Mélèdje Tresore
En Côte d’Ivoire, les personnes atteintes d’albinisme peinent à trouver du travail. Seulement une trentaine d’entre elles ont réussi à intégrer la Fonction publique.
Elle a maintes fois essuyé le refus de certaines clientes. Coiffeuse et âgée d’une vingtaine d’années, Kady Soro leur fait peur du fait de son albinisme. A cause de préjugés, de nombreuses femmes refusent ses services. La réaction de sa patronne à son égard parce qu’elle prenait fait et cause pour les clientes n’arrangeait en rien la situation déjà compliquée pour la jeune Kady. « Certaines personnes ont peur de nous alors que nous avons des compétences et nous pouvons répondre aux attentes, au même titre que des personnes dites ‘‘normales’’ », a-t-elle dénoncé.
Malgré les difficultés rencontrées sur le terrain, des personnes atteintes de l’albinisme ne se donnent pas de repos. Refusant d’être en proie à des railleries et/ou des préjugés, certains se battent au quotidien pour se faire une place. C’est le cas de M. Issa Bambara, autrefois restaurateur pour le compte d’une entreprise, il est désormais à son propre compte. Relatant son histoire, il soutient qu’en tant qu’albinos, il se voyait contraint de travailler deux fois plus que les autres pour avoir l’estime de son employeur. Sa détermination à vouloir donner aux autres une meilleure image des personnes albinos l’emmenait toujours à redoubler d’efforts au travail. Aujourd’hui reconverti en commerçant, Issa Bambara, la quarantaine révolue, vend des objets d’arts au grand marché de la commune de Treichville. Cette activité lui a permis de se prendre en charge et de fonder une famille.
Tout comme lui, Natacha a su tirer son épingle du jeu. Juriste de formation, elle est titulaire d’un master 2 en droit privé obtenu à l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan. Elle exerce pleinement dans l’administration ivoirienne. Déterminée à occuper de hautes fonctions plus tard, cette jeune dame atteinte de l’albinisme ne compte pas s’arrêter en si bon chemin concernant ses études.
Maladie rare, non transmissible et héréditaire, l’albinisme existe dans le monde entier et se manifeste par l’absence de la pigmentation à la mélanine sur la peau, les cheveux et les yeux. Dans le monde, les personnes atteintes d’albinisme représentent un pourcentage relativement faible de la population mondiale, selon Worldwide Report 2021.
La Côte d’Ivoire en compte 6000, selon le recensement général de la population et de l’habitat de 2014. Cette frange de la population représente environ 3,80% de l’ensemble des personnes en situation de handicap. Il faut le dire, les personnes souffrantes de cette affection ont encore du mal à se frayer un chemin dans le tissu socioprofessionnel en Côte d’Ivoire et dans le monde. Ils vivent pour la plupart dans la précarité.
Aussi, la pauvreté rime avec le quotidien de plusieurs personnes atteintes de l’albinisme. Classées dans la catégorie de personnes vivant avec un handicap, en Côte d’Ivoire, elles peinent à s’insérer dans le tissu professionnel. Et même lorsqu’elles obtiennent du travail, ces dernières ont des difficultés à le conserver à cause des risques de santé et le manque de sécurité au travail. Tout simplement parce que la plupart des employeurs refusent de créer les conditions favorables afin de réduire considérablement les risques liés à leur organisme.
Ainsi, sur 100 albinos majeurs, seulement moins du tiers arrive à avoir un travail, fait savoir Alain Coulibaly, président de l’Association nationale des albinos de Côte d’Ivoire (Anaci). A la tête de plus de 500 personnes, Alain Coulibaly indique que les difficultés rencontrées concernent les secteurs privé et public.
Au niveau du secteur privé, la chance qui s’offre à ces personnes différentes de par la couleur de leur peau est minime. En effet, il est fréquent de constater que lorsqu’il y a un choix à faire entre des albinos et d’autres personnes, la main est tout de suite tendue au candidat non albinos. Cette pratique courante décourage les personnes albinos et les pousse à ne plus se présenter aux recrutements.
