Comment déjouer ou mâter un putsch ?

Douglas Mountain

La question des putschs ne devrait plus se poser en Afrique si on avait affaire à des démocraties qui fonctionnaient. Les événements au Mali en 2020 ont montré que cette page n’est pas totalement tournée sur le continent, surtout en Afrique de l’Ouest. Certains pays plus que d’autres sont susceptibles de connaître une évolution similaire, même si les situations sont différentes. L’intrusion des militaires sur la scène politique reste une éventualité encore d’actualité, ce qui est bien triste.

Un putsch constitue toujours un recul de la démocratie dans un pays, parce qu’il met fin à un pouvoir légitime. La démocratie est mise entre parenthèses le temps d’une « transition ». Il est dangereux de voir un putsch comme l’instrument privilégié de résolution des crises internes, parce que les crises auront toujours cours dans les pays, c’est une évidence, d’où la question suivante : faudra-t-il toujours avoir recours à des putschs pour les dénouer ?

Au Mali le plus grand danger qui guette la démocratie dans ce pays reste l’attitude du Colonel Goita au terme des dix-huit mois de transition. S’il décide de manœuvrer pour demeurer dans la place, alors personne ne pourra l’en empêcher. Il aura eu le temps d’asseoir son emprise sur l’armée au terme de la transition. La démocratie sera tout simplement enterrée, car un militaire à la tête d’un pays ne perd jamais une élection.

Et ils sont rares, les militaires qui après avoir gouverné décident de céder spontanément le pouvoir. Ils restent président à vie à moins qu’ils ne soient délogés par un autre putsch. Le Colonel Goita aura 46 ans à la fin de la transition. Ce n’est pas l’âge de la retraite. Ainsi disons-le haut et fort, un putsch n’est absolument pas une solution viable à long terme pour un pays, quelle que soit la crise politique du moment.

Il est préférable d’avoir un putsch raté avec des combats, qu’un putsch qui réussit sans faire de victimes. Dans ce cas-ci, c’est simplement un mirage, les victimes seront comptabilisées dans le futur et en plus grand nombre. Les ivoiriens en savent quelque chose.

Les conditions qui préparent au putsch

Un putsch intervient toujours au terme d’une longue dégradation de l’autorité du pouvoir en place, dans le prolongement d’une crise politique avec des manifestations de rue. Les évènements du Mali en 2020 sont similaires à ceux du Soudan en 2019, et d’Algérie cette même année, qui ont vu l’armée démettre les présidents dans ces trois pays sous la pression de la rue.

Ainsi pour un pouvoir, il est important de maîtriser la rue, de ne pas laisser l’initiative de la rue à l’opposition. Lorsqu’un pays est paralysé par des manifestations massives, le putsch devient une option vers laquelle convergent les esprits, une option mise en œuvre avec d’autant plus de facilité que le pays est incapable à gouverner. Les Présidents de ces pays ont d’abord perdu la « bataille de la rue », avant que les militaires n’entrent en scène.

Un putsch est aussi facilité par la personnalité de ceux qui incarnent l’exécutif. Gouverner c’est exercer l’autorité, c’est faire montre d’une certaine poigne. Il est dangereux quand l’Exécutif projette une image de faiblesse. Au Mali durant toute l’année 2020, à aucun moment le président IBK n’a durci le ton devant les manifestations de masse. Sa parole ne pesait plus rien, ce qui a installé dans les esprits l’idée selon laquelle son pouvoir pouvait être facilement balayé. Une allocution ferme à la télévision d’Etat en guise de mise en garde vis-à-vis « des uns et des autres », pour réaffirmer son autorité et sa légitimité, aurait dissuadé les militaires.

Troisième élément à surveiller, les médiations internationales. Elles ont un effet pervers en ce qu’elles mettent tous les protagonistes sur le même pied d’égalité, ce qui sape l’autorité du pouvoir en place. Les médiateurs deviennent ainsi ceux qui détiennent le pouvoir réel, aucune initiative ne peut être prise sans eux. Cette perte d’autorité du pouvoir crée une atmosphère favorable à un putsch, elle crée un « vide ».

Comment éviter les mutineries à répétition ?

Les mutineries ou les mouvements d’humeur des soldats sont très souvent le prélude à un putsch. Ces événements fragilisent la cohésion de l’armée. Il faut toujours parvenir à identifier le cerveau d’une mutinerie, même lorsqu’elle se termine  » calmement  » par un retour des soldats dans les casernes sans avoir obtenu ce qu’ils exigeaient. Tant que le meneur reste dans l’ombre, la « chaîne de commandement » est toujours en place, et peut donc être réactivée au besoin.

