Hommage à Charles Konan Banny

L’unique sage d’Éburnie, le bien-aimé redouté et principe de vie

Décédé le 10 septembre en France, le corps de Charles Konan Banny est arrivé en Côte d’Ivoire, en début de soirée, le jeudi 23 septembre 2021. Hommage.

L’unique sage d’Éburnie, le bien-aimé redouté, laisse libre la place à tous ceux qui, dans l’inconfort du silence, appréhendaient sa parole ou sa présence.

Bien-aimé de tous pour ce que, chaque homme politique sait de son parcours personnel porté par Charles Konan Banny dans le microcosme ivoirien. Mais, à la fois redouté pour sa droiture et son franc-parler quand il décide de suspendre temporairement le silence auquel le sage s’attache.

QUI EST CHARLES KONAN BANNY ?

Inutile de présenter sa biographie qui surabonde sur le net. De ces liens avec le Président Félix Houphouët Boigny, le Père Konan Banny François fut l’un de ses tous premiers compagnons. Leurs plantations avaient des limites communes. Le père Konan Banny François, bien bâti physiquement comme ses fils, était en certaines circonstances le protecteur de Félix Houphouët Boigny. Ainsi, il n’est plus à démontrer la proximité des Banny et des Boigny dont les racines naturelles sont entremêlées bien avant l’émergence de la politique et de la création du Syndicat Agricole, qui donnera plus tard naissance au PDCI-RDA.

Malgré cela, Charles Konan Banny n’est pas né avec une cuillère en or dans la bouche. Il avait à peine deux ans, lorsque décède son père Konan Banny François. Son patrimoine fut géré par son neveu Konian Kodjo. Il avait des plantations aussi bien à Yamoussoukro, qu’à Divo où naquit Charles Konan Banny le 11 Novembre 1942. Elevé en grande partie par ses grands frères, il connut la faim par moment, comme tous les enfants de son âge. Ce qui ne l’empêcha pas de faire des brillantes études, avec tout le parcours professionnel et politique qu’on sait de lui.

Cependant, que d’obstacles au plan politique. De par sa position, il est toujours perçu comme un prétendant putatif au trône. Dans le silence, il recevait des tirs groupés de toutes les tendances politiques du pays, y compris des siens. Et pourtant chaque acteur politique a pu bénéficier de son soutien direct ou indirect. Durant la grande traversée du désert du PDCI-RDA, il était le principal soutien financier de son parti, dans le silence, sans rien attendre en contrepartie. Chacun lui est redevable de quelque chose.

Mais, avant de développer certains de ses actes au niveau politique, il importe de connaître, qui est véritablement Charles Konan Banny, au plan humain. Pour le décrire, cinq mots permettront de le présenter : confiance, intégrité, altruisme, silence & sagesse.

LA CONFIANCE

Il a lui-même développé sa thèse sur la confiance, qui ne sera pas reprise ici. Charles Konan Banny établit ses relations avec les hommes sur la base de la confiance. C’est un homme tout entier, qui a une croyance en la capacité de la perfection de l’homme comme lui-même. Malgré sa méfiance justifiée, quand il accepte, il est tout entier dans ses rapports. Homme de foi, il applique à la lettre le Commandement du Christ « aimes ton prochain comme toi-même». C’est malheureusement ici qu’il recueille toutes les déceptions et les trahisons.

Il a contribué à l’émergence et à la promotion de plusieurs personnalités politiques de premier plan. Ainsi, c’est Charles Konan Banny qui a présenté son « ex-ami » au Président Félix Houphouët Boigny, en veillant sur son parcours. Après le décès du Gouverneur Abdoulaye Fadiga, le Président Félix Houphouët Boigny voulait nommer Charles Konan Banny comme Gouverneur en remplacement du défunt. Oblatif comme tout bon Baoulé, il a respectueusement décliné l’offre du Président porté sur sa personne, en proposant son « ex-ami ». Quand ce choix fut entériné par le Président, quel ne fut son soulagement et sa joie.

