Par Florent Beroa, Genève/Financialafrik
L’enquête pour «corruption d’agents étrangers» la visant depuis 2015 en Suisse n’empêche pas la société SICPA Holding SA de poursuivre son opération de charme vers les marchés africains. Selon les informations de Financial Afrik, cette société dirigée par Philippe Amon a reçu durant une semaine, à la mi- septembre, une forte délégation ivoirienne à Casablanca, siège de sa filiale pour l’Afrique, afin de lui faire part de son expertise. Spécialisée dans le marquage sécurisé, notamment l’encre monétaire, l’entreprise fondée en 1927 s’est diversifiée dans le traçage et le contrôle des produits soumis aux droits d’accise (tabac, alcool). Elle gère actuellement une quarantaine de contrats gouvernementaux sur les cinq continents. « Lobbyistes » En Afrique, SICPA fait reposer son développement sur plusieurs personnalités françaises en tête desquelles Eric Besson. Natif du Maroc où il est installé depuis 2019, l’ex-ministre de l’Industrie de Nicolas Sarkozy s’est spécialisé dans le conseil aux entreprises. C’est à lui que l’on doit la création de SICPA Maroc. Pour démarcher les Etats du continent, il s’appuie sur plusieurs autres « lobbysites » dont Dominique Strauss-Kahn, lui aussi résidant du Royaume. Sous contrat avec plusieurs pays sur des dossiers de restructuration de dette (Togo, République du Congo…) « DSK » a ouvert, il y a quelques années, les portes du Togo à la multinationale basé à Prilly, dans le canton de Vaux. Le diplomate Gilles Huberson fait également partie de ce cercle. Militaire de formation, cet ancien directeur des affaires générales du groupe LVMH en France est surtout connu pour avoir été ambassadeur de France à Abidjan. Il fut subitement rappelé de son poste en 2020 dans le cadre d’une enquête administrative du Quai d’Orsay pour harcèlement à caractère sexiste et sexuel à partir du témoignage de cinq femmes.
Enquête pour corruption
La visite de la délégation ivoirienne intervient au moment où l’étau judiciaire se resserre sur SICPA. Depuis 2015 l’entreprise est sous le coup d’une enquête diligentée par le ministère public de la Confédération helvétique en réponse à des demandes d’entraide des Etats-Unis et du Luxembourg. Les investigations ont porté dans un premier temps sur des soupçons de corruption au Togo, au Ghana et aux Philippines. Elles se sont progressivement étendues à onze autres pays figurant en queue de peloton de l’indice de perception de la corruption Transparency International parmi lesquels le Nigéria et le Ghana. SICPA est suspectée de corruption d’agents publics étrangers dans ces quatorze pays en vue d’emporter des marchés. Plusieurs contrats obtenus sans voie d’appel d’offres sont passés au crible. Des responsables ont déjà été condamnés. En mai 2019, le tribunal de Rio de Janeiro a prononcé une peine d’onze ans d’emprisonnement à l’encontre de Charles Finkel. Cet ancien vice-président de SICPA a été reconnu coupable de corruption d’un agent fédéral pour un marché avec l’Institut national d’émission de monnaie brésilien (Casa da Moeda). Dans ce même pays, le fleuron de l’économie vaudoise vient de signer un «accord de clémence» portant sur le versement de 135 millions de francs suisses en amendes et en remboursements après des « irrégularités » sur des contrats liés à des systèmes de traçabilité. SICPA est sous le feu des critiques en République démocratique du Congo (RDC), mais aussi au Kenya où la société civile juge son système de sécurité d’accise inefficace pour lutter contre la fraude.
Manque à gagner
La traçabilité est un enjeu majeur pour les Etats africains, lesquels n’ont toujours pas trouvé la formule idéale pour lutter contre les fraudes. Or l’accroissement du volume de produits illicites représente un important manque à gagner. On estime la perte de recettes pour l’Afrique de l’Ouest à plus d’un milliard $ chaque année. En outre, ces pratiques alimentent l’insécurité, la criminalité transnationale et le terrorisme qui sévit dans la sous-région. Le renforcement des contrôles aux frontières et la maîtrise de la chaîne d’approvisionnement de ces produits est encore à parfaire. Après l’Europe, qui tente de résoudre cette question par la traçabilité des produits sensibles, plusieurs acteurs convoitent désormais ce segment sur le continent africain. Outre SICPA présente au Maroc, au Togo et au Kenya, où elle traverse une période de turbulence, des entreprises comme Authentics, Delarue ou Inexto, autre entité suisse, tentent de s’imposer avec des fortunes diverses. Des boissons alcoolisées et non-alcoolisées aux médicament en passant par les eaux, les jus, le tabac ou les hydrocarbures, de nombreuses industries pourraient être concernées à l’avenir par un besoin pressant en traçage.
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