Ainsi en CI, les mutineries de janvier et Juillet 2017 avaient nécessairement le même meneur. C’est une évidence. Il y a eu un troisième mouvement d’humeur en 2018 lorsque des soldats se sont mis à tirer à l’intérieur du camp Gallieni au Plateau pour réclamer des primes. Cette fois des soldats ont été arrêtés et exclus de l’armée, emprisonnés pour certains.

En Guinée Conakry, durant les dix-huit derniers mois au pouvoir du Président Lassana Conté (l’homme était fatigué et malade), trois mutineries ont éclaté. C’est dire que c’était le même homme à la manœuvre. Dès que le Président décède, l’homme réactive la « chaîne de commandement » et s’empare du pouvoir avec facilité. C’était le capitaine Dadis Camara. L’Etat-Major guinéen a fait preuve d’un laxisme incroyable en ne remontant jusqu’à lui après trois mutineries successives !

Une mutinerie est véritablement réglée lorsque sa « chaîne de commandement » est cassée, et pas seulement lorsque les soldats regagnent les casernes.

Comment éviter les mutineries à répétition ?

Une mutinerie ou un putsch est toujours l’œuvre d’un petit groupe, d’une poignée d’officiers. La raison est simple, plus il y a de monde dans la planification, plus le secret sera difficile à garder. Ainsi les putschistes sont toujours une minorité au départ. Le reste de l’armée est en dehors du complot et ne se rallie que devant le fait accompli. Mais l’armée peut aussi ne pas se rallier, et dans ce cas, ne serais-es-ce que numériquement, elle est toujours en capacité de briser un putsch quel qu’il soit. C’est un point fondamental qu’il faut bien garder à l’esprit.

Un putsch ne réussit que lorsque l’armée « ne bouge pas », ce qui signifie de facto un ralliement. Lorsque l’armée reste fidèle au régime en place, lorsqu’elle décide d’intervenir, alors le putsch est écrasé. En réalité, un putsch est un coup de poker, les auteurs font le pari que l’armée va se ranger à leurs côtés, ils avancent dans le vide.

En 2015 au Burkina, le Régiment de Sécurité Présidentielle, la garde prétorienne de l’ex-Président Compaoré avait renversé le président de transition. Le reste de l’armée ne s’est pas rallié, ce fut l’échec du putsch. Pourtant le RSP constituait l’élite de l’armée burkinabé, mais numériquement, il ne pouvait pas soutenir un « assaut compact » du reste des troupes.

Au Burundi cette même année, le Président N’Kurunziza a été renversé alors qu’il participait à un sommet à l’extérieur. La situation politique, économique et sécuritaire était beaucoup plus dégradée qu’au Mali, avec une énorme pression internationale sur lui. Pourtant le Président N’Kurunziza est parvenu à s’adresser à son armée qui est passée à l’action pour mâter le putsch.

Au Mali si le reste de l’armée avait fait bloc, le Colonel Goita aurait reculé. Il faut signaler qu’il ne s’est montré à la face des maliens quelque 24 heures après le putsch, quand il a eu « l’assurance » que l’armée ne « bougerait pas ». En fait, le Président IBK avait déjà capitulé dans la tête bien avant que les militaires n’entrent en scène. Au Gabon en Janvier 2019, des officiers avaient pris le contrôle de la télévision pour proclamer le renversement du régime, alors que le Président se faisait traiter au Maroc. L’armée est intervenue et la tentative a été rapidement matée. Le dernier mot dans un putsch revient toujours au reste de l’armée, c’est ce qu’il convient de retenir. Un putsch n’est en rien un  » évènement fatal « .

Ce qui détermine l’attitude du reste de l’armée dans un putsch

Toute armée hésitera à « tirer sur elle-même ». Lorsque le pouvoir en place est renversé par un groupe d’officiers avec quelques troupes en soutien, l’armée aura tendance à se ranger derrière les « nouveaux maîtres », plutôt que de rétablir l’ancien régime, car cela reviendrait à combattre contre elle-même. C’est ce « blocage psychologique » qui empêche dans la majorité des cas les armées d’écraser les putschs. A cela s’ajoute aussi la personnalité du cema, son autorité réelle sur l’armée.

