Christophe Boisbouvier
Coup de force en Guinée Conakry. Depuis ce dimanche 5 septembre, des militaires ont capturé le président Alpha Condé et affirment avoir pris le pouvoir. Pourquoi ce soulèvement ? Qui en est le chef ? Mamadou Aliou Barry dirige le Centre d’analyse et d’études stratégiques de Guinée. Aux éditions Descartes et Cie, il vient de publier Revenir, la Guinée, l’exil, le retour, l’avenir. De passage à Paris, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Est-ce que vous êtes surpris par les événements de ce dimanche ?
Aliou Barry : Je dirais, pas trop surpris. Cette fois-ci, je m’y attendais, parce que depuis la création des forces spéciales, la seule unité qui était organisée avec un casernement à Kindia et c’est une création de monsieur Alpha Condé. Je pense que, stratégiquement, c’est une erreur de sa part, dans le contexte guinéen.
Et pourquoi avait-il créé, justement, ces forces spéciales ?
Si vous vous souvenez, quand monsieur Déby est décédé, le premier chef d’État africain à aller au chevet de la famille de Déby, c’est monsieur Alpha Condé. Il a même dit : « Je viens de perdre mon conseiller de défense ». En fait, monsieur Alpha Condé a créé cette unité sur conseil d’Idriss Déby.
Au départ, cette unité était chargée, comme toutes les forces spéciales, de lutter contre le terrorisme et les actes de piraterie maritime, mais il a voulu en faire une unité à sa solde pour réprimer toute manifestation qui aurait eu lieu en Guinée. Et je pense que c’est une erreur, parce qu’au mois de mai dernier, j’étais sur Conakry et le bruit courait déjà qu’il voulait arrêter le colonel Doumbouya, parce qu’il soupçonnait ce dernier d’avoir des contacts avec Assimi Goïta, l’homme fort actuel du Mali.
Mais pour sa sécurité, le président Alpha Condé disposait déjà de la Garde présidentielle. Pourquoi a-t-il voulu doubler cette sécurité avec les forces spéciales ?
A mon avis, c’est pour réprimer toute manifestation politique. Si vous vous souvenez, toutes les dernières manifestations qui ont eu lieu à Conakry, à l’occasion du processus électoral de l’année dernière, ont été réprimées en partie par ces forces spéciales, qui étaient cagoulées, qui entraient dans les quartiers. Malheureusement, il a créé un monstre qui s’est retourné contre lui.
Des forces spéciales recrutées sur des critères communautaires ?
Tout à fait, je pense qu’il a voulu en faire un instrument sécuritaire à sa disposition, pour des missions spécifiques de répression. Malheureusement pour lui, quand il a voulu mettre la main sur le commandant de ces forces spéciales, cette unité s’est retournée contre lui. C’est ce qui s’est passé hier à Conakry.
Ce chef des forces spéciales, le colonel Mamady Doumbouya, est-ce que vous le connaissiez avant hier ?
Je ne le connaissais pas personnellement, mais je connais son parcours. Il faut savoir que la Légion étrangère, en France, recrute beaucoup d’étrangers, que ce soit des Africains ou des gens des pays de l’Est. Ce monsieur, pendant des années, était à la Légion étrangère, en France. Et c’est monsieur Alpha Condé qui l’a ramené en Guinée et qui lui a confié les forces spéciales qu’il venait de créer en 2018. Les Guinéens étaient stupéfaits, à l’occasion de la fête nationale, en 2018, de voir défiler au stade du 28-Septembre ces forces spéciales, à la tête desquelles il y avait le colonel Doumbouya. C’est quelqu’un qui a fait tout son parcours en France à la Légion étrangère, qui a pris sa retraite et qui a été rappelé par monsieur Alpha Condé.
Il était donc très proche d’Alpha Condé. Comment expliquez-vous la rupture, ces dernières semaines ?
Comme dans tous les régimes autoritaires, il faut savoir qu’aujourd’hui, en Guinée, depuis longtemps, plus le pouvoir est vieillissant, plus le président se sentant malade, il y a une guerre des couteaux. C’est pourquoi, je suis très réservé sur la suite. Je pense qu’il faudra que les Guinéens soient très attentifs, parce qu’il ne faut pas que l’on reproduise la transition du temps de Dadis Camara. C’est vrai qu’aujourd’hui, c’est une rupture, parce que c’est la première fois qu’il y a un coup d’État militaire en Guinée. Mais il faudra que la société civile et les Guinéens soient très attentifs, que l’on profite de cette occasion pour qu’il y ait un véritable changement. Je crains fort que ce coup de force ne soit téléguidé par une des parties qui en avait marre du système Alpha Condé.
À quelle partie pensez-vous ?
Il faut savoir qu’il y a beaucoup de guerres d’egos dans ce système. Il y a le clan de Mohamed Diané, le ministre de la Défense, il y a le camp d’Amadou Damaro, président de l’Assemblée nationale… Et je pense que tous ces gens-là craignaient l’émergence et la puissance du commandant des forces spéciales et qu’ils ont voulu mettre la main sur lui. Mais je crains fort qu’une des parties ne profite de cette occasion pour mieux récupérer le changement qui se produit actuellement en Guinée.
Donc vous pensez à un règlement de comptes à l’intérieur du RPG et du camp Alpha Condé, c’est cela ?
Je pense que l’on n’est pas très loin de cela, parce que depuis un certain temps, à Conakry, les gens voyant que monsieur Alpha Condé venait de rentrer de l’étranger où il était pour un séjour médical, autour de lui les gens commençaient à sentir que c’était la fin du système. Je crains fort qu’il n’y ait un clan qui, à côté, a profité de l’occasion pour pousser le commandant des forces spéciales à passer à l’acte.
Et l’opposition UFDG de Cellou Dalein Diallo dans tout cela ?
Alors là c’est quand même quelque chose d’étonnant… Je pense d’abord que monsieur Cellou Dalein Diallo était pratiquement privé de tout, à Conakry, de voyages, de rassemblements politiques… Je pense qu’Alpha Condé a réussi une chose selon son entendement, c’est d’avoir affaibli la seule force politique qui était en face, l’UFDG. Et je pense que toute la classe politique, aujourd’hui, y compris dans l’opposition, est surprise de ce qui s’est passé hier à Conakry.
Parce qu’Alpha Condé a été renversé par l’un de ses proches, en réalité, pas par un opposant…
Tout à fait. En tout cas, c’est lui qui a nommé Mamady Doumbouya à la tête des forces spéciales. Je pense que ce monsieur a pris les devants, parce qu’apparemment, ils étaient pratiquement sur le point de le mettre aux arrêts. Ce sont les informations que j’ai. Ils étaient en train de le mettre aux arrêts et toutes les forces spéciales – les gens qu’il dirige – ont refusé ce fait. Et là, je pense que l’instabilité n’est pas finie, parce que ce n’est pas exclu que d’autres camps se soulèvent à Conakry, sauf si la population sort dans Conakry pour soutenir la nouvelle équipe militaire.
RFI
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