Quand son « ex-ami » a été nommé Président du Conseil interministériel pour gérer la grave crise économique que connaissait la Côte d’Ivoire, Charles Konan Banny a conduit avec succès cette équipe, qui a permis au pays de sortir de cette crise. Ainsi, son « ex-ami » a été ensuite nommé à la Primature, alors que lui-même était nommé Gouverneur de la BCEAO.

La collaboration fut parfaite jusqu’en 2010 entre les deux amis. Malgré quelques réserves sur les agissements politiques de son « ex-ami », lors des élections de 2010, Charles Konan Banny s’est particulièrement et entièrement investi pour son élection. Après l’installation de son « ex-ami » au pouvoir, il découvre tous les travers de ce dernier, qui vont à la fois contre ses principes et qui détruisent les fondements de la Nation ivoirienne. C’est ici qu’interviennent leurs divergences.

Pire, alors qu’il est chargé à la tête de la CDVR, de réconcilier tous les ivoiriens, une œuvre exaltante pour ce Patriote désireux de voir la normalisation de son pays et tous les citoyens réconciliés, il essuie des attaques de toutes formes du pouvoir, afin de faire échec à sa mission. Des gamins, au sein du régime, sont chargés de le discréditer et même de mettre en doute son intégrité morale. La seule raison de cette attaque en règle, était qu’il entendait conduire cette mission en toute impartialité et responsabilité. Il parcourt tout le pays. Un forum est organisé dans chaque localité pour permettre, d’une part la catharsis nécessaire au pansement des plaies béantes infligées à la population et au pays tout entier, et d’autre part de mettre en évidence la vérité qui apaise, et si possible la justice qui pourra normaliser le pays. Mission quasiment impossible, puisque le pouvoir impliqué dans cette crise, n’est pas disposé à accepter les conclusions du volumineux rapport produit. Il constate que la main tendue de son « ex-ami » ne visait qu’à le piéger et à l’anéantir, tout en mettant à son compte l’échec préparé de la CDVR. La fracture s’installe alors définitivement entre les deux amis. Charles Konan Banny reconnait alors que l’amitié avec son « ex-ami » n’est possible que dans la soumission. Malgré son silence, qu’il s’est toujours imposé depuis 1993, il ne reçoit que mépris de son « ex-ami », entouré de sa cohorte de nouveaux suiveurs.

Déterminé à voir son pays réconcilié et normalisé, il ne baisse pas les bras, pour autant. Il décide alors de monter au créneau, à la fois pour sa Patrie et pour son Parti le PDCI-RDA, ainsi que pour son Président. Mais alors, quelle consternation de constater que celui-ci, dans un sursaut sans doute narcissique, se met totalement à la disposition de celui qui lui avait déjà ravi illégalement la deuxième place, lors du premier tour des élections de 2010, malgré un accord très clair sur les engagements réciproques. Par un appel lancé à Daoukro, l’ensemble de l’appareil du Parti est mis à la disposition de son « ex-ami ». Il se voit traité alors d’irréductible, avec d’autres membres du PDCI-RDA, eux aussi candidats indépendants. Ayant vu la volonté d’un passage en force de son « ex-ami », quel que soit les résultats, et ne voulant pas associer son image aux troubles, il s’est résolu, à la dernière minute, de retirer sa candidature. Pour relancer le processus de réconciliation en panne depuis des années, il décide de faire connaitre les travaux de la CDVR restés longtemps dans les cartons, par quelques publications, alors que la vérité est nécessaire, pour une réconciliation sincère et durable, serait-ce la faute commise ou la ligne rouge à ne pas franchir, qui lui vaudrait un destin commun avec son père Félix Houphouët Boigny !