Au niveau du public, les choses ne sont non plus reluisantes. C’est seulement à partir de l’année 2015 que les albinos ont intégré la fonction publique. Ce qui justifie le faible taux de représentativité dans les services de l’administration de l’Etat ivoirien. Ils étaient au nombre de 10 sur un total de 300 personnes en situation de handicap à cette époque.
En 2018, il y en a 7 ; 8 en 2019 et 11 en 2020. Au total, ce sont 36 albinos qui ont été recrutés dont 18 femmes au compte de la fonction publique en Côte d’Ivoire. Malheureusement, parmi ces nouveaux fonctionnaires certains ont été recommandés de rester à la maison parce qu’ils effraieraient leurs collègues. Toutefois, leurs administrations leur ont rassuré qu’ils percevront toujours leurs salaires.
Concernant le secteur informel, il convient de noter queces personnes qui, pour la plupart, arrêtent tôt les études, sont obligées de se tourner vers ledit secteur qui semble une équation encore plus complexe à résoudre pour elles. Notamment au niveau de l’obtention des ressources financières auprès des microfinances et établissements financiers. Bien qu’ils soient désormais considérés comme des personnes en situation de handicap, les albinos disent ne pas bénéficier de dispositions particulières leur permettant de créer leurs propres entreprises.
Les causes d’une insertion plutôt difficile
L’une des raisons qui compliquent leur insertion, ce sont lespréjugés sur les personnes atteintes d’albinisme. Selon des normes culturelles, des légendes en Afrique, les personnes albinos sont présentées comme des génies, des sorciers. Ils auraient même des pouvoirs surnaturels capables d’apporter le bonheur tout comme le malheur dans la vie des membres de la société. Elles sont l’objet de croyances et de mythes non fondées. Malheureusement, il existe encore de nombreux individus qui croient en ces ‘‘mensonges’’ dignes des films de sciences fictions. D’un autre côté, sur instruction de marabouts et féticheurs, ils servent de sacrifices à des individus afin de leur permettre d’avoir ‘‘d’hypothétiques’’ richesses.
Des préjugés que nourrissent encore des personnes en dépit des rares sensibilisations faites sur la question à Abidjan et dans les autres villes du pays. Tous ces préjugés développent l’exclusion sociale et les mauvaises pratiques telles que les meurtres, les mutilations, les assassinats, le trafic d’organes humains… Ce qui est pourtant contraire au droit de l’homme et au droit à la vie.
Pour le président de l’Anaci, Alain Coulibaly, les gens se font des idées alors qu’il n’en est rien. « Les albinos n’ont pas de pouvoirs », s’est-il indigné. Il en veut pour preuve la souffrance vécue au quotidien par cette frange de la population. Le responsable indique par ailleurs que peu de personnes albinos achèvent leur parcours scolaire.
En général, ils n’atteignent pas le niveau supérieur, selon le président. Une situation qui les empêche d’occuper des postes de responsabilité dans l’administration. « En Côte d’Ivoire, ceux qui ont pu atteindre le niveau supérieur se comptent sur le bout des doigts et c’est bien dommage ! », a révélé Alain Coulibaly. Avant d’inviter les parents des enfants albinos à véritablement jouer leur rôle en faisant fi des railleries et en encourageant les plus jeunes à poursuivre leurs études afin de jouer leur partition dans le positionnement socio-économique du pays.
Les problèmes de santé
Celui qui souffre de l’albinisme a régulièrement des ‘‘bobos’’ particulièrement des problèmes dermatologiques et ophtalmologiques. Le manque de production de mélanine provoque en effet une carence visuelle à des degrés variables et une fragilité aux préjudices causés à la peau par les rayons ultraviolets. Ce qui engendre parfois le cancer de la peau. Ils sont malvoyants car leur rétine s’est mal développée au cours de la période fœtale.
Le manque de production de mélanine engendre également la dépigmentation de la peau. Ce qui impose à l’individu de se traiter régulièrement avec des crèmes solaires pour la peau et des gouttes pour améliorer la vue… En plus des coûts qu’elle induit pour eux-mêmes et leurs familles, la santé fragile de ces personnes participe considérablement à leur problème d’insertion professionnelle.
