Le 11 septembre 2001, les États-Unis étaient l’objet de la pire attaque terroriste de l’Histoire. Quatre avions d’American Airlines et de United Airlines, détournés par 19 terroristes d’Al-Qaïda avaient frappé, à quelques minutes d’intervalle, les tours jumelles du World Trade Center (New York) et le Pentagone (le ministère de la Défense) situé non loin de Washington. Les attentats firent 2.979 morts, dont 2.750 à New York. Le Boeing 767 d’American Airlines avait 92 personnes à bord, celui de United Airlines 65 personnes et le Boeing 757 d’American Airlines 64 personnes. 5 terroristes avaient pris place dans chacun de ces trois avions. Quant au Boeing 757 de United Airlines, qui transportait 44 personnes dont 4 terroristes, il s’écrasa dans un champ de l’État de Pennsylvanie, parce que les passagers se rebellèrent contre les terroristes qui voulaient s’emparer des commandes de l’avion et foncer sur la Maison-Blanche.
Aussi bouleversant que la chute du mur de Berlin en 1989, le 11 Septembre peut-il être perçu comme “un moment fondateur, le début d’une nouvelle époque” (Nicolas Hénin) ? A-t-il modifié le regard des Américains sur eux-mêmes et sur le monde ? Qu’est-ce qu’il a changé en Afrique ?
Avant le 11 septembre, nombre d’Américains avaient l’intime conviction que leur pays était tout-puissant, inattaquable, invincible. Cette conviction est ébranlée par la destruction du World trade Center. Le peuple américain se met à douter de lui-même et à relativiser sa puissance. Il commence à prendre conscience de sa vulnérabilité. Mais découvrir brutalement qu’on n’est pas si fort qu’on s’imaginait ne signifie pas nécessairement se remettre en cause, c’est-à-dire chercher à comprendre pourquoi on a été frappé si violemment, chercher à savoir si un éventuel mauvais comportement de notre part n’a pas poussé l’ennemi à agir comme il a agi. Les Américains, emmenés par des néo-conservateurs bellicistes, étaient plutôt préoccupés de se donner les moyens de punir l’ennemi qui osa les défier sur leur sol. La prison d’Abou Ghraib (Irak), Guantanamo (Cuba) et la guerre menée contre les Talibans en Afghanistan sont le résultat de cette volonté d’en découdre coûte que coûte avec l’ennemi et de laver ainsi l’affront.
Bref, il y eut, chez les Américains, une prise de conscience de leur fragilité sans un sérieux examen de conscience, sans une profonde remise en question de leur rapport aux autres. La seule chose qui semblait les intéresser, c’était de rendre coup pour coup, de faire la guerre à tous ceux qui étaient contre eux, d’user de tous les moyens pour neutraliser l’ennemi. C’est pour cette raison qu’ils envahirent en 2001 l’Afghanistan où Oussama Ben Laden s’était réfugié. L’invasion ne dura pas plus de 20 ans parce que, comme en Irak, où la guerre, bâtie sur le mensonge, engendra le chaos et la destruction, les Américains furent incapables de faire de l’Afghanistan un pays uni, stable et sûr. Le 8 juillet 2021, en effet, Joe Biden annonçait que son pays retirerait ses derniers soldats le 31 août de la même année. C’est une décision qu’il convient de saluer, car continuer à verser le sang humain dans ce pays où les empires britannique, soviétique et américain “voulaient faire les choses à leur manière et n’ont jamais réussi à comprendre la complexité du pays” (David C. Isby, ‘Afghanistan, graveyard of Empires. A New history of the borderland’, New York, Pegasus Books, 2011) ne relèverait que de la pure bêtise. Cela dit, les États-Unis n’ont pas quitté le “cimetière des empires” parce qu’ils auraient réalisé qu’être le gendarme du monde n’a aucun sens. Non ! Ils sont partis parce qu’ils y ont perdu trop de vies humaines (3500 soldats de l’OTAN dont deux tiers d’Américains) et trop d’argent (100 milliards de dollars par an).
Le bilan de leur présence en Afghanistan est jugé négatif par Israël A Shamir qui critique le fait que “l’ancien président de l’Afghanistan, Ashraf Ghani, [soit] parti pour les Émirats arabes unis avec ses quatre voitures chargées de liquide”. Quant à Viatcheslav Avioutskii, il est plus nuancé. Tout en admettant que “la guerre contre le terrorisme a fait de nombreuses victimes civiles collatérales et favorisé l’émergence de certains conflits qui n’étaient pas directement liés aux objectifs annoncés”, le géopolitologue franco-russe soutient que les États-Unis “ont réussi à contenir la menace terroriste sur le sol afghan, à préserver les monarchies du Golfe qui sont restées stables et qui ont poursuivi leurs livraisons d’hydrocarbures et à sécuriser leur sol national où des attentats aussi massifs que ceux de 2001 n’ont jamais pu se reproduire” (lire son entretien avec Alexandre del Valle dans ‘Atlantico’ du 10 septembre 2021).
