Malgré les difficultés d’approvisionnement liées à la pandémie de Covid-19 et à la flambée des prix, l’analyste et ancien diplomate Pierre Jacquemot affirme que le continent a les moyens de reconquérir son autonomie alimentaire.
Malgré la situation critique – avec plus de 200 millions d’Africains sous-alimentés soit environ 20% de la population –, il parie sur une issue positive : tous les facteurs sont réunis pour que l’agriculture africaine amorce un tournant permettant enfin au continent d’assurer son autonomie alimentaire.
Telle est la conviction de Pierre Jacquemot, ancien ambassadeur de France au Kenya, au Ghana et en RDC, aujourd’hui président du Groupe initiatives, un collectif de 13 associations spécialisées dans le développement.
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Après avoir analysé l’an dernier les difficultés de la démocratie africaine, dénonçant les troisièmes mandants et les oligarchies qui s’accrochent au pouvoir (1), l’ex-diplomate s’attèle cette année, alors que la pandémie de Covid-19 a bousculé les canaux de distribution agricoles, à un thème tout aussi sensible, la souveraineté alimentaire.
Dans un rapport publié le 13 septembre par la Fondation Jean-Jaurès (2), il liste les défis à relever pour dynamiser l’agriculture et en faire un moteur de croissance et de développement.
L’AGRICULTURE EST LA GRANDE SACRIFIÉE DES POLITIQUES NATIONALES ET INTERNATIONALES
Outre la hausse de la productivité et la structuration en filière, il met l’accent sur l’accès au crédit, l’autonomisation des femmes et le rôle des États pour enclencher aux niveaux local et régional des cercles vertueux. Le plus dur reste toutefois à faire.
Jeune Afrique : Cela fait des années que l’on annonce la révolution agricole africaine. En réalité, l’agriculture, largement sous-développée, demeure le parent pauvre des investissements. Pourquoi, selon-vous, nous trouvons-nous véritablement à un tournant ?
Pierre Jacquemot : Il y a en effet un décalage entre le discours et la pratique. Tous les dix ans environ, les chefs d’État se réunissent et affirment vouloir faire de la politique agricole une priorité, promettant de consacrer au moins 10 % de leur budget à l’agriculture.
L’engagement, pris lors du sommet de l’Union africaine de 2003 à Maputo, a été réaffirmé en 2014 lors du sommet de Malabo. Or, dans les faits, l’agriculture est la grande sacrifiée des politiques nationales comme des programmes d’aide multilatérale et bilatérale.
LES FEMMES VONT S’AUTONOMISER VIA LA CONSTITUTION DE COOPÉRATIVES
L’explication est simple : une action dans le domaine agricole ne produit de résultats, au mieux, qu’à moyen terme quand le retour sur investissement dans d’autres secteurs est beaucoup plus rapide.
Malgré ce constat, il existe actuellement une combinaison de facteurs positifs qui va enclencher le nécessaire changement de modèle de l’agriculture africaine. Outre l’électrification rurale, les innovations technologiques et l’essor du microcrédit, trois autres phénomènes clés vont s’accentuer.
Il s’agit de l’autonomisation des femmes via la constitution de coopératives, du retour de jeunes urbains en milieu rural pour y développer des projets, et de l’émergence d’agri-entrepreneurs investissant et produisant pour les marchés urbains dans une logique de chaîne de valeur.
AU CAMEROUN, UNE START-UP A DÉVELOPPÉ UNE PLATEFORME QUI UTILISE L’IA POUR AMÉLIORER LES RENDEMENTS DES CULTIVATEURS
Tout cela va dans le sens d’une plus grande maîtrise de l’agriculture et de l’alimentation, synonyme d’autonomie retrouvée pour le continent.
Ancien ambassadeur de France en RDC, Pierre Jacquemot, également chercheur à l’Iris et enseignant à l’IEP de Paris, affiche un optimisme certain quant au futur proche du continent.
Concrètement, quels pays montrent l’exemple ?
Le Sénégal favorise depuis longtemps l’organisation de groupements de femmes, qui ont développé le maraîchage et la transformation en périphérie de Dakar. Il y a aussi depuis une vingtaine d’années une belle dynamique féminine au Ghana et au Kenya.
Les agri-entrepreneurs émergent évidemment à Nairobi, Abidjan et Dakar, entre autres, quand d’autres développent la culture du soja et sa transformation au Bénin et au Togo, par exemple.
Au Cameroun, la start-up Promagric a développé une plateforme, ClinicPlant, qui utilise l’intelligence artificielle pour diagnostiquer les plantes et améliorer les rendements des cultivateurs, facilitant ainsi leur accès au crédit. Elle étend désormais ses services à la Côte d’Ivoire, au Mali et au Sénégal.
LE CONTEXTE OBLIGE LES GOUVERNEMENTS À PRENDRE CES MESURES DE COURT TERME
La multiplication et la convergence de ces initiatives, soutenues d’un côté par les États et, de l’autre, par les consommateurs, vont engendrer de vraies révolutions dans les domaines agricole et alimentaire, notamment au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Ghana et au Kenya. Une véritable révolution agricole point à l’horizon.
Pour faire advenir ce changement, l’appui des États est crucial. En ce moment, ces derniers mettent surtout en place des mesures d’urgence, comme des suspensions de taxes douanières ou de TVA, afin de juguler la hausse des prix alimentaires. Est-ce à la hauteur de l’enjeu ?
En limitant la mobilité des individus et en compliquant les importations et exportations, la pandémie de Covid-19 a fortement perturbé l’économie agricole africaine.
Ce contexte, couplé à des cours mondiaux de matières premières globalement à la hausse, oblige les gouvernements, pour assurer une sortie de crise, à prendre ces mesures de court terme.
CONSTRUIRE DES CIRCUITS COURTS FONDÉS SUR LES AVANTAGES COMPARATIFS DE CHACUN ET CONNECTÉS AUX CENTRES URBAINS
Mais cela ne doit pas les empêcher de conduire une politique de moyen terme et de résister aux réflexes nationalistes, ce que n’a pas su faire le Nigeria, par exemple, lorsqu’il a fermé ses frontières terrestres avec le Bénin, le Niger, le Tchad et le Cameroun entre 2019 et 2020.
Les États peuvent faire la différence en fluidifiant au maximum les échanges nationaux et transfrontaliers. Cela suppose d’investir dans les infrastructures de transport mais aussi de payer correctement ses services douaniers pour éviter les prélèvements indus.
C’est fondamental pour construire des circuits courts locaux et régionaux fondés sur les avantages comparatifs de chacun, connectés aux centres urbains et créateurs de valeur ajoutée.
Estelle Maussion
Source: Jeun-Afrique
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