Les Africains semblent être le seul peuple que tout le monde peut insulter, humilier, piétiner et massacrer et puis “ça ne va pas quelque part”, pour parler comme certains Ivoiriens, parce qu’ils oublient et pardonnent facilement, parce que tout ce qu’ils savent faire, c’est de débiter des idioties du genre “À Dieu la vengeance et la rétribution. Laissons-le faire notre palabre. Il faut pardonner, il faut tourner la page, etc.”
Avant de revenir sur le pardon, je voudrais faire remarquer que ceux qui invitent à tourner la page se trompent lourdement et qu’ils ont tort car celui qui demande de tourner la page sans qu’on ne sache qui a fait quoi et pourquoi, sans que le coupable n’ait été jugé et condamné, encourage implicitement le coupable à récidiver. Le 26 juillet 2007, dans une université africaine portant le nom de l’illustre savant Cheikh Anta Diop, l’inculte Nicolas Sarkozy se permit d’insulter les Africains en affirmant que ces derniers n’étaient pas assez entrés dans l’Histoire parce qu’il n’y eut jamais de représailles contre ceux qui ôtèrent la vie à 300 tirailleurs africains au camp Thiaroye, dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre 1944. Après le déraillement du train Yaoundé-Douala, déraillement où périrent 79 personnees le 21 octobre 2016, Vincent Bolloré et son groupe dédommagèrent-ils les familles des victimes et modernisèrent-ils le réseau ferroviaire ? Cette propension à passer rapidement l’éponge sur des choses gravissimes n’est rien d’autre qu’une prime à l’impunité. Sur ce point, je suis entièrement d’accord avec Alexis Gnagno lorsqu’il écrit : “En novembre 2004, les Français ont commis un crime contre l’humanité, puis nous ont demandé de tourner la page, avant de recommencer en avril 2011. Ensuite, les mêmes Français ont déporté à La Haye le président Gbagbo à qui ils avaient demandé de tourner la page du massacre de dizaines d’Ivoiriens et cela, après en avoir tué encore beaucoup d’autres en avril 2011. Notre histoire s’écrira autrement à partir du moment où nous aurons décidé de défendre notre droit à la vie.” Gnagno ajoute : “En France, on ne tourne pas facilement une page tragique sans la parcourir, sans l’interroger pour situer les responsabilités et en tirer toutes les conséquences. Sauf bien sûr s’il y a prescription du crime par une loi. Ceux qui ont été du mauvais côté de l’Histoire pendant la Deuxième Guerre mondiale, comme Paul Touvier, René Bousquet et Maurice Papon, ont été poursuivis des dizaines d’années plus tard lorsqu’ils ont été découverts. Et les Français ont fait cela pour qu’aucun crime contre l’humanité ne reste impuni, et pour que personne ne pense qu’il peut passer à travers les mailles du filet de l’Histoire après avoir commis des crimes. Ils montrent ainsi qu’ils sont attachés au droit à la vie des Français.”
Demander aux familles des 67 jeunes assassinés devant l’hôtel Ivoire d’Abidjan le 6 novembre 2004 de tourner la page équivaut, à mon avis, à accorder un permis de tuer à la France. Ce qu’il eût fallu faire, au-delà de la colère et de la révolte, c’est de traduire en justice les soldats français responsables de ce crime contre l’humanité ainsi que leurs patrons. “C’est d’ailleurs parce que nous ne sommes pas allés au-delà de la simple indignation pour ce qu’il s’est passé cette année-là que ce pays s’est permis de récidiver et de tuer encore plus d’Ivoiriens en avril 2011”, conclut Alexis Gnagno sur sa page facebook.
Si certains recommandent de tourner la page, d’autres, ceux et celles qui se revendiquent chrétiens, prêchent le pardon non seulement des offenses mais de ce que Vladimir Jankélévitch nomme “l’impardonnable”. Or Jésus, qui a parlé du pardon, ne tendit pas la joue droite quand un soldat le gifla sur la joue gauche. Au contraire, il eut cette réaction : « Si j’ai mal parlé, fais voir ce que j’ai dit de mal mais, si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » (Jean 18, 23).
Après le 6 novembre 2004, jour où l’armée française se permit de massacrer des jeunes qui manifestaient pacifiquement, nous avons rapidement reconstruit le lycée français sans rien faire pour les blessés et les familles des morts. Des Ivoiriens (Me Hamza et Alain Toussaint) voulaient porter plainte contre le gouvernement français mais Désiré Tagro, ministre de l’Intérieur de Laurent Gbagbo, les en aurait dissuadés. Ce qui fait plus mal encore, c’est que même ceux pour qui ces jeunes ont été massacrés par la France les ont déjà oubliés. Cette semaine, en effet, ni le FPI d’Affi N’Guessan, ni le PPA-CI de Laurent Gbagbo ne leur ont rendu hommage ou manifesté pour eux. C’est comme s’ils étaient morts pour rien.
La France, quant à elle, n’a pas remplacé nos avions qu’elle avait détruits et je pense qu’elle ne le fera jamais. On a laissé revenir les Français qui avaient fui le pays alors qu’il aurait fallu nationaliser leurs entreprises. L’État ivoirien poussa même la bêtise et l’indécence jusqu’à les financer avec notre petit argent pour qu’ils puissent reprendre leurs activités. Mais tout cela n’empêcha pas la « patrie des droits de l’homme et de la démocratie » de nous bombarder, de kidnapper Laurent Gbagbo en 2010-2011 et de le déporter aux Pays-Bas.
La même France a soutenu et justifié le 3è mandat anticonstitutionnel de Ouattara et Condé et nous n’avons pas été capables de boycotter ses produits et entreprises. Beaucoup d’Ivoiriens et d’Africains ne sont point gênés de continuer à utiliser orange et orange money.
Pourquoi voulons-nous nous montrer plus gentils que le Christ ? Pourquoi sommes-nous si stupides ? Espérons-nous tenir longtemps dans ce monde impitoyable si nous continuons à nous comporter de cette façon ?
Personne n’ose attaquer Israël car on ne peut l’attaquer impunément. Idem pour les Arabes. Rappelons-nous la conférence de presse de George W. Bush à Bagdad le 14 décembre 2008 quand un journaliste irakien, Mountazer al-Zaïdi, jeta ses deux chaussures sur la tête du président américain et l’insulta en criant: “C’est le baiser de l’adieu, espèce de chien ! Vous êtes responsable de la mort de milliers d’Irakiens.” Interrogé plus tard sur les projectiles lancés l’un après l’autre, il répondit qu’il ne regrettait pas son acte et qu’il regrettait uniquement de n’avoir pas eu à ce moment-là une autre paire de chaussures.
Jean-Claude DJEREKE
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