Ah ouais. L’affaire Yves de Mbella a choqué, pour une fois, l’opinion publique.
Elle révèle au grand jour combien le corps de la femme est moqué, gravement banalisé. Pouvait-il en être autrement ? Tellement l’absurde et l’immoralité sont de plus en plus banalisés.
Retour sur le plateau de l’émission Télé d’Ici Vacances de Yves De Mbella sur NCI. Le violeur « repenti » (???) raconte sans vergogne ses exploits. Il se sent honoré ou du moins, il est à l’honneur. Il est même applaudi. Ça rit sur le plateau. Il espérait lui aussi être célèbre, le temps d’une émission et rejoindre les autres stars de la vulgarité dont les frasques et extravagances inondent les réseaux sociaux et nourrissent les imaginaires d’une jeunesse en perte de repères. Il bombe le torse, explique. Il est plus démonstratif que jamais. Il se souvient, comme si c’était hier, de ses prouesses, de son acte de viol. Il montre la technicité du viol. Ses hauts faits. Il est applaudi. Il ne se doutait de rien quant aux effets que ses gestes et ses mots pouvaient avoir sur l’opinion. Ce violeur a cru trouver le chemin de la célébrité. Il devait se réveiller le lendemain, la gloire chevillée au cerveau. Jamais les jeunes créateurs de petites unités de production à partir de pas grand-chose, ces jeunes petits entrepreneurs qui peinent à exister, qui travaillent dur pour émerger, n’ont été ainsi montrés, valorisés comme ce « violeur repenti » l’a été. Puisque travailler ne vous rend pas forcément vite riche et encore moins connu et reconnu dans l’espace public. Trop long pour être reconnu a minima en travaillant. Dans la civilisation de l’éphémère en construction, il faut aller vite. Très vite. La fin justifie les moyens. Pour cela, les réseaux sociaux sont un puissant véhicule. La méthode : faire le buzz par le choc. Exceller dans l’escalade de la légèreté, de la désinvolture et de la vulgarité dans sa façon d’être, de voir et de se donner à voir, sa posture, ses propos. Le tout au mépris de la décence. Ce sont les réseaux sociaux qui disent désormais aux femmes ce qu’elles doivent penser et être aujourd’hui. Les nouvelles égéries pullulent sur les réseaux sociaux, toutes en concurrence médiatique dans l’extravagance et dans l’outrecuidance. En Côte d’Ivoire, fini le temps de l’éducation des filles à la mode lycée Sainte-Marie ou Notre-Dame des apôtres. Fini le temps de l’éducation à la prise de responsabilité vis-vis de soi et des autres. Ce qui existe encore chez ceux qui nous dominent et risquent de nous dominer encore pour longtemps pendant que nous usons nos cerveaux à rechercher les circuits courts d’enrichissement rapide et sans cause.
En clair, exister par le buzz, est une nouvelle manière de réussir en Côte d’Ivoire. Mais cela fait sauter toutes les limites et tous les verroux de la morale publique. La culture du no limit nous amène tout droit dans le mur. Un peu de pudeur ne tue pas la liberté d’expression. Mais tant que je continue de voir ce que je vois à l’école et dans les universités publiques, j’ai peur pour nous. J’ai peur pour la société que nous fabriquons. Il va falloir mettre le holà quelque part. Et puis. On ne crève plus l’écran parce qu’on a des émissions bien préparées, bien rendues et des invités aux idées bien articulées sur le plateau. La médiocrité assumée et mise en scène de manière obscène entretient la descente aux enfers moraux. Demain qu’apprendrons-nous à nos enfants qu’on ne dit pas, qu’on ne fait pas ? Puisque tout est permis pour avoir de l’argent. L’argent, l’argent, l’argent et toujours l’argent dont le vrai nom est pouvoir d’achat. Mais qu’achetons-nous réellement avec l’argent ainsi gagné par les circuits courts ? De l’éphémère. La joie de l’effort n’a encore de sens que pour des privilégiés. Je vais de temps en temps tendre mes oreilles et ouvrir grand les yeux dans les quartiers populaires pour observer ce qui fait encore sens dans ces mondes. Mais je me rends compte là-bas aussi, que ce qui est en bas est comme ce qui est en haut. Sauf que là-bas, c’est le bling bling des « petits », une reproduction frelatée du bling bling des « grands » avec les moyens de « petit ». Bling bling quand même. Les valeurs cardinales ? On en cherche dans un monde où tout est permis. Ne sommes-nous pas devenus une société profondément malade ?
Par Francis Akindès, Professeur des Universités, Sociologue
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