Des employeurs du privé hésitent à les embaucher de peur d’être confrontés en permanence à des absences dues à leur état de santé. Ce qui ralentirait leurs activités car la question de rentabilité est au centre de toute entreprise. Toutes ces causes montrent bien que les albinos ne sont pas recherchés sur le marché de l’emploi.
En Côte d’Ivoire et sous d’autres cieux, les albinos sont encore vus d’un autre œil. Ces derniers, surtout les enfants albinos, subissent tous les jours les moqueries des autres. Ce qui ne facilite pas leur intégration sociale et scolaire et agit à la longue sur leur insertion professionnelle. L’enfant ayant subi les railleries des autres peut davantage se replier sur lui-même et refuser de poursuivre les études.
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Le plaidoyer des albinos
Faisant désormais partis des personnes en situation de handicap en Côte d’Ivoire, les albinos bénéficient des avantages que dispose la loi N°98-594 du 10 novembre 1998 portant le droit d’orientation en faveur des personnes handicapées en son article 11 qui stipule : « L’obligation d’emploi des personnes handicapées s’applique aux administrations de l’Etat et des collectivités territoriales ainsi qu’à leurs établissements publics quel que soit leur caractère, aux entreprises nationales, aux sociétés à participation financière publique et aux entreprises privées chargées d’un service public. Aucun candidat handicapé ne peut être écarté en raison de son handicap d’un concours si ce handicap a été reconnu compatible, dans les conditions fixées par voie réglementaire, avec l’emploi auquel donne accès le concours ».
Cette loi a permis à la mise à disposition d’une dizaine de places sur 1000 postes à pourvoir au sein de l’administration ivoirienne. Reconnaissant les efforts déjà consentis par l’Etat dans l’emploi des personnes handicapées particulièrement de celles atteintes de l’albinisme, Alain Coulibaly, président de l’Association nationale des albinos de Côte d’Ivoire (Anaci), pense néanmoins que le régime d’aide sociale reste encore faible.
Par ailleurs, il fait un plaidoyer auprès du gouvernement pour une meilleure insertion socioprofessionnelle de ses pairs et lui. Il a ainsi demandé l’augmentation du nombre de places qui leur sont dédiées à la fonction publique. Mais également une subvention plus importante des prises en charge pour les soins de santé d’urgence ainsi que des facilités pour l’obtention des produits dermatologiques et ophtalmologiques. Autant de mesures qui permettront d’améliorer leurs conditions de vie, mais surtout permettront une meilleure contribution des albinos au développement socio-économique de la Côte d’Ivoire.
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Koné Victorien (Directeur de la promotion des personnes handicapées), au secteur privé : « Engagez les albinos et jugez-les par leur rendement »
Conscient que les personnes souffrantes de l’albinisme en Côte d’Ivoire ont du mal à trouver de l’emploi, M. Koné Victorien, Directeur de la promotion des personnes handicapées, rassure le secteur privé quant aux compétences de ces personnes.
Dites-nous pourquoi la Côte d’Ivoire a-t-elle choisie de mettre les albinos dans la catégorie des personnes handicapées ce qui n’est pas le cas dans plusieurs pays au monde ?
C’est en 2010 que les albinos ont été pris en compte par l’Etat ivoirien en raison de leurs besoins spécifiques tant au niveau de la protection qu’au niveau de la santé. C’est pourquoi la Côte d’Ivoire a décidé de les inclure dans la catégorie des personnes handicapées qui englobe les malvoyants, les handicapés moteurs, les sourds, les bègues, les petites tailles, les muets…. Ils sont souvent victimes de crimes rituels et bien d’autres. Ils ont un véritable souci de peau et sont malvoyants. Nous les avons inscrits dans le cas du plan de stratégie national où nous avons élaboré un programme de politique générale en faveur des personnes handicapées parce que les véritables problèmes des albinos, ce sont les droits humains.
Depuis quelle année les personnes souffrant de l’albinisme sont-elles intégrées à la fonction publique ivoirienne ?
C’est à partir de 2015 que ces personnes ont été prises en compte au niveau du recrutement de la fonction publique. Aujourd’hui, une trentaine de personnes atteintes de l’albinisme sont fonctionnaires.