Immédiatement après un putsch, un « vide » s’installe, le temps que les nouveaux visages se dévoilent. Il est important pour l’Exécutif, de ne pas laisser ce vide s’installer, s’il veut reprendre les choses en main. Il doit absolument « se signaler ». Les troupes doivent avoir la conviction qu’elles ne vont pas donner l’assaut dans le vide, pour une autorité qui n’existe plus. Elles doivent clairement sentir que les autorités sont toujours en place, que la chaîne de commandement officielle tient toujours, alors elles obéiront et les putschistes apparaîtront comme un « ennemi extérieur ».

Et c’est à ce niveau qu’intervient la personnalité du Chef d’Etat-Major des armées (le cema). Une mutinerie, un putsch, signifient toujours une faille dans la chaîne de commandement mise en place par le cema. Cependant même à ce niveau, le cema peut encore rétablir les choses en faisant preuve d’engagement s’il mobilise immédiatement les unités fidèles au régime, sans laisser le temps à la « gangrène » de gagner les ordres corps de l’armée, car comme cela a déjà été signalé, les putschistes sont toujours une minorité au départ.

Dans un putsch, le temps est un facteur qui peut jouer pour un camp comme pour l’autre. Mais généralement, il joue contre le pouvoir en place. Si les troupes fidèles sont rapidement mobilisées, la perspective de combats fera toujours reculer « d’une manière ou d’une autre » les mutins ou putschistes. Parce qu’ils savent qu’ils ne sont qu’une minorité de soldats, et que le ralliement des autres unités n’est pas acquis si des combats sont engagés. Ainsi répétons-le encore une fois, une armée a toujours le pouvoir de briser un putsch quel qu’il soit.

La CI et la Guinée Conakry

Après les événements au Mali en 2020, la presse internationale a tourné les regards tournés vers la Guinée et surtout la Côte d’Ivoire, qu’on présentait volontiers comme le prochain pays sur la liste. A qui le tour , chantait en coeur la presse internationale. Dans ces deux pays, des élections présidentielles à haut risque étaient prévues. Pourtant, même s’il est vrai que nul ne peut prédire l’avenir, les réalités dans ces deux pays ne laissaient pas entrevoir une répétition du scénario malien.

Contrairement au Mali, l’opposition en CI et en Guinée n’était pas vraiment parvenue à paralyser le pays par la rue. Les pouvoirs étaient bien en place, et tenaient solidement les leviers de répression. Il y a certes eu des mouvements, mais tout cela est resté contenu. Globalement la situation dans ces deux pays, quoi qu’agitée, est restée sous contrôle peut-on dire.

Second point de différence avec la situation malienne, c’est la personnalité des dirigeants. Le Président IBK était perçu comme quelqu’un de relativement « faible », incapable de durcir le ton. En Guinée et en CI, nous avons des présidents animés d’une certaine détermination, qu’on voit difficilement « se laisser mettre en cage » comme le Président IBK. Derrière des apparences démocratiques, les régimes dans ces deux pays sont des régimes « durs ».

Troisième point à souligner, précisément ce qui s’est passé au Mali a accru la vigilance dans ces deux pays sur l’armée. Celle-ci était et reste farouchement surveillée. En Guinée, dans la nuit du dernier jour de la campagne, une mutinerie a tourné court. Le commandant du camp d’où elle est partie a certes été tué, mais les mutins ont rapidement été maîtrisés. C’est dire la vigilance du régime. En CI, trois mois avant la présidentielle, un lot d’une centaine de véhicules de transport type pick-up a été réceptionné par forces spéciales, qui, soulignons-le, sont directement commandées par le cema. Dans ces deux pays, on a visiblement tiré les enseignements de la crise malienne.

Il est important pour les oppositions africaines de ne pas chercher à faire avancer la démocratie dans les pays par des putschs. C’est clairement un retour en arrière. Au Mali depuis 2012, nous en sommes à deux transitions, quatre présidents, neuf premier-ministres ! L’armée n’a absolument pas vocation à intervenir dans le débat politique quelles qu’en soient les raisons. Tant que ce principe ne sera pas respecté, la démocratie restera fragile.

Les pays d’Afrique de l’Est et d’Afrique australe ont tourné la page des putschs. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils sont devenus plus démocratiques que ceux d’Afrique Occidentale. Les oppositions subissent la répression des régimes en place. Mais la menace des putsch ne plane plus sur ces pays parce qu’il y a un consensus sur le fait que l’armée ne doit plus intervenir. Et ce principe est respecté depuis maintenant une vingtaine d’années. L’Afrique de l’Ouest doit aussi emprunter ce chemin.

oceanpremier4@gmail.com

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