Le Premier Ministre Charles Konan Banny et sa famille ont tout donné au pays, et à chacun des acteurs politiques. Autant avait-il introduit son « ex-ami » auprès du Président Félix Houphouët Boigny, autant son grand frère Jean fut celui qui présenta l’actuel Président du PDCI au Père fondateur du Parti. Il était un véritable trait d’union entre les principaux acteurs politiques. Il a été tout simplement usé et abusé par toute la classe politique, du plus petit au plus grand. En retour, il n’a reçu que du mépris. Combien d’illustres inconnus devenus députés, Ministres, Premier Ministre ou Président de la République n’ont-ils bénéficié de son soutien et appui financier pour émerger. Mais, souvent incompris, il ne recueille que des clichés négatifs sur sa personne venant de tous les partis, y compris le sien. Comment comprendre l’ingratitude portée par les uns et les autres.

D’abord, appelé par la Communauté internationale au chevet de la mère Patrie, Charles Konan Banny nommé Premier Ministre, décide de pédaler en harmonie avec le Président, estimant que le pays avait déjà assez de problème, il ne fallait pas en rajouter avec une divergence au sommet. Il se porte ainsi comme le Secrétaire Général de la Côte d’Ivoire, en laissant le Président jouer son rôle. Il s’agit pour lui de sauver le pays, et s’engage à créer un cadre de sérénité, pour sortir le pays de cette crise. Mais, cet altruisme et ce patriotisme ne trouveront aucune oreille attentive.

L’INTEGRITE

Homme intègre, lors de la crise des déchets toxiques, pour l’exemple, il rend sa démission dans les mains d’un Président, déjà au banc de la Communauté internationale. Mais celui-ci, redoutant de retrouver Charles Konan Banny comme un potentiel adversaire, saisit l’occasion pour l’affaiblir davantage, et signer l’Accord de Paix de Ouaga, APO avec la rébellion, sans l’en informer préalablement. Pour mieux l’humilier, après la nomination du Chef de la rébellion à la Primature, le Président déclare que celui-ci est le meilleur de tous les Premiers Ministres qu’il ait eus. Tout le monde connaît la suite.

De l’exemplarité et de la responsabilité qu’il voulait donner, les ivoiriens n’ont retenu que l’image de faiblesse. Tout seul, perdu au milieu d’un triangle d’antagonisme de pervers narcissiques, il lui était difficile de s’en échapper. Chacun voulant l’utiliser à son profit pour combattre le tenant du Pouvoir, pendant que celui-ci subodore qu’il est à leur service. Mais également, chacun d’eux redoutait son succès qui le propulserait éventuellement à la tête du pays. C’est alors un tir groupé, sur sa seule personne, qu’il reçoit de toute part, quitte à pactiser avec l’ennemi du moment. C’est donc dans l’indifférence totale, qu’il part de la Primature, laissant la Côte d’Ivoire déchirée au milieu des intérêts personnels divergents.

L’ALTRUISME

Incubateur politique, bon nombre d’élus et de Ministres lui doivent leur entrée en politique. Mais en retour, peu lui sont restés fidèles, signes caractéristiques des hommes politiques de la Côte d’Ivoire. Malgré les déceptions, Charles Konan Banny est resté constant dans ses rapports avec tous, notamment avec la Côte d’Ivoire profonde et le peuple, dans les différentes épreuves qu’ils vivent. Il a semé l’amour autour de lui. Disponible et au service de la chefferie traditionnelle, du Nord au Sud, sans exclusif, il demeurait un soutien sûr pour eux. Malheureusement il n’a pu répondre à la dernière sollicitation de son ami le Chef de Canton de Brobo, hospitalisé dans une Polyclinique, alors que lui-même subissait le même sort en France. Ils seront tous les deux surpris de franchir ensemble la dimension parallèle.