Le manque de diplômés des personnes atteintes d’albinisme n’est-il pas un frein à leur insertion professionnelle ?
Si, mais nous avons quand même des catégories B3 et quelques grades A4 c’est-à-dire des gens qui ont la Maîtrise. Au départ, c’était quand même difficile mais cela est en train de s’améliorer. Avec l’insertion des premiers, les autres sont encouragés à poursuivre leurs études et obtenir des diplômes supérieurs afin d’occuper de hautes fonctions plus tard. Aussi, une sensibilisation à l’éducation scolaire est faite à ce niveau avec les familles.
Que fait l’Etat pour l’insertion de ces personnes dans le secteur informel ?
Nos recherches vont dans tous les sens. Nous sommes en relation avec les structures d’aide à l’emploi. Depuis des années, nous travaillons avec l’emploi jeunes à qui nous avons transmis plusieurs dossiers qui sont toujours en attente. Aussi, il n’y a pas de dispositions particulières pour les personnes handicapées concernant les microfinances nationales. Toutefois, nous les incitons à aller vers ces structures d’aide et de postuler. Par ailleurs, il y a des organismes internationaux d’aide avec les micro-projets pour les personnes handicapées. Nous avons pu installer certains que nous suivons actuellement. Nous recherchons toujours les structures et tous ceux qui peuvent nous aider à assurer au mieux l’insertion des personnes handicapées dont les albinos.
Quel message à l’endroit des entreprises privées qui hésitent toujours à intégrer les albinos ?
L’Etat a donné un signal fort en acceptant les albinos dans les structures publiques. Cette action vise à montrer aux structures privées la bonne voie à suivre. La société de demain sera inclusive, personne ne restera de côté. Si nous voulons atteindre les Objectifs du développement durable prônés par le gouvernement, nous avons besoin de toutes les forces pour construire la Côte d’Ivoire. Si le poste de travail est aménagé conformément à son handicap, l’individu en situation de handicap travaillera et participera à la production de richesse de l’entreprise qui l’a embauché. Nous devons donner la chance aux autres de devenir des citoyens à part entière, sinon une frange de la population devra travailler pour s’occuper d’une autre. Ce n’est pas de la charité humaine que nous demandons, mais l’application des droits de l’homme. Il faut accepter d’embaucher les albinos qui sont compétents et les jugez par rapport à leur rendement.
Avez-vous le retour des personnes atteintes d’albinisme que vous avez pu intégrer à la fonction publique ?
Absolument. Au départ cela n’a pas été facile mais aujourd’hui, ces derniers travaillent bien et c’est satisfaisant. Certains ont été promus. Lorsqu’ils sont intégrés, nous les suivons. Nous leur disons qu’ils sont des ambassadeurs pour la génération future et leur rendement permettra à leurs jeunes frères d’être intégrés à l’avenir. Aussi ceux qui ont été intégrés sont désormais considérés dans leur famille et leurs avis sont pris en compte. Ils parviennent à s’exprimer grâce au travail.
Parlons de la subvention de l’Etat pour les personnes atteintes d’albinisme. Croyez-vous que ce que l’Etat donne est suffisant quand on sait que ces personnes sont en général démunies ?
Inscris dans le plan de stratégie national élaboré en faveur des personnes handicapées, les albinos bénéficient effectivement d’une subvention de l’Etat. La subvention est un appui que donne le gouvernement pour assurer le fonctionnement des associations en vue de permettre aux albinos de rechercher des partenaires pour les aider. L’Etat donne environ 1 million 200 mille FCfa par an comme subvention à la Fédération des albinos qui comprend initialement deux (2) organisations que sont l’Association nationale des albinos de Côte d’Ivoire (Anaci) et l’Ong Bien-être des albinos de Côte d’Ivoire (Bedaci) sans oublier l’Association des femmes albinos. Cependant, hormis la fédération, il y a également 3 autres organisations d’albinos qui bénéficient des subventions ce qui pourrait donner un total de subvention allant jusqu’à 4 voire 5 millions de FCfa par an. L’Etat fourni des efforts pour améliorer les conditions de vie de ses personnes atteintes de l’albinisme.
Par Mélèdje Tresore
Fratmat.info
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