Blaise Compaoré, chassé du pouvoir le 31 octobre 2014 par le peuple burkinabè qui était contre la modification de l’article 37 de sa Constitution, ne pourra pas se soigner en France. Il est devenu persona non grata dans un pays dont il fut un serviteur fort zélé. La preuve, l’ambassade de France en Côte d’Ivoire aurait opposé une fin de non-recevoir à sa demande de visa.
D’abord, c’est une honte que l’ancien dictateur veuille se soigner dans un hôpital français après avoir passé 27 ans au pouvoir. Honte à lui et à tous les dirigeants africains qui se rendent dans l’Hexagone dès qu’ils ont mal à la tête ou au dos, qui font plus confiance aux médecins français qu’à ceux d’Afrique dont la compétence n’est plus à démontrer !
Au lieu de doter son pays d’un hôpital aussi moderne que celui que construisit Issoufou Mahamadou avant la fin de ses deux mandats à la tête du Niger pour “assurer l’accès aux soins de santé de qualité à toute la population du Niger et même de la sous-région, mais aussi et surtout réduire le nombre des évacuations sanitaires qui ont un coût considérable sur le budget de l’État nigérien”, Compaoré préférait enrichir les gens de son clan comme Alizèta Ouédraogo, la belle-mère de son frère François Compaoré, et financer les campagnes électorales de Jacques Chirac. Il n’est pas impossible qu’il ait posé d’autres actes de ce genre pour plaire à l’ancienne puissance colonisatrice, pour être aimé d’elle et bénéficier de son soutien en cas de…
Le natif de Ziniaré fut effectivement protégé pendant près de 30 ans par les autorités françaises. Paris fermait les yeux quand il violait les droits de l’homme dans son pays, quand il déstabilisait les pays de la sous-région (Liberia, Sierra-Leone, Mali, Côte d’Ivoire). Il ne fut point inquiété quand il fit tuer ses compagnons d’armes Thomas Sankara, Henri Zongo et Jean-Baptiste Boukary Lingani, quand l’universitaire Clément Oumarou Ouédraogo fut abattu en pleine rue à Ouagadougou le 9 décembre 1991, quand le journaliste d’investigation Norbert Zongo et ses 3 camarades moururent calcinés dans leur véhicule le 13 décembre 1998 près de Sapouy. Bref, à cette époque, Compaoré se croyait intouchable, pensait que tout lui était permis, était persuadé qu’il était l’ami de la France. Mais il fallut qu’il tombe malade et demande le visa français en vue de recevoir des soins en France pour qu’il découvre le vrai visage de la France et se souvienne de cette phrase attribuée au général de Gaulle : “Les pays n’ont pas d’amis ; ils n’ont que des intérêts.”
Disons-le tout net : la France n’a aucun intérêt avec des gens qui ont perdu le pouvoir ou leur médaille comme Meka dans le beau roman de Ferdinand Oyono. Elle n’a rien à faire ou ne fait rien avec ceux qui ne font plus son affaire. Meka avait perdu la médaille que lui avait remise le Chef des Blancs, le 14 juillet. Arrêté après une fête bien arrosée au Foyer africain, il est conduit au poste de police où il est bastonné, puis emprisonné. Quand il est présenté à Gosier d’Oiseau, celui-ci ne se souvient plus des services que Meka a rendus à la France (ses deux fils morts pour la France pendant la Seconde Guerre mondiale et les terres qu’il céda à la Mission catholique), ni de la médaille qui avait été épinglée sur sa poitrine par le Chef des Blancs quelques heures plus tôt. Plus grave encore, le Blanc ne se rappelle plus le nom de celui que la France venait de décorer. Meka charge l’interprète de lui donner cette réponse : “Puisqu’il me demande qui je suis, dis-lui que je suis le dernier des imbéciles qui hier croyait encore à l’amitié des Blancs.” De retour chez lui, il est pressé de questions par les parents et amis qui commençaient à s’inquiéter. Invariablement, Meka se contentera de dire : “Les Blancs… Les Blancs seulement ! Pauvres de nous ! Pauvres de nous !” Quand l’assistance, insatisfaite, insiste pour savoir ce qui est arrivé au mari de Kelara, il est obligé de révéler que “ ces Blancs ont failli me tuer”, ce qui pousse Nti à déclarer que les Blancs ne ressemblent pas aux Noirs. Et l’assistance de renchérir que “le chimpanzé n’est pas le frère du gorille”. Traduction : le Blanc n’est pas le frère du Noir.
La France a montré à plusieurs chefs d’État africains qu’elle n’avait pas d’amis mais des intérêts et qu’elle pouvait les abandonner à leur triste sort si elle n’avait plus rien à obtenir d’eux. Je pense notamment aux Centrafricains David Dacko et Jean-Bédel Bokassa qu’elle contribua à renverser en 1966, en 1979 et en 1981, à l’Ivoirien Houphouët qu’elle fit semblant de soutenir dans la guerre du cacao en 1988 (Cf. Jean-Louis Gombeaud, Corinne Moutout et Stephen Smith, La guerre du cacao. Histoire secrète d’un embargo, Paris, Calmann-Lévy, 1990), au Sénégalais Léopold Sédar Senghor dont elle boycotta les obsèques à Dakar le 29 décembre 2001, au Gabonais Omar Bongo dont les biens en France furent exposés par les médias français, au Tchadien Hissène Habré qui fut lâché au profit d’Idriss Déby le 1er décembre 1990, au Libyen Kadhafi qui fut exécuté par les forces de l’OTAN le 20 octobre 2011 après avoir été reçu en grande pompe par Sarkozy et après avoir financé la campagne électorale de ce dernier. Ces présidents, qui croyaient naïvement qu’ils étaient les amis de la France, découvrirent au soir de leur vie que cette amitié n’était qu’un leurre.
Compaoré aurait compris cela plus tôt qu’il se serait peut-être abstenu de se faire le complice de ceux qui étaient dérangés par les discours et les actes de Sankara ou de prêter main forte à Sarkozy pour la déportation de Laurent Gbagbo à la Cour pénale internationale.
Parlant des colonisés, Montaigne écrivait en 1588 : “Ce qui les a vaincus, ce sont les ruses et les boniments avec lesquels les conquérants les ont trompés… Nous nous sommes servis de leur ignorance et de leur inexpérience pour les mener à la trahison, à la luxure, à la cupidité et à la cruauté, sur le modèle de nos mœurs… Tant de villes rasées, tant de nations exterminées, tant de millions d’hommes passés au fil de l’épée… Méprisables victoires !” (Cf. Les Essais, livre III, chap. VI)
Si un bon nombre de Noirs ne sont plus dupes des boniments, des ruses et de la duplicité des Blancs, d’autres Noirs (une minorité, fort heureusement), présents dans nos universités, dans les congrégations religieuses, dans la politique africaine, etc., continuent malheureusement d’adhérer facilement au mensonge selon lequel la France est notre amie et nous veut du bien. Le pire, c’est que, pour être dans les bonnes grâces du Blanc, ces Noirs complexés, indignes et stupides n’hésiteront pas à salir, à trahir, voire à éliminer les frères qui refusent de courber l’échine devant le Blanc. Pauvres d’eux, dirait Meka !
Que l’on nous comprenne bien ici : Notre intention n’est nullement d’inviter les Noirs à détester les Blancs. Sortir de notre naïveté, devenir lucides et vigilants, tel est l’unique but assigné à cette modeste réflexion.
Jean-Claude DJEREKE
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