Le vrai bonheur on ne l’apprécie que lorsqu’on l’a perdu, disait le Sage. L’altruiste, le mécène, l’incubateur et l’assurance pour tout ce monde, aussi varié que divers, vient de s’en aller dans le silence, lui l’unique repère de ceux qui gardaient encore l’espoir, malgré les vicissitudes. Un autre grand bouleversement vient de frapper ainsi le pays, probablement plus grand que lors du départ du père fondateur, qui avait pris le soin de baliser sa succession. Dépourvu d’acteurs désintéressés, les risques d’une prochaine confrontation ou déflagration politique sont déjà prévisibles, le seul sage vient de s’en aller.

Avec la droiture que l’on connait de Charles Konan Banny, probablement on aurait pu éviter la crise postélectorale, avec les véritables résultats de ces élections de 2010 connus. Tel qui croyait prendre, est pris dans son propre piège. Ce qui vaudra malheureusement, à certains une incarcération de dix ans gratuite hors du pays, et des milliers d’ivoiriens morts inutilement.

Au niveau de son Parti, le Roi Narcisse y a bâti un barrage étanche infranchissable, préférant l’oblativité du Parti au profit d’un Parti concurrent, au détriment des siens. Ce qui devrait arriver, arriva donc ! Et tout le monde est pleinement dans la gadoue aujourd’hui. Quoi que l’on fasse, le pays s’enlise dans le sable mouvant. Les dernières tentatives politiques ont laissé des traces si profondes, que l’alternance démocratique, dans le contexte actuel, parait un véritable leurre. Que serait devenue la Côte d’Ivoire si l’on avait laissé la moindre chance à Charles Konan Banny ? Seuls les meilleurs partent toujours les premiers.

SILENCE ET SAGESSE

Au plus fort de la crise en Côte d’Ivoire, face aux antagonismes funestes, Charles Konan Banny s’écria, « n’y a-t-il pas de sage au village ? » Oui, après le sage d’Afrique Félix Houphouët Boigny, le dernier sage vient de le rejoindre, laissant derrière lui, un pays plus que déchiré et désorienté.

Il parle tantôt par le silence, il parle tantôt par la sagesse, sans débordement. Le silence est l’un des principaux traits de caractère de l’homme. Attaché au silence, il est peu bavard dans les conversations, en gardant enfoui au plus profond de lui-même beaucoup de choses. Mais, ce silence reste toujours pesant sur ceux qui n’ont pas la conscience tranquille. Qu’aurait-il donc fait, pour se faire taire à jamais ? Malgré son silence, Charles Konan Banny demeurait toujours la cinquième roue du véhicule ivoire, l’ultime recours, un accommodement difficile pour certains.

Ce départ si brusque a surpris plus d’un. La semaine qui précédait ce jour fatidique où l’on le déclara dans un état préoccupant, l’homme jouissait d’une excellente santé, une mine resplendissante et une parfaite sérénité, gardant toujours l’espoir pour son pays. « Tant qu’il y a la vie, il y a l’espoir », disait-il. Difficile de qualifier de courte maladie, la Covid passant par-là fut rendue aussitôt coupable, malgré ses deux doses de vaccins reçues. Il est pourtant dit que le vaccin est destiné à éviter les cas graves, pour les personnes âgées et de comorbidité. Si l’on croit cela, si bien portant qu’il était, cette Covid n’avait aucune raison d’être si foudroyante. Mais, le doute demeure, puisque les derniers médecins qui le traitaient n’ont trouvé aucune trace covidique. En outre, l’on peut se demander comment son retour au pays, par un vol d’air France a-t-il été si rapidement possible, dans ce pays où les exigences sanitaires sont très strictes sur les questions relatives à la Covid-19 et ses variantes ?

Any way, homme de foi, ayant eu pour seul souci la paix dans son pays, et le bien-être de son prochain, on peut garder une juste conviction de sa présence dans la félicité auprès de son Seigneur. Il rendra certainement compte, à son Père Félix Houphouët Boigny, de certaines erreurs communes qui ont défiguré la Nation, ce qui lui était insupportable.

NAWLEH BAH

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