Pascal Lamy, ancien directeur de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), voit dans la ZLECAF un outil pour redessiner une nouvelle carte de l’Afrique, différente de celle héritée de la colonisation. Une vision claire, mais dont la mise en œuvre peut connaître des défis
Dans une interview accordée au média « La Tribune Afrique », Pascal Lamy, ancien directeur de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), fait savoir que (ZLECAF) est le meilleur outil, pour sortir « de ce que le colonialisme a légué de pire à l’Afrique », à savoir sa multitude de frontières. « Nous avons inculqué le nationalisme politique et économique à ce continent et il faut en sortir… A terme, la véritable intégration économique et commerciale devra passer par la suppression des frontières » a fait savoir le haut fonctionnaire.
Selon lui, la ZLECAF, au-delà du commerce est un puissant outil d’intégration. « C’est un tournant considérable, car elle va permettre de faire évoluer progressivement certains marchés africains à l’échelle mondiale. Les pays africains avec des marchés de 15 ou 30 millions d’habitants ne correspondent pas à l’unité de base des marchés de consommation actuels, compris entre 100 et 200 millions de consommateurs », a-t-il fait remarquer.
Ce constat qui peut sembler logique, n’est pourtant pas la chose la mieux partagée sur le continent. Sur l’ensemble des pays que compte l’Afrique, seulement 38 pays l’ont ratifié jusqu’ici. Parmi ceux qui n’ont pas encore ratifié l’accord, on retrouve le Maroc, un des grands investisseurs du continent, mais qui justement bloque pour des raison de frontières politiques. Le Sahara Occidental, à qui le Royaume conteste l’autonomie, est considéré par l’Union Africaine comme un des états membre de la ZLECAF.
Pourtant, les enjeux sont au moins aussi importants que les préoccupations nationalistes. L’Afrique compte un peu plus de 1,2 milliard d’habitants qui ont des besoins dans tous les domaines. Pourtant, seulement 16% des échanges commerciaux de la région sont réalisés à l’intérieur de ses frontières. Pour un Nigérian, il faut parfois aller à Dubaï pour acheter des fleurs du Kenya, ou partir en Suisse pour manger du cacao de Côte d’Ivoire. Aussi, il est plus facile d’importer un bien en provenance d’Asie, que d’acheter le même produit dans un autre pays africain.
Eliminer les frontières ne sera pas une chose facile. Ces frontières sont de plusieurs ordres au-delà de la barrière matérialisée sur un plan géographique. Certains pays comme le Benin, ont ouverts les frontières aux ressortissants de l’Afrique, mais n’ont pas encore ratifié l’accord de la ZLECAF. Plusieurs autres ont ratifié l’acte du marché commun, mais pour visiter chacun d’eux, il faut avoir un visa. La deuxième forme de barrière qu’il faudra lever est celle des tarifs douaniers qui représentent encore une source sérieuse de revenus pour beaucoup de pays africains.
L’expérience du démantèlement tarifaire dans le cadre des discussions sur les Accords de Partenariat Economique entre l’Afrique et l’union Européenne, démontre l’ampleur des défis à surmonter. Le troisième type de frontière à supprimer sera celui de la régulation aussi bien en terme de législation de travail, que des normes de production et de commercialisation des biens et services. Face à ces défis, les partenaires de l’Afrique ne sont pas d’un grand soutien.
De gros partenaires comme l’union Européenne, la Chine, ou encore les Etats-Unis, continuent de jouer sur le tableau nationaliste, pour défendre leurs intérêts. A côté des relations commerciales Europe Afrique, on continue d’avoir des relations bilatérales qui implique des communautés ou des pays partenaires selon le cas. L’opinion de Pascal Lamy sur l’élimination des frontières bien que concrète, risque de se heurter encore à de nombreux défis sur le moyen terme.
Idriss Linge
Agence Ecofin
Commentaires Facebook