Pendant 3 décennies (1960-1990), la Côte d’Ivoire a été perçue comme un pays calme, sans histoire. Tout n’y était certes pas parfait mais la stabilité, les performances économiques, les infrastructures routières, sanitaires et scolaires du pays attiraient de nombreux ressortissants des pays voisins, voire de l’Afrique centrale. On y venait soit pour faire fortune, soit pour acquérir ce qui permettrait de gagner l’Europe ou l’Amérique du Nord, soit pour booster sa carrière sportive ou musicale. Cette Côte d’Ivoire, qui bénéficia du talent des Antoine Bell, Rashidi Yekini, Manu Dibango, Boncana Maïga, Sam Mangwana, Moni Bilé, Bébé Manga, Mory Kanté, Salif Keïta…, était, avec le Sénégal, un des rares pays d’Afrique de l’Ouest qui n’avaient pas expérimenté de coup d’État.
C’est à partir de 1993 que le navire commença à tanguer. La guerre de succession qui opposa Konan Bédié à Alassane Ouattara en était la cause principale. Une guerre qui débuta avant l’inhumation du premier président car, bien que la Constitution ivoirienne disposât que seul le président de l’Assemblée nationale devait assurer la vacance du pouvoir, le Premier ministre Ouattara, poussé dans le dos par certains caciques du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) tels que Philippe Yacé, voulait s’asseoir dans le fauteuil présidentiel. Il fallut l’intervention des ambassadeurs de France et des États-Unis pour que Ouattara lâche prise comme le montre le témoignage de feu Jean-Paul Ngoupandé qui était ambassadeur de Centrafrique à Abidjan au moment des faits (cf. ‘L’Afrique sans la France’, Paris, Albin Michel, 2002). Cette guerre, où tous les coups semblaient permis (mandat d’arrêt international lancé par Konan Bédié contre Ouattara pour “faux et usage de faux”, Ouattara promettant en retour de frapper et de faire tomber le régime “moribond” d’Abidjan), aboutira, le 24 décembre 1999, au renversement du successeur d’Houphouët.
Depuis cette date, la Côte d’Ivoire n’a plus connu la paix à cause de celui qui avait promis de la rendre ingouvernable si sa candidature à l’élection présidentielle était rejetée. Le général Robert Gueï, placé à la tête du pays par ceux qui avaient chassé Konan Bédié du pouvoir, puis Laurent Gbagbo, élu le 22 octobre 2000, seront victimes, eux aussi, de tentatives de putschs en 2000 et 2001.
Le 19 septembre 2002, les mêmes militaires, proches d’Alassane Ouattara et entraînés au Burkina Faso, attaquent et coupent le pays en deux. Quand le président Laurent Gbagbo décide, début novembre 2004, de libérer les zones occupées par les rebelles, la France de Jacques Chirac, qui pourrait avoir corrompu et retourné les pilotes biélorusses, prétexte du bombardement de son camp militaire de Bouaké par l’armée ivoirienne pour détruire les aéronefs ivoiriens et remettre ainsi en selle une rébellion presque vaincue. En 2010-2011, la France s’immiscera une fois de plus dans le conflit ivoirien en soutenant Ouattara et en bombardant le résidence présidentielle où se trouvaient Laurent Gbagbo, sa famille et quelques collaborateurs.
Une fois installé au pouvoir par son ami Sarkozy, Ouattara ne tarda pas à procéder à des arrestations et emprisonnements arbitraires, à geler les avoirs des pro-Gbagbo, à caporaliser les médias d’État, à persécuter la presse proche de l’opposition, à favoriser outrageusement les gens d’une région, d’un parti et d’une religion, à pousser des milliers d’Ivoiriens à s’exiler, à passer des marchés de gré à gré avec les entreprises françaises, marocaines et burkinabè. De mémoire d’Ivoirien, jamais les droits de l’homme ne furent autant bafoués que sous ce régime soutenu jusqu’au bout par “la patrie des droits de l’homme”.
Bref, à cause d’un individu assoiffé de pouvoir, la Côte d’Ivoire a perdu à la fois sa sérénité et sa stabilité. Aux tentatives de coup d’État se sont ajoutées des pratiques bizarres telles que le trafic de drogue, le rattrapage ethnique, la promotion des médiocres et des incultes, l’expropriation et l’agression des citoyens par des enfants drogués sans que la police et la gendarmerie n’interviennent, un système éducatif si pauvre qu’aucune université ivoirienne ne figure dans le classement des 200 meilleures universités africaines et que les manuels scolaires sont truffés de fautes qu’un élève de CE2 éviterait de faire autrefois.
Toutes ces plaies pouvaient faire croire que le pays était perdu (dans les deux sens du terme) et beaucoup de compatriotes étaient sur le point de céder au désespoir quand le régime commença à se saborder, arrachant le tabouret à Pierre ou à Paul, mangeant ses propres enfants et multipliant les scandales. Parallèlement à cela, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé qui, pour les gens au pouvoir, devaient mourir en exil comme Kadjo Amangoua, Béhanzin et Samory Touré, furent définitivement acquittés le 31 mars 2021. Le 17 juin, l’ancien président quittait Bruxelles pour retrouver la terre de ses ancêtres. 3 ans plus tôt, son épouse et d’autres responsables du Front populaire ivoirien étaient sortis de prison.
Ces deux faits sont d’abord un cinglant démenti de l’idée selon laquelle “tout est bouclé, géré et calé”. Ils nous enseignent qu’il est toujours hasardeux de prédire les choses que l’homme est incapable de maîtriser. Joël N’Guessan n’avait-il pas raison de déclarer en 2017 que “Dieu seul sait qui sera en vie et en liberté en 2020” ? On pourrait tenir le même raisonnement à propos de 2022, 2023 ou 2024 : Nul ne sait qui, à ce moment-là, sera debout, libre ou vivant. Mais la plus grande leçon que nous puissions tirer de l’acquittement et du retour de Laurent Gbagbo dans son pays, c’est que la vérité et la justice finissent par triompher, que les faussaires et imposteurs n’ont pas vocation à régner et à prospérer ad vitam aeternam et que notre pays, qui a connu un tel malheur en partie à cause de l’absence de solidarité entre nous, de notre légèreté, de notre naïveté et de notre cupidité, s’achemine, sûrement quoique lentement, vers la fin des années cauchemardesques qui ont arrêté son progrès, assombri son visage et gravement écorné son image.
Je ne souhaite la mort de personne, pas même celle du plus grand criminel. Je veux tout simplement affirmer que, d’ici à 2025, beaucoup de choses peuvent arriver, que notre pays n’est pas à l’abri de surprises agréables et désagréables et que les uns et les autres gagneraient donc à faire preuve de modestie et de prudence.
Jean-Claude DJEREKE
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