belge d’avant l’indépendance, il n’était pas question pour un Africain d’entrer à l’université et le lycée était réservé à une petite élite. Dans un pays comme la Côte d’Ivoire l’université est venue après l’indépendance. Houphouët-Boigny avait dû payer de sa poche pour envoyer des jeunes Ivoiriens étudier en France en 1946.
Ainsi donc, pour prendre quelques exemples, au niveau des langues, nous étudions l’anglais, l’espagnol et l’Allemand, et nos enfants prennent leurs grandes vacances aux mois de juin, juillet et août. Pourquoi ? Parce que c’est le système en France. Les trois langues citées sont enseignées aux petits Français parce que ce sont les langues des pays voisins de la France. Et les mois de grandes vacances correspondent aux mois de l’été. Pendant longtemps la majorité de nos enseignants furent des Français pour qui les mois de vacances d’été étaient sacrés. L’étude de ces langues-là correspond-elle à nos besoins d’aujourd’hui ? Avons-nous besoin, nous, de prendre des vacances à la même période qu’en France ? Quand nous autres étions à l’école primaire, l’histoire que l’on nous enseignait était essentiellement celle de la France. Enseigne-t-on aujourd’hui l’histoire de notre pays ou de notre continent à nos enfants ? A mon avis, nous devrions nous asseoir et réfléchir sérieusement à l’enseignement que nous devrions donner à nos enfants, en tenant compte de nos réalités et de nos besoins. Aujourd’hui dans une grande partie de l’Afrique, nos femmes passent des heures et des heures à piler le riz, le mil, le foutou, le maïs… Nos paysans ont pour uniques outils de travail la machette et la daba. Ma conviction est que le jour où nous libèrerons nos femmes et nos paysans du pilon, de la machette et de la daba, nous ferons un grand bond en avant. Et je me demande s’il est vraiment impossible aux ingénieurs que nous formons à grands frais de trouver des machines peu coûteuses qui permettraient cette libération. Pourquoi la femme africaine doit-elle se muscler tous les jours les bras pour faire à manger à sa famille ? Pourquoi le paysan africain est-il le seul au monde à ne pas utiliser de machine ? Sans doute parce que les Africains attendent que ce soit les autres qui répondent à ces questions. Or elles ne sont plus celles des autres peuples qui ont d’autres problèmes propres à eux à résoudre. Notre école doit d’abord servir à nous aider à trouver des réponses à nos problèmes. Réfléchissons à tout cela, calmement, tranquillement.
Et dans le même élan, nous pourrions aussi réfléchir à notre agriculture. Tout comme l’école, l’agriculture que nous pratiquons n’a pas été conçue pour répondre à nos besoins, mais plutôt à ceux de ce que l’on appelait la métropole. Chaque pays colonisé a été spécialisé dans certaines cultures en fonction de son climat et de son sol, mais uniquement pour répondre aux besoins du colonisateur. C’est ainsi donc que nous consommons très peu de ce que nous produisons, tandis que nous sommes obligés d’importer pratiquement tout ce que nous consommons. Nous consommons par exemple du pain de blé, et pourtant nous ne produisons pas un seul épi de blé. Par contre nous consommons très peu de cacao, de café, d’anacarde, d’hévéa. Houphouët-Boigny disait qu’un homme qui a faim n’est pas un homme libre. On peut dire la même chose d’un pays. Un pays qui n’arrive pas à se nourrir n’est pas un pays libre. Nous n’avons aucun mot à dire sur les prix de ce que nous produisons et ce que nous consommons. Parfois, lorsque l’on veut faire tomber un régime, on s’arrange simplement à ce que le prix du pain augmente. N’oublions pas que les grands pays industriels sont avant tout des pays agricoles qui produisent d’abord ce qui leur permet de se nourrir. L’Inde et la Chine qui ont plus d’un milliard d’habitants chacun arrivent à les nourrir et à exporter même de la nourriture vers l’Afrique dont on dit pourtant qu’elle a les dernières terres arables. N’oublions pas non plus que le souci premier des pays qui consomment ce que nous produisons est de les avoir aux prix les plus bas. Et le mécanisme est tout simple. Il suffit d’augmenter l’offre. C’est ainsi que lorsque les prix du cacao avaient commencé à flamber à une certaine époque, on a incité les pays asiatiques à produire aussi du cacao, ce qui a fait chuter les prix. Et un pays comme le nôtre en a énormément souffert. Il en a été de même pour l’hévéa. Il fut un moment où dans ce pays, tout le monde chercha à faire de l’hévéa. Certains paysans détruisirent leurs plantations de cacao ou de café pour faire de l’hévéa à la place. Et lorsque leurs plantations entrèrent en production, les prix s’effondrèrent. Parce qu’il y avait trop d’offres. Et les consommateurs se frottèrent les mains. Un pays comme la Côte d’Ivoire a largement les moyens de produire de quoi nourrir toute l’Afrique de l’ouest en riz, banane ou mil, sans forcément cesser de produire du cacao ou de l’anacarde. Réfléchissons-y.
Venance Konan
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