Les États-Unis ont-ils changé après le 11 septembre ? Oui, parce qu’ils ont pris conscience de leur vulnérabilité, parce qu’ils ont compris qu’il n’était pas nécessaire de maintenir leurs soldats en Irak et en Afghanistan.
L’autre important changement, c’est ce que certains analystes appellent “un épuisement économique du modèle américain”. Désormais, en effet, le pays fait face “à la montée en puissance de la Chine, de l’Inde, du Brésil, de l’Afrique du Sud, etc., qui caractérise la situation mondiale” (cf. Alain Gresh dans ‘Le Monde diplomatique’ de septembre 2011). Le journaliste n’oublie pas “la Russie qui a récupéré son statut de puissance internationale, ni les puissances du Golfe – l’Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis – mais aussi la Turquie qui définissent désormais la géopolitique du Moyen-Orient, alors qu’ils étaient beaucoup moins autonomes avant 2001, agissant quasi exclusivement comme des partenaires des États-Unis”. Les Américains, qui sont revenus au multilatéralisme sous Biden, ont-ils renoncé pour autant à imposer leurs vues au reste du monde ? S’abstiendront-ils de nouvelles invasions ? Seul le temps apportera une réponse à ces questions. Pour le moment, voyons ce qui a changé en Afrique après le 11 septembre.
Quoique Ben Laden et d’autres hauts responsables de l’organisation aient été tués, Al-Quaïda a pris pied au Maghreb, au Yémen, au Nigeria, dans les pays du Sahel (Burkina, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad).
Selon les données de l’Université du Maryland, 10431 attaques terroristes auraient été perpétrées en Afrique entre 2010 et 2015. Si l’on en croit Mohamed Ibn Chambas, représentant de l’ONU au Sahel, le terrorisme aurait fait plus de 4000 morts et provoqué le déplacement d’un demi-million de personnes en 2019 dans la région.
Même si le malheur des Américains ne fait pas le bonheur des Somaliens, ceux-ci estiment que les Américains sont comme eux : “Pour une fois, ils en ont pris plein la tête, comme nous. On n’est pas content parce qu’ils ont des morts, mais on est content parce qu’ils souffrent aujourd’hui ce que nous souffrons depuis si longtemps.”
Dans les premiers mois qui ont suivi le 11 septembre, les États-Unis ont renforcé les contrôles sur les transferts d’argent des Africains ayant des noms à consonance arabo-musulmane. Il en va de même pour les financements de plusieurs associations musulmanes en Afrique occidentale. Ayant peur qu’ils n’atterrissent dans les poches des Djihadistes, les États-Unis les stoppèrent au lendemain du 11 septembre (cf. Roland Marchal, dans ‘Politique africaine’, n. 83, 2001/3).
“Aujourd’hui on ne considère plus les USA comme une Hyper Puissance. Il existe désormais une inter-dépendance, les pays ne peuvent plus avancer seuls. Les attentats ont remis l’humain au centre des décisions. Une nouvelle donne qui permet à l’Afrique de jouer également un rôle et de se faire entendre. Le printemps arabe en est la preuve. Les peuples d’Afrique ont décidé de prendre l’avenir de leurs pays en mains, de ne plus se faire dicter leurs choix par d’autres”, analysait l’historien François Durpaire en 2011. Si l’on peut aisément souscrire à l’analyse pour le Ghana, le Botswana, le Kenya, la Tanzanie et d’autres pays colonisés par l’Angleterre, elle est en revanche discutable pour les pays africains francophones car, 60 ans après les prétendues indépendances, les dirigeants de ces pays continuent de s’aplatir devant l’ancien maître, de tout attendre de lui et de faire ce qui l’arrange. Il est à la fois étonnant et affligeant que la France, malmenée, humiliée et occupée par l’Allemagne hitlérienne, contrôle, domine et exploite 14 pays africains par le biais du franc CFA et de ses bases militaires alors que les Afghans, en plus de s’être dressés tour à tour contre les Britanniques, les Soviétiques et les Américains, les ont chassés de leur pays. Plus les années passent, plus on a le sentiment que la liberté fait peur aux hommes et femmes de l’Afrique d’expression française. Or, écrit Jean-Paul Sartre, “nous sommes une liberté qui choisit mais nous ne choisissons pas d’être libres : nous sommes condamnés à la liberté (cf. ‘L’Être et le Néant’).
Jean-Claude DJEREKE
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