La Côtière Pk202 Côte d’Ivoire: «Les camions ne veulent plus venir à Fresco»

La Côtière, route de toutes les galères (3/5). Cette région riche en produits agricoles est l’une des plus pauvres du pays. La faute à l’état désastreux de la nationale, qui complique le transport de marchandises.

Par Youenn Gourlay (Fresco, Côte d’Ivoire, envoyé spécial, Lemondeafrique)

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Lancé à petite allure dans les trous de la « Côtière », la route nationale reliant Abidjan à San Pedro, le poids lourd de Dramane Ouedraogo cahote dans un vacarme infernal. Son ami et son apprenti, assis côté passager, bondissent sur leur siège sans broncher. « La route fatigue l’homme », lance le chauffeur au moment où son vieux camion s’enfonce dans un énième nid-de-poule : « Après un voyage, c’est comme si on m’avait frappé, tout mon corps me fait mal. »

Entre Abidjan et Sassandra, son trajet hebdomadaire de 270 km, le camionneur se bat sans répit avec son volant grand format et son levier de boîte de vitesses rafistolé au scotch pour vaincre les soubresauts de la route. « Quand on part, on ne sait même pas si on va arriver à destination ! », lance-t-il.
Lire aussi Au Sénégal, la renaissance très attendue du train Dakar-Tambacounda

Chauffeur depuis vingt-deux ans, Dramane Ouedraogo transporte du matériel de construction et parfois des fruits ou autres denrées de la région. Ce n’est jamais une mince affaire. Sur le chemin, il s’arrête à Fresco, sans doute la ville la plus enclavée du parcours tant la route, d’un côté comme de l’autre de la commune, est « gâtée ». A partir de Fresco, le routier met pas moins de quatre heures et trente minutes pour rejoindre Grand-Lahou, à 76 km à l’est, et quatre heures vers l’ouest pour rallier Sassandra, à 68 km.
Un casse-tête pour les producteurs

Dramane Ouedraogo fait partie de ces transporteurs essentiels à la vie des habitants de la côte. A Fresco, petite ville de 20 000 âmes bordée par la lagune puis l’océan, l’économie tourne autour de la pêche – contrôlée par les Ghanéens, comme souvent en Côte d’Ivoire – et de l’agriculture, apanage des Ivoiriens. Ici, les conditions climatiques sont idéales. Tout pousse : cacao, noix de coco, graines de palme, manioc…

Le problème est l’acheminement des produits agricoles vers les ports d’Abidjan et de San Pedro. Un casse-tête pour les producteurs, surtout lors de la saison des pluies. Peu d’entreprises de transport s’y risquent. Malgré les potentialités touristiques, fruitières et minières souvent vantées par les élus locaux, la région est l’une des plus pauvres du pays.
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« Les camions ne veulent plus venir ici, on doit supplier ceux qui prennent la direction d’Abidjan », assure Hervé Lobognon, propriétaire d’une cocoteraie de 23 hectares. Au fil des années, vendre ses noix de coco est devenu de plus en plus compliqué et onéreux. Les routiers doivent dépenser deux fois plus d’essence que sur une route normale. En conséquence, ils augmentent leurs tarifs. Ici, le transport d’une benne remplie coûte 400 000 francs CFA (610 euros) au lieu de 300 000 à 350 000 francs CFA.

Et la marchandise n’arrive pas toujours à destination. Alors l’agriculteur accompagne parfois les transporteurs jusqu’à l’usine de transformation, histoire d’éviter les mauvaises surprises. « Une fois, il m’a fallu trois jours pour atteindre Abidjan, relate-t-il. Un jour c’est le pneu qui crève, le lendemain c’est le radiateur qui chauffe. Parfois le camion se renverse, la marchandise moisit et dans ces cas-là, je ne gagne rien. » D’où son amertume en voyant les hommes politiques emprunter la route avec leur voiture tout-terrain, sans jamais agir. « C’est de la méchanceté », commente-t-il.
« Il arrive qu’une femme décède en route »

« Sur la Côtière, les pannes sont inexplicables, même nos patrons ne nous croient pas », s’insurge Dramane Ouedraogo, aussi cassé que son vieux camion qu’il répare après chaque voyage. « Dans cinq ans, je ne pourrai plus faire ce travail, souffle-t-il. Les accidents, les trous, la fatigue, le camion renversé, les voleurs de marchandises… Tu mets ta vie en danger et tu as peur. » Le tout pour un salaire bien maigre : « Je gagne au mieux 100 000 francs par mois. J’aimerais qu’un jour, l’argent que je mets dans ma poche ne sorte plus. »

L’enclavement de Fresco n’est pas seulement économique. Il est aussi sanitaire. A l’hôpital de la ville, les moyens sont extrêmement limités. Faute de bloc opératoire, dont les travaux à peine entamés sont gagnés par les herbes folles, l’hôpital n’a ni chirurgien, ni gynécologue. Les césariennes doivent donc être programmées ailleurs, parfois même à Abidjan. En cas d’urgence – alors que les poches de sang ne peuvent être conservées en raison des nombreuses coupures de courant –, les patients sont obligés de prendre un taxi pour Abidjan. Soit six heures de route agitées.

« L’ambulance est sous cale », déplore le docteur Ludovic Djé-Bi Ta, directeur de l’hôpital, en montrant les briques sur lesquelles repose le véhicule en panne depuis des semaines. Les ambulances les plus proches étant à 20 ou 35 km de piste, le taxi « fait gagner du temps », justifie le directeur, dépité. Dans ces cas de figure, qui surviennent entre cinq et dix fois par mois, « il arrive qu’une femme décède en route », note-t-il. La course est à la charge des familles, « mais si elles n’ont pas d’argent, l’hôpital intervient [pour payer la note] », précise-t-il.

La Côtière, route de toutes les galères (3/5). Cette région riche en produits agricoles est l’une des plus pauvres du pays. La faute à l’état désastreux de la nationale, qui complique le transport de marchandises.

Lancé à petite allure dans les trous de la « Côtière », la route nationale reliant Abidjan à San Pedro, le poids lourd de Dramane Ouedraogo cahote dans un vacarme infernal. Son ami et son apprenti, assis côté passager, bondissent sur leur siège sans broncher. « La route fatigue l’homme », lance le chauffeur au moment où son vieux camion s’enfonce dans un énième nid-de-poule : « Après un voyage, c’est comme si on m’avait frappé, tout mon corps me fait mal. »

Entre Abidjan et Sassandra, son trajet hebdomadaire de 270 km, le camionneur se bat sans répit avec son volant grand format et son levier de boîte de vitesses rafistolé au scotch pour vaincre les soubresauts de la route. « Quand on part, on ne sait même pas si on va arriver à destination ! », lance-t-il.
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Chauffeur depuis vingt-deux ans, Dramane Ouedraogo transporte du matériel de construction et parfois des fruits ou autres denrées de la région. Ce n’est jamais une mince affaire. Sur le chemin, il s’arrête à Fresco, sans doute la ville la plus enclavée du parcours tant la route, d’un côté comme de l’autre de la commune, est « gâtée ». A partir de Fresco, le routier met pas moins de quatre heures et trente minutes pour rejoindre Grand-Lahou, à 76 km à l’est, et quatre heures vers l’ouest pour rallier Sassandra, à 68 km.

Un casse-tête pour les producteurs

Dramane Ouedraogo fait partie de ces transporteurs essentiels à la vie des habitants de la côte. A Fresco, petite ville de 20 000 âmes bordée par la lagune puis l’océan, l’économie tourne autour de la pêche – contrôlée par les Ghanéens, comme souvent en Côte d’Ivoire – et de l’agriculture, apanage des Ivoiriens. Ici, les conditions climatiques sont idéales. Tout pousse : cacao, noix de coco, graines de palme, manioc…

Le problème est l’acheminement des produits agricoles vers les ports d’Abidjan et de San Pedro. Un casse-tête pour les producteurs, surtout lors de la saison des pluies. Peu d’entreprises de transport s’y risquent. Malgré les potentialités touristiques, fruitières et minières souvent vantées par les élus locaux, la région est l’une des plus pauvres du pays.

« Les camions ne veulent plus venir ici, on doit supplier ceux qui prennent la direction d’Abidjan », assure Hervé Lobognon, propriétaire d’une cocoteraie de 23 hectares. Au fil des années, vendre ses noix de coco est devenu de plus en plus compliqué et onéreux. Les routiers doivent dépenser deux fois plus d’essence que sur une route normale. En conséquence, ils augmentent leurs tarifs. Ici, le transport d’une benne remplie coûte 400 000 francs CFA (610 euros) au lieu de 300 000 à 350 000 francs CFA.

Et la marchandise n’arrive pas toujours à destination. Alors l’agriculteur accompagne parfois les transporteurs jusqu’à l’usine de transformation, histoire d’éviter les mauvaises surprises. « Une fois, il m’a fallu trois jours pour atteindre Abidjan, relate-t-il. Un jour c’est le pneu qui crève, le lendemain c’est le radiateur qui chauffe. Parfois le camion se renverse, la marchandise moisit et dans ces cas-là, je ne gagne rien. » D’où son amertume en voyant les hommes politiques emprunter la route avec leur voiture tout-terrain, sans jamais agir. « C’est de la méchanceté », commente-t-il.
« Il arrive qu’une femme décède en route »

« Sur la Côtière, les pannes sont inexplicables, même nos patrons ne nous croient pas », s’insurge Dramane Ouedraogo, aussi cassé que son vieux camion qu’il répare après chaque voyage. « Dans cinq ans, je ne pourrai plus faire ce travail, souffle-t-il. Les accidents, les trous, la fatigue, le camion renversé, les voleurs de marchandises… Tu mets ta vie en danger et tu as peur. » Le tout pour un salaire bien maigre : « Je gagne au mieux 100 000 francs par mois. J’aimerais qu’un jour, l’argent que je mets dans ma poche ne sorte plus. »

L’enclavement de Fresco n’est pas seulement économique. Il est aussi sanitaire. A l’hôpital de la ville, les moyens sont extrêmement limités. Faute de bloc opératoire, dont les travaux à peine entamés sont gagnés par les herbes folles, l’hôpital n’a ni chirurgien, ni gynécologue. Les césariennes doivent donc être programmées ailleurs, parfois même à Abidjan. En cas d’urgence – alors que les poches de sang ne peuvent être conservées en raison des nombreuses coupures de courant –, les patients sont obligés de prendre un taxi pour Abidjan. Soit six heures de route agitées.

« L’ambulance est sous cale », déplore le docteur Ludovic Djé-Bi Ta, directeur de l’hôpital, en montrant les briques sur lesquelles repose le véhicule en panne depuis des semaines. Les ambulances les plus proches étant à 20 ou 35 km de piste, le taxi « fait gagner du temps », justifie le directeur, dépité. Dans ces cas de figure, qui surviennent entre cinq et dix fois par mois, « il arrive qu’une femme décède en route », note-t-il. La course est à la charge des familles, « mais si elles n’ont pas d’argent, l’hôpital intervient [pour payer la note] », précise-